Interview avec Zita Tométy, chargée de projet à l'EAA : « … j’ai bravé tous mes parents, puisque je me disais que si j’avortais, j’allais mourir… »

Patrice SOKEGBE 28 novembre 2013

Déplacer des montagnes et braver la pluie et le soleil afin de trouver le chemin du bonheur relève d’un vrai parcours de combattant pour une femme. Et cette expérience, Zita Tométy, chargée de projet à l’Agence Intergouvernementale Panafricaine pour l’Eau et l’Assainissement pour l’Afrique (EAA), l’a vécu. Tenace et animée d’une volonté hors du commun, elle est déterminée à donner un sens à sa vie, malgré les équations parfois difficiles à résoudre. Mariée et mère de 3 enfants, Zita Tométy, âgée de 36 ans, est sociologue de formation et titulaire d’un Master en Gestion des projets. A travers cet entretien, cette dame nous relate les embûches qui ont jalonné son parcours et les moyens qu’elle a mis en œuvre pour en sortir grandie.

Parlez-nous des faits qui ont marqué votre parcours scolaire et universitaire
Il y a un pan que je voudrais relever. C’est un fait que beaucoup de filles ou femmes considèrent peut-être comme une fatalité. Moi, je n’ai pas suivi un cursus assez direct comme les autres. J’ai eu mon premier enfant en classe de Terminale. C’est vrai que dans le temps, lorsque j’étais tombée enceinte, tous mes parents voulaient que j’avorte. Aussi, les grossesses n’étaient pas acceptées en milieu scolaire. Mais contre toute attente, j’ai bravé tous mes parents, puisque je me disais que si j’avortais, j’allais mourir. Je me disais aussi que l’avortement était quelque chose à ne vraiment pas encourager, puisqu’une âme évoluait en moi. Dans le même temps, je voulais avoir le Bac. Mais comment faire, puisque j’étais dans un collège public de Cotonou ? Comment garder la grossesse et suivre les cours ? J’avoue que ça n’a pas été du tout facile. Déjà à partir de 4 mois, mon ventre commence par s’arrondir. Au début, j’ai du augmenté la taille de mon kaki pour éviter que cela ne se remarque vite. J’ai été obligée d’aller dans un collège privé à Cotonou. Le fait de garder une grossesse en milieu scolaire n’était pas aussi accepté dans les établissements scolaires privés. Lorsque mon ventre s’était fait plus rond, les autorités du collège n’ont pas tellement apprécié la chose. Ils se disaient que j’allais servir de mauvais exemple aux autres filles et qu’elles pourraient tomber enceinte. J’ai donc été obligée d’arrêter les cours, à quelques mois du Bac. C’est l’occasion de remercier le père de mes enfants parce qu’en ce moment, il n’avait pas une situation fixe, mais il m’avait soutenue. D’ailleurs, je vis avec lui depuis plus de 15 ans. A cette époque, malgré ses ressources limitées, il avait sollicité les services de professeurs d’Histoire-géographie, de Philosophie et de Français qui me dispensaient les cours à domicile et qui étaient rétribués par heure. Dans le collège privé, il y avait le préfet de discipline qui organisait des Travaux Dirigés et je profitais de ce créneau pour suivre un peu les cours. Malheureusement, cette année, la chance ne m’avait pas souri. J’avais accouché (d’une fille) à 20 jours du Bac et j’ai échoué à mon examen. L’année d’après, je me suis remise résolument à la tâche et j’ai eu mon Bac. Aujourd’hui, je ne le regrette pas. Je suis très fière et ça me fait vraiment plaisir, parce que j’ai mon enfant et le Bac. Il y a certaines filles qui n’avaient pas porté de grossesse en ce temps-là et qui n’ont pas pu avoir leur Bac. Je l’ai eu et ma fille fait la terminale cette année à l’âge de 15ans.

L’accident étant survenu sur les bancs, quelles étaient vos réactions, après que vos parents s’y étaient opposés ?
Ça n’a pas été du tout facile. Et le courage, j’en ai vraiment eu. Aujourd’hui, quand je fais un bilan, je me rends à l’évidence que j’étais très courageuse. Parce qu’à l’époque, c’était comme une épidémie. On était trois filles à porter la grossesse. Au finish, l’une a fait une fausse couche et l’autre a fait un mort-né.
Je n’avais pratiquement pas eu le soutien de mes parents. Ils étaient tous unanimes. Il fallait que je m’en débarrasse, parce qu’ils se disaient que si jamais, je faisais naître cet enfant, je ne pourrais plus avoir le Bac. Consciente de ce fait, je me suis dit que je ferai l’impossible pour avoir et mon Bac et mon enfant. En fait, c’était un défi. Comprenez que la grossesse n’est pas une maladie, mais c’est un état de « faiblesse relative » chez la femme. J’étais déterminée et résolue : les jours où je sentais la fatigue ou que j’étais un peu indisposée, je faisais quand même l’effort de paraître comme celle qui est bien portante. Ainsi, je suivais les cours. Donc, cela me faisait un effort supplémentaire. Aux cours de 7 heures, il fallait que je me réveille plus tôt. Dans le collège privé, avant que je n’arrête les cours, j’étais parmi les premiers à venir tôt aux cours. Et je balayais malgré mon état.
Donc, il faut vraiment du courage, il ne faut pas se laisser aller. C’est vrai qu’au moment où se concevait la grossesse, je ne l’avais pas programmée, mais je l’ai accepté et j’y ai fait face.

Aujourd’hui, vous travaillez à l’Agence EAA en tant que Chargée de projet. Comment êtes-vous arrivée à cette étape ?
C’est vrai que je n’avais pas commencé par là. Consciente du fait que j’avais déjà un enfant, avant même d’avoir le Bac, j’ai voulu aller de l’avant. Ainsi, je me suis inscrite au Campus, j’ai commencé la sociologie. J’ai juste fait mes quatre ans et j’ai eu mon diplôme. En première année, je n’avais pas suivi les cours. Je travaillais dans une agence de voyage en tant qu’hôtesse d’accueil. On en était là, quand l’agence a fait faillite. Après cela, j’ai continué avec mes enquêtes. Au-delà de ça, je faisais de petits commerces à la maison. Je vendais du Yaourt, des sucettes. En allant au cours, j’avais toujours ma glacière de Yaourt. Quand j’ai cours à 10 heures, déjà à 8 heures, je viens avec mon Yaourt que je vendais sans difficultés. Ce n’était pas une souffrance, c’était aussi un plaisir, puisque cela me donnait de petits sous. Mais il faut reconnaître qu’en tant que mère, lorsqu’on étudie, cela donne une charge supplémentaire, parce que, quel que soit votre âge, vous devenez responsable. Dans cette atmosphère, j’ai fait mes 4ans. Après cela, j’ai fait ma formation en Master.
Je suis venue à EAA en tant que stagiaire. Je n’étais pas venue en fait pour y rester. J’étais venue pour avoir la main. Mais la structure avait un projet pour lequel, elle recherchait un sociologue. Comme je suis sociologue de formation, les responsables m’ont positionné directement, même en tant que stagiaire, sur le projet. Donc, j’ai commencé d’abord en tant que Chargée de formation. Par la suite, nous avons eu encore d’autres projets et c’est moi qui étais chargée d’animer tout ce qui est formation et je continue d’ailleurs de le faire, même si le titre a changé entretemps. Actuellement, j’occupe le poste de chargée de projets.

Avez-vous déjà subi la pression d’un de vos supérieurs ?
Personnellement, je dirais non. D’aucuns peuvent avoir de problèmes avec les supérieurs, mais nous sommes dans un système où les résultats sont prioritaires. On te confie un travail, et tu le fais. Il peut toutefois y arriver qu’on te confie certains travaux qui nécessitent des heures supplémentaires. Dans ce cas, tu es obligé d’attendre, mais cela ne constitue aucunement un problème majeur.

Comment arrivez-vous à gérer votre profession et le ménage ?
C’est un peu difficile. J’ai la chance d’avoir de grands enfants (15ans, 11ans et 8ans). J’avoue que compte tenu de mon travail, je quitte un peu tard. Et j’ai eu la chance d’avoir une domestique qui est âgée. Avant que je ne rentre, elle fait à manger aux enfants. En week-end, je fais moi-même la cuisine. Mais cela ne veut pas dire qu’en cours de semaine, j’abandonne complètement la cuisine. Même si je ne le fais pas directement, je donne des instructions les matins avant de partir au boulot.

Ne manqueriez-vous pas à votre mari ?
Je ne saurais le dire. Peut-être que c’est lui-même qui va en témoigner. Mais, tout ce que je sais, c’est qu’il travaille et revient à la maison aussi tard. La plupart du temps, je suis à la maison avant lui. Il lui arrive de m’appeler surtout lorsqu’il est en mission pour savoir où je suis. Et quand je dis que je suis au bureau, il s’énerve parfois mais on fait avec.

Quelles sont vos ambitions en dehors de votre fonction de chargée de projet ?
J’ai des ambitions, mais pas politiques. Je regarde les gens faire la politique. Parfois, lorsqu’ils interviennent, je les trouve ridicules. Mon ambition, c’est d’accéder à un niveau où je serai vraiment respectée, non pas par le biais de la politique. Mais au-delà de mon travail, je pourrais créer quelque chose moi-même. Même si c’est à distance, je le ferai, et ainsi, je pourrai accroitre mon leadership et mes capacités managériales.

Qu’avez-vous à dire aux femmes qui hésitent à s’engager ?
A toutes les autres femmes, je dirais primo qu’elles doivent être courageuses. Dans le monde actuel, il n’y a pas de facilité. Il faut se battre dans la vie pour gagner son pain. Secundo, il ne faut pas forcément s’accrocher à un homme. Les femmes qui ont de telles attitudes seront malheureuses toute leur vie. Je ne demande pas aux femmes de se rebeller. Au contraire, la femme qui a un homme à ses côtés est considérée, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut rester sur place et attendre son homme. Les hommes, le savez-vous, n’aiment pas que les femmes les affrontent. Il faut alors se battre dans la douceur et il faut soutenir ce qui est bon. Tertio, je dirais qu’en tant que femme, il faut être ambitieuse. Il ne s’agit pas ici d’une ambition démesurée ou de vendre son âme au diable. Elle doit être ambitieuse, en ce sens qu’elle doit quitter une étape pour une autre. C’est vrai qu’en tant que femme, elle a beaucoup de blocages. Lorsqu’elle veut évoluer au même titre que l’homme, on lui colle beaucoup d’étiquettes. Parfois, ce sont les hommes qui lui mettent les bâtons dans les roues…Pour finir, il faudrait que les femmes s’aiment. La réalité, c’est que nous ne nous aimons pas du tout. Lorsque la femme, dans un milieu donné, est entourée rien que de ses homologues, il lui est difficile d’évoluer. Lorsqu’elle émet une idée, c’est sa propre consœur qui va la détruire. Au niveau de ma structure, il n’y a pas ce problème. Mais, lorsque je prends la vie active en général, le phénomène est criard. Si toutes les femmes étaient unies, on aurait eu une femme présidente au Bénin ; en témoigne les pourcentages lors des élections présidentielles. Ce n’est pas en allant en rangs dispersés qu’on sera plus fort. Donnons-nous la main pour être plus fortes.



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