Entretien avec Rémi Tamègnon, Docteur en économie des transports « Des poids lourds constituent une source de détérioration prématurée de nos routes »

Isac A. YAÏ 22 février 2018

Docteur en Economie des Transports à l’Université d’Abomey-Calavi (Uac) et Expert agréé en Economie des Transports et Assurances (Maritime – Aérien et Terrestre) près la Cour d’Appel de Cotonou et les Juridictions Béninoises depuis 2015, Rémi Tamègnon se prononce sur l’importance de l’économie des transports au Bénin. Dans cet entretien exclusif, il évoque les effets de la surcharge sur les infrastructures routières. Pour lui, le Bénin doit développer une politique de préservation de ses routes en appliquant le règlement N°14 de l’Uemoa d’une part et en associant les experts pour mieux définir les stratégies de protection les plus appropriées, d’autre part.

Bonjour Monsieur Tamègnon. Vous êtes Docteur en Economie de Transport. Dites-nous, que peut-on comprendre par Economie des Transports ?
C’est un service économique très spécifique, c’est un bien économique, le transport est davantage un service qu’un bien, parce qu’il est plus immatériel que matériel. Ce bien présente des caractéristiques propres. Les principales sont les suivantes :
  le transport est un bien de consommation intermédiaire. Il constitue un auxiliaire de l’activité professionnelle des loisirs ou de la production. La demande de transport ne peut donc se comprendre qu’en relation avec le mode de vie et l’activité de production.
  Ensuite, c’est une activité à forte intensité capitalistique. La production de transport ou plus exactement le transport motorisé, met en jeu du capital (des routes, des chemins de fer, des camions, des locomotives, des avions etc…).
La dernière caractéristique du transport est la longue durée de vie de ses infrastructures.
Les décisions en la matière vont porter leurs fruits pendant des décennies, voire des siècles. La période de construction de ces infrastructures est également très longue. Pour des raisons techniques, (il faut plusieurs années pour construire un ouvrage complexe et surtout socio-politique. Il faut encore plus longtemps pour faire accepter le principe et le tracé d’une voie routière ou ferroviaire) quinze ans peuvent s’écouler entre la décision et la réalisation d’une infrastructure.

En quoi cette formation est-elle importante pour l’économie de notre pays en général et pour le transport en particulier ?
Cette formation est très importante pour l’économie de notre pays. Tout d’abord un Economiste des Transports est une personne qui réalise des études pour des compagnies de transport public ou privé en vue d’évaluer les aspects économiques de nouveaux services de transport (personnes ou marchandises), d’améliorer la rentabilité des services existants ou de prévoir les conséquences éventuelles de certains changements comme une hausse de tarifs, un changement d’itinéraires ou l’augmentation du nombre de véhicules. Il évalue les investissements financiers nécessaires à la réalisation de certains projets dans le domaine du transport et recommande les moyens de financement les plus efficaces pour assurer leur réalisation. Il doit tenir compte dans ses analyses, des divers facteurs économiques et sociaux qui peuvent influencer la gestion des services.
Pour produire des biens et des services, les entreprises dépendent des transports qui leur permettent d’obtenir des matières premières, des pièces détachées, de la main d’œuvre, de l’énergie et de faire parvenir les biens manufacturés, les produits agricoles et les services aux consommateurs locaux et aux marchés internationaux.
Par-delà et à travers sa tâche principale consistant à assurer le déplacement des personnes et la circulation des biens, le transport a un impact considérable sur la vie de nombreuses personnes en contribuant à la création d’emplois et à rendre plus accessibles l’infrastructure et les services sociaux.

En quoi léconomie de Transport peut être utile pour le développement de notre pays le Bénin ?
La contribution des transports à l’économie est confirmée par des effets bénéfiques d’une infrastructure et de services économiques qui sont :
  Le développement de l’Industrie des transports
  La création et l’installation des entreprises d’aménagement et d’entretien des infrastructures et autres pour le développement des services de la logistique
  Déplacement des personnes et acheminement des marchandises
  Développement direct et indirect d’autres secteurs
  désenclavement des populations
  Création d’emplois directs et indirects

Le Bénin construit des infrastructures routières à coût de milliards, mais nous constatons que certaines de ces infrastructures se dégradent quelques années après leur mise en service. En tant qu’Expert, quelles sont les probables causes de cette situation ?
La dégradation des routes est dépendante des effets néfastes de la surcharge des poids lourds qui constituent non seulement une source de détérioration prématurée de nos infrastructures routières, mais aussi entrainent l’insécurité routière, la pollution atmosphérique, un surcoût de 20% en cas de travaux de renforcement et de reprise de ces routes.

Que savez-vous du règlement N°14/2005/UEMOA
Depuis 2005, le règlement existe mais, les transporteurs ont demandé un moratoire de deux (2) ans. Normalement, à compter du 1er septembre 2015, tous les pays devraient l’appliquer, mais hélas. La grande difficulté se trouve aux lieux de chargement. En effet, il y a la bascule, mais il n’y a pas les pèse-essieux aux points de chargement. Ce qui est incompréhensible. Il doit y avoir obligatoirement les pèse essieux au lieu du chargement pour que les transporteurs évitent les surcharges, et les pèse-essieux sur la route pour les vérifications de routine. Le règlement N°14 dit que les plateformes génératrices de fret de plus de 200.000 tonnes par an ont l’obligation de se doter de matériels spécialisés requis pour la vérification des gabarits, du poids et de la charge à l’essieu des véhicules lourds chargés dans l’enceinte de leurs plateformes et/ou établissements. Et ces services ou prestataires doivent délivrer un certificat de vérification. Au jour d’aujourd’hui, nous en sommes très loin.
Selon vous, peut-on lutter contre la surcharge ?
On peut lutter contre la surcharge en appliquant le règlement N°14/2005/ l’UEMOA si l’Etat béninois a la volonté.

Quelles sont les mesures à prendre pour lutter contre la surcharge ?
Il faut des achats des pèse à mobiles au niveau de toutes les industries de production, au niveau des péages et sur certains axes prioritaires, c’est-à-dire dont le trafic est élevé.

Si vous devez conseiller le Président de la République à prendre une mesure pour lutter contre la surcharge afin de préserver les infrastructures routières, que lui conseillerez-vous ?
Pour conseiller le Chef de l’Etat, il faut faire le diagnostic au niveau de tous les péages et pesages sur tout le territoire national. Revoir les cahiers de charges de chaque Société de gestion des ponts de péages et pesages de la République du Bénin. Il faut ensuite mettre en application le règlement N°14/2005/UEMOA. Il faut souligner que pour faire ce travail, il faut des Experts en Economie des transports pour l’efficacité de cette étude. Le Bénin est en difficulté pour l’investissement des Bailleurs dans l’infrastructure routière compte tenu de la mauvaise politique de transport et le non-respect du règlement N°14.

On parle tantôt de poids, tantôt de charge à l’essieu ou encore de gabarit… pour le profane, à quoi renvoie tout ça ?
Les roues sont portées par des essieux, il y a par exemple l’essieu avant, l’essieu moteur et les Tridems. Les véhicules les plus courants sont les T1153, appelés couramment un point l3 essieux ou Tridem. Sur un tel véhicule, la réparation du tournage est 6, 12 et 25. Comme nous le disons tantôt, les plateformes génératrices de fret doivent disposer du pont bascule pour le poids, du pèse-essieu pour la réparation de la charge et d’un dispositif de contrôle de gabarit. Si ces conditions sont remplies au départ, il n’y a pas de problème, mais la remarque que nous faisons, c’est qu’on vient a posteriori pour le contrôle, laissant ainsi suspecter un objectif mercantile. Si on veut vraiment préserver nos routes et sécuriser l’activité, il faut procéder autrement. C’est comme si l’intention inavouée était de faire payer des amendes. Quant au gabarit, il est question de la longueur, de la largeur et de la hauteur.

Un dernier mot pour clore cet entretien.
Je renouvelle mes félicitations au chef de l’Etat Patrice Guillaume Athanase Talon, Président de la République du Bénin pour la clairvoyance de sa politique de développement, surtout dans le domaine des transports et des infrastructures routières. J’invite le chef de l’Etat à saisir les experts en économie des transports pour mieux l’orienter sur la problématique de la surcharge sur nos réseaux routiers au Bénin. Il s’agit d’un problème dont la résolution serait bénéfique à tous les acteurs que ça soit les usagers, les transporteurs et surtout à l’Etat Béninois. Des études montrent que la durée de service de la chaussée serait divisée par cinq (05), c’est-à-dire trois ans au lieu de quinze ans, si tous les poids lourds étaient surchargés seulement de plus de 4 tonnes par rapport à la règlementation actuelle.
L’Etat Béninois doit prendre l’engagement de s’investir dans le respect du règlement N°14/2005/UEMOA relatif à l’harmonisation des normes et des procédures de contrôle du gabarit, du poids et de la charge à l’essieu des véhicules lourds de transport de marchandises dans les Etats membres de l’UEMOA.
propos recueillis par Isac A. YAÏ



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