Le commissaire Louis T. Topanou à propos des franchises universitaires : « La répression des étudiants fauteurs de troubles est légale »

Adrien TCHOMAKOU 5 mars 2014

Le commissaire principal de police Louis T. Topanou, Directeur central de la sécurité publique, s’est prononcé sur les franchises universitaires et l’intervention des forces de sécurité sur les campus du Bénin. Il ressort entre autres de ses propos que la répression des étudiants fauteurs de troubles est légale.

Le commissaire Louis T. Topanou

Monsieur le Directeur central de la sécurité publique, nous avons constaté que les relations entre étudiants et policiers sont toujours tendues, alors que l’étudiant d’aujourd’hui sera le policier de demain. Selon vous, qu’est-ce qui explique cet état de choses ?
La tension habituelle qui caractérise les relations étudiants-police a en réalité une histoire et se justifie par plusieurs raisons :
En effet, la plupart des étudiants à travers le monde entier, particulièrement en Afrique et surtout au Bénin depuis la création de l’actuelle Université d’Abomey-Calavi, alors Université Nationale du Bénin en 1972 se sont toujours mis dans la tête qu’ils sont suffisamment instruits ou en tout cas plus instruits ou plus diplômés que les hommes en uniforme qu’ils détestent et prennent pour des illettrés. Il n’était pas rare d’entendre les étudiants dire que « les hommes en uniforme sont brutaux en raison de leur formation, qu’il suffisait pour eux de courir pour porter l’uniforme ».
En ce qui concerne particulièrement ici les forces de l’ordre (Police et Gendarmerie) qu’ils ont l’habitude de voir sur les campus pour le rétablissement de l’ordre lorsque des groupuscules en leur sein le troublent, la situation est encore beaucoup plus particulière. C’est ainsi que dans la logique erronée de ces groupuscules, ils pensent à tort que la présence policière sur le campus est synonyme de violation des franchises universitaires dont ils ne maîtrisent toujours pas la signification. Dans leur logique erronée, ils estiment que c’est seulement la violence qui peut régler les problèmes. Dans ces conditions, les policiers et gendarmes qui tentent de les en dissuader lorsqu’ils sont sollicités par le Recteur en cas de troubles à l’ordre public sont automatiquement pris pour cible et font l’objet de violences de tous genres, de lapidation, de lynchage….
Malgré la considération primordiale qui guide toujours l’action des policiers et selon laquelle, les étudiants sont leurs enfants, leurs frères et sœurs, avec qui il faut toujours commencer par la négociation, l’éducation, la sensibilisation, … les groupuscules qui sèment le désordre se préparent correctement pour nuire aux forces de l’ordre et préméditent leurs violences en rassemblant des pierres, des œufs pourris, des gourdins, des armes blanches…pour en découdre avec les forces.
Les forces de l’ordre ne pouvant permettre que le désordre se produise sous leurs yeux (exemple du Recteur qui a été traîné comme un mouton par des étudiants en mouvement, le cas des étudiants qui ont fait sortir par des jets de pierres leurs collègues qui suivaient paisiblement les cours dans d’autres amphithéâtres, celui des étudiants qui détruisent des infrastructures universitaires), elles sont obligées d’agir conformément à la loi pour préserver leur propre intégrité ou celle des autres citoyens en danger sur le campus ou encore empêcher la destruction des infrastructures universitaires le cas échéant . C’est d’ailleurs ce qui ressort de l’article 1er du Décret 2005-377 du 23 Juin 2005 portant réglementation de l’ordre public aux termes duquel « le maintien de l’ordre a pour objet de prévenir les atteintes à l’ordre public et de prendre les mesures propres à le rétablir lorsqu’il est troublé ».
Pour finir, c’est de la part des étudiants eux-mêmes que naissent les tensions qui les opposent aux forces de sécurité publique qui ne peuvent être dans une logique de tension contre eux. Si tant est qu’ils peuvent revendiquer leurs droits, faudrait-il encore que ces revendications suivent les voies de droit et non la violence et la tension qui n’ont jamais réglé un problème mais qui en rajoutent à ceux qui existaient déjà.

Chaque fois que la Police intervient à l’Université, il n’est pas rare d’entendre violation des franchises Universitaires. Qu’entend-on par franchises Universitaires ?
Les franchises universitaires garantissent les libertés académiques qui protègent les enseignements. Et en la matière, le principe est la non violation des campus par les forces de sécurité publique. En effet, l’Université est le lieu par excellence de la liberté d’expression. On y accueille des jeunes de tous horizons qui ont des professeurs qui ne sont pas toujours d’accord entre eux et ils ont la liberté de jouer avec tout le spectre intellectuel disponible. On y reçoit une éducation neutre qui fait acquérir des outils utiles dans la vie courante et qui donne la maîtrise d’outils de raisonnement sans lesquels on ne peut vraiment être un citoyen assez éclairé. Dans un tel environnement, on est incité à prendre position, à construire sa vision du monde et à la défendre sans recourir à la violence, à convaincre et non à contraindre comme le font certains groupuscules d’étudiants. Ce qu’il faut que les étudiants sachent est que les franchises universitaires confèrent des responsabilités, ne sont pas une autorisation à tout faire et ne garantissent pas l’impunité. Et lorsqu’ils mettent en danger la vie ou la liberté des personnes présentes à l’Université, la sécurité des infrastructures universitaires…, le Recteur doit demander par réquisition, l’intervention des forces de l’ordre. En cas d’inaction ou d’empêchement de ce dernier et suivant certaines spécificités (présence ou non de police universitaire par exemple), l’intervention des forces de l’ordre est légale et doit cesser aussitôt que cessent les menaces ou dangers justifiant leur présence. C’est seulement intervenir sur les campus sans respecter cela qui est constitutif de violation des franchises universitaires et vous ne verrez pas les policiers et gendarmes béninois dans ce schéma. Cf. Décision Dcc 12-138 du 28 Juin 2012 : « qu’il résulte du dossier que si les franchises universitaires sont édictées pour le respect des libertés individuelles et collectives des différents acteurs de l’Université, il reste que l’exercice desdites libertés ne doit pas porter atteinte à l’ordre public ; qu’en cas de troubles à l’ordre public, l’autorité en charge de l’université a le pouvoir de requérir la force publique pour faire rétablir la paix et la sécurité ; que dans le cas d’espèce, le Recteur de l’Université d’Abomey-Calavi a fait appel aux agents des forces de l’ordre pour faire cesser les scènes de terreur, de jets d’œufs pourris, de chicottes sur les lieux de délivrance des cartes d’étudiant ; qu’en agissant comme il l’a fait, le Recteur de l’Université d’Abomey-Calavi n’a pas violé les franchises universitaires…. »

Les étudiants disposent aussi d’une police universitaire. Avez-vous de relations avec cette institution étudiante ? Sinon, pourquoi ?
En raison de la particularité de l’université qui est un haut lieu de savoir protégé par les franchises universitaires (et non un lieu public ordinaire comme les autres où la police pourrait intervenir automatiquement en cas de trouble à l’ordre public), le Recteur devrait normalement, pour une bonne administration de la sécurité sur le campus, y organiser ses forces de l’ordre pour garantir la sécurité des personnes et des biens dont il a la charge.
Mais la police universitaire dont vous parlez ici est-elle ce qu’elle doit être ? N’est-ce pas simplement le regroupement de certains étudiants qui ont volontairement et sans contrepartie choisi de sécuriser le campus à leurs heures creuses s’ils en ont vraiment ? Ont-ils vraiment les moyens de cette mission ? Peuvent-ils être efficaces dans ces conditions ? Vu qu’ils sont envoyés par leurs parents à l’Université pour étudier, cette mission est-elle vraiment la leur même si tout étudiant doit avoir des comportements sécuritaires ou dignes partout où il est ? Est-ce vraiment le Rectorat qui leur a confié cette mission qui devrait être assurée par des professionnels responsables salariés ?
Actuellement, les agents de sécurité privés recrutés par le Rectorat qui servent à l’Université suffisent-ils pour le travail ? Sont-ils vraiment organisés et disposent-ils de la formation adéquate et des moyens nécessaires ?
Pour ce que je sais de l’actuelle police universitaire, ce n’est pas en réalité cela la compréhension qu’on doit avoir de la police universitaire qui doit être une police professionnelle spécialisée à la disposition du Recteur qui ne solliciterait les forces de sécurité publique sur le campus que si cette police universitaire est débordée ou est dans l’incapacité de prévenir ou de rétablir les troubles à l’ordre public sur le campus. Actuellement, la police universitaire dont vous parlez est une institution spécialisée de l’université composée de braves jeunes étudiants bien intentionnés, qui malgré le manque de moyens matériels et financiers, essayent de faire de leur mieux dans les limites de leur possibilité pour prévenir les troubles et qui entretiennent de bonnes relations avec la police nationale, notamment le Commissariat Central d’Abomey-Calavi. Je pense qu’il y a lieu d’aider cette police à se développer pour mieux accomplir la mission qu’elle s’est fixée.

Un message à l’endroit de la jeunesse estudiantine et de toute la communauté universitaire
Je voudrais passer par ce canal pour remercier tous les enseignants pour tout le travail qu’ils abattent pour le développement de notre pays le Bénin. Quant aux étudiants, je voudrais leur rappeler que les franchises universitaires confèrent des responsabilités et ne sont pas synonymes d’anarchie. Je les invite à éviter la violence et à poser des actes responsables pour que règne la paix sur les campus. Enfin, j’invite respectueusement toute la communauté universitaire à plus de prudence sur la route, au respect du code de la route, au respect des couloirs de circulation, au port du casque à moto, à la ceinture de sécurité au volant. Chacun en promouvant sa sécurité contribue à la sécurité collective.
Propos : Adrien TCHOMAKOU



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