Interdiction des prières sur les espaces publics : La grogne des musulmans

Adrien TCHOMAKOU 30 janvier 2017

L’interdiction d’occupation des espaces publics pour les prières du vendredi, la Joumou’a, bouscule les habitudes de la communauté musulmane à Cotonou. Le vendredi dernier, que ça soit à Zongo comme à la place Bulgarie, les forces de l’ordre veillaient au grain, les fidèles frustrés haussent le ton.

Pas de barrières sur la voie publique, encore moins de regroupement de fidèles sur l’esplanade extérieure de la mosquée centrale de Cadjèhoun. Autour de 13 heures le vendredi dernier, l’affluence souvent observée à ce lieu, obstruant la voie Cadjèhoun-Gbégamey, n’était pas au rendez-vous. Au dire de quelques fidèles qui déambulaient devant la mosquée, la Joumou’a été délocalisée vers le site de prière Idi situé derrière l’aéroport international Bernardin Cardinal Gantin. L’interdiction d’occupation des voies publiques reste le principal motif évoqué. « Vendredi passé (20 janvier, ndlr), les gens sont venus casser la mosquée de Cadjèhoun. A ce sujet, l’Imam a souhaité qu’on prie ici aujourd’hui. Tout ce que nous avons vécu ce jour-là était une grâce », dit Arouna, un fidèle musulman.
Sur le nouveau site de prière, le sermon de l’Imam de la mosquée centrale de Cadjèhoun, Issiaka Alao Ligali, s’est focalisé sur cette opération dont la communauté se dit être victime. Les mots sont soigneusement choisis, la tonalité prouve une certaine exaspération. « On est resté assis, on a parlé. On sait que le vendredi est le jour saint des Musulmans. Et c’est à midi qu’on vient avec les policiers et les gendarmes pour dégager les musulmans de la mosquée. Tout cela est-il fait exprès ? Tout porte à croire que cette opération est téléguidée. Il y a surement quelqu’un derrière. Si nous ne connaissons pas cette personne, Dieu le connait. Nous avons déjoué son piège. Il n’a pas réussi ce qu’il voulait, parce qu’on est sincère. Dans ce pays, personne ne peut payer le prix du coran. Tout le Bénin repose sur Allah. Ils connaissent la puissance du coran », fustige-t-il. Néanmoins, l’Iman joue la carte de l’apaisement et appelle ses fidèles à faire preuve de tolérance en toute circonstance. « L’épreuve que nous avons eu à Cadjèhoun certifie notre patience. Si c’était ailleurs, on pourrait assister à autre chose. Mais, comme nous étions témoins des faits, nous avons été patients et invité les gens au calme. On sait quand ça commence, mais on ne sait quand ça finit », ajoute-t-il.

A Zongo, les fidèles en colère
A la mosquée centrale de Zongo, à l’heure de la prière la devanture de la prière est quasiment vide. Pourtant, la prière a bel et bien eu lieu, cette fois, dans l’enceinte de la mosquée. Déjà à une heure du culte, un détachement de policiers avaient été déployé pour faire respecter la décision préfectorale. Après quelques minutes de vifs échanges entre policiers et certains fidèles musulmans, les responsables de la mosquée centrale de Zongo obtempèrent. « Les gens ont déployé un contingent de forces de l’ordre. Mais, puisque force doit rester à la loi, on va obtempérer. J’ai dit à mes membres de prendre leur mal en patience. Ensuite, nous allons faire le tour de la ville de Cotonou, voir si les églises aussi respectent cette décision. Si elles la respectent, tant mieux. Dans le cas contraire, la situation va prendre une autre ampleur », a dit El Hadj Youssouf Mèdadji, Chef sécurité de la mosquée centrale de Zongo. Le maire de Cotonou, Léhady Soglo descendu quelques minutes plus tard sur les lieux s’offusque également contre ladite décision et souligne la liberté pour chacun d’exercer sa foi. « Je m’inscris dans la même logique que Me Sadikou Alao qui dit que, même à Paris, on donne la possibilité à nos frères et sœurs de faire la prière du vendredi. Il faut faire en sorte que chacun exerce sa foi comme il le souhaite sans être troublé », affirme-t-il. Par ailleurs, Benoît, un usager de route, salue non seulement l’initiative, mais aussi, tire un coup de chapeau à la communauté musulmane pour son esprit de compréhension et de tolérance.

Place Bulagrie : « De l’eau jetée sur le dos du canard ! »
A la place Bulgarie à Cotonou, la prière du vendredi a bel et bien eu lieu. A 13h30, les abords du pavé et les ruelles grouillent de monde. Les fidèles musulmans, à genou, s’emploient à suivre les instructions de l’Imam Mahamadou Kabirou Garba. Mais ici, la Joumou’a n’aura duré qu’une dizaine de minutes. Dans le rang des fidèles, des voix s’élèvent pour dénoncer la décision préfectorale, surtout la fermeture de la mosquée centrale de Cadjehoun. « Je vais demander à mes frères musulmans de sortir massivement, tous les vendredis, sur toute l’étendue du territoire national pour aller prier, même dans les rues. Plus les gens sortent massivement, plus notre religion sera respectée…Ainsi, Toboula va comprendre qui sont en réalité les musulmans à Cotonou », lance l’Honorable Issa Salifou. Quant à l’Honorable Sacca Fikara, il invite le préfet à ne pas susciter des conflits religieux. « J’ai un conseil. C’est de ne pas chercher à mener une guerre religieuse contre les musulmans. J’espère que ce n’est pas la mission ni principale, ni secondaire de l’opération de déguerpissement….C’est des sentiments qu’on ne maitrise pas. Il ne faut pas contraindre les gens à ne pas pratiquer leur religion », a-t-il déclaré. En attendant, un dénouement pacifique de la crise, le collectif des Imams du Bénin, en ce qui le concerne, est à l’œuvre pour rencontrer le Chef de l’Etat Patrice Talon.



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