Le film de ce feuilleton politico-judiciaire atypique

Moïse DOSSOUMOU 5 décembre 2013

1ère partie : Le déclenchement des hostilités

Tout a vraiment commencé le Jeudi 26 avril 2012. Patrice Talon en visite au commissariat central de Cotonou pour s’enquérir de la situation de deux de ses collaborateurs gardés la veille, suite à une plainte déposée par le ministre de l’agriculture, est arrêté et gardé à vue. Le motif officiel de ces interpellations est la clarification des subventions d’intrants coton au titre de la campagne 2011-2012. L’alerte est spontanée. Hommes d’affaires, députés, avocats et partisans se mobilisent pour exiger la libération de Patrice Talon. Il passera 24 heures dans les locaux du commissariat, puis libéré. Ce vendredi 27 avril 2012, le magnat du coton béninois est sorti triomphant des locaux du tribunal de Première Instance de Cotonou.
Dans la foulée, un autre secteur d’activités de l’homme d’affaires est sur le point de lui échapper. Le contrat sur le Programme de vérification des importations (Pvi) Nouvelle génération signé par le gouvernement avec sa société Bénin Contrôl S.A. le 09 février 2011, côtoie les marches d’une résiliation unilatérale. Les enjeux sont colossaux. Plusieurs milliards de francs Cfa. Les séances extraordinaires du Conseil des ministres se succèdent et le 02 mai 2012, la rupture est définitivement consommée. Bénin Contrôl S.A. ne gère plus le Pvi.

On en était là, lorsqu’une rocambolesque affaire défraie la chronique. Cette fois-ci, les choses sont un peu plus sérieuses. Des individus sont soupçonnés de vouloir attenter par empoisonnement à la vie du chef de l’Etat. Trois personnes sont interpellées le 21 octobre 2012. Il s’agit du médecin personnel du président de la République, le docteur Ibrahim Cissé, la nièce du chef de l’Etat, Zoubérath Kora, et Moudjaïdou Soumanou, directeur général de la Sodeco, (Société de développement du coton). Présentés successivement au Procureur de la République puis à un juge d’instruction le lendemain, les trois gardés à vue sont inculpés et immédiatement déférés à la prison civile de Cotonou. Un quatrième les rejoindra plus tard. Principaux chefs d’inculpation : "Association de malfaiteurs et tentative d’empoisonnement". Dans la recherche d’éventuels complices, le parquet indexe deux personnes. Patrice Talon et Olivier Boco. Ils sont soupçonnés d’être les principaux commanditaires de ce présumé empoisonnement. Deux mandats d’arrêt internationaux sont décernés à leur encontre par le juge d’instruction. Mais un peu plus tôt, le procureur de la République Justin Gbènamèto, aujourd’hui relevé de son poste, et le commissaire central de Cotonou, actuel directeur Général de la police Nationale, Louis Philippe Houndégnon font face à la presse. Devant micros et caméras, les conférenciers brandissent les éléments de preuve à leur disposition. Ils sont constitués pour l’essentiel de flacons de produits toxiques et même radioactifs. Mercredi 24 octobre 2012 dans le journal de 20 heures de la télévision nationale. Des compléments de preuves sont brandis par l’ex commissaire central de Cotonou. Des extraits de messages téléphoniques écrits, que le présumé instigateur Patrice Talon et la gouvernante du chef de l’Etat Zoubérath Kora se seraient échangés.
Dans cette bataille médiatique, l’homme d’affaires sort aussi de son mutisme. Le lundi 29 octobre, Patrice Talon est l’invité de Radio France internationale (Rfi). Il parle de canular, d’une machination grotesque et avoue que la réelle intention de la victime est de lui nuire. Il avoue s’être échappé par la brousse, car des manœuvres étaient mises en place pour le mettre de nouveau aux arrêts. 24 heures après, c’est le chef de l’Etat qui réplique par la voix de son ministre de l’intérieur, Benoît Dègla. Sur les antennes de Rfi, l’ex patron de la sécurité au Bénin rejette en bloc les allégations de l’homme d’affaires et l’invite à rentrer au pays pour répondre des faits à lui reprochés. D’ailleurs, l’Etat béninois a déposé près la Cour d’Appel de Paris, une requête demandant son extradition.
Alors qu’on croyait l’instruction suivre son cours afin d’élucider cette affaire de tentative d’empoisonnement, une autre affaire éclate en février 2013. Deux personnes sont soupçonnées de vouloir renverser le régime de Boni Yayi. Le commandant Pamphile Zomahoun et l’expert comptable Johannès Dagnon, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, sont accusés de préparer un coup d’Etat. Ils sont inculpés et mis sous mandat de dépôt. Une fois encore, Patrice Talon est désigné comme principal commanditaire de ce présumé coup d’Etat. S’ouvre alors la bataille judiciaire visant son extradition vers le Bénin.

2ème Partie : La bataille de l’extradition
Seconde phase de cette bataille judiciaire, l’extradition de Patrice Talon. La première tentative intervient le 05 décembre 2012. L’homme d’affaires est arrêté à son domicile parisien, puis remis en liberté quelques heures plus tard, soit le lendemain. La Cour d’Appel de Paris se contentera de saisir son passeport et de le mettre sous contrôle judiciaire, l’empêchant ainsi de sortir du territoire français. La Chambre de cette juridiction qui instruit le dossier fixe sa décision au 22 mai 2013. Des marches de soutien et messes d’action de grâce au chef de l’Etat sont organisées sur toute l’étendue du territoire national. Mais, coup de tonnerre. Le 17 mai, le juge d’instruction béninois Angelo Djidjoho Houssou qui examine le fond des dossiers de tentative d’empoisonnement et tentative de coup d’Etat, rend ses conclusions. Il parle d’un non lieu général à l’égard de tous les inculpés et de leurs complices. Il ordonne en conséquence leur mise en liberté immédiate et main levée des mandats de dépôt internationaux décernés contre Patrice Talon et Olivier Boco. Une première victoire pour l’exilé béninois en France. Cette ordonnance de non lieu général fait grand bruit. L’avocat du chef de l’Etat interjette appel devant la Chambre d’accusation. Mais la journée du 17 mai a été très riche en actualité. Le juge, auteur du non lieu est arrêté à la frontière de Sèmè-Kraké. En sa possession, des valises contenant des vêtements, son passeport et un visa américain. Le magistrat soutient qu’il se rendait au Nigeria pour y passer le week-end, une thèse que réfute la police. Il est alors conduit à son domicile et surveillé de façon permanente par des hommes en armes. Ses collègues membres de l’Union nationale des magistrats du Bénin (Unamab) montent au créneau pour exiger la fin de la filature du juge. Pas question, affirme l’Etat qui dit être plutôt préoccupé par sa sécurité.
Nous sommes désormais le 22 mai, date à laquelle la Cour d’Appel de Paris devrait rendre son délibéré sur la demande d’extradition de Patrice Talon. Mais les parties doivent encore patienter, puisque la Cour reporte de nouveau sa décision au 18 septembre. La juridiction demande à l’Etat béninois le complément de certaines informations. Il s’agit de préciser, entre autres, le temps et le lieu des deux infractions et les engagements pris par le gouvernement béninois en matière de peine de mort. Avant cette échéance, un nouvel élément intervient à Cotonou. La Chambre d’accusation s’est prononcée sur l’appel de la victime. Dans leur arrêt rendu le 1er juillet 2013, les trois juges de la Cour d’Appel ont confirmé le non lieu général rendu par le juge d’instruction dans les affaires de tentative d’empoisonnement et tentative de coup d’Etat, uniquement à l’égard des complices. Les cas de Talon et de Boco ont été disjoints et la décision reportée plus tard. La Chambre d’Accusation justifie sa demande par le fait que ces deux personnes n’ont pas été entendues, puisqu’absentes du territoire national. Pour maître Joseph Djogbénou, justice a été rendue au juge Angelo Houssou.

L’accusation ne s’avoue pas cependant vaincue. Le parquet général s’est pourvu en cassation. Mais c’est suite aux dénonciations des avocats de la défense qu’on apprendra plus tard que les dossiers n’avaient jamais été transmis au parquet près la Cour suprême. Le procureur Général de la Cour d’Appel accomplira cette obligation, le début du mois de novembre.
Retour à Paris, le 18 septembre pour les suites de la demande d’extradition. Serait-ce la fin du suspense ? La Cour répond en tout cas par la négative. Une nouvelle date est donc fixée. Le 23 octobre 2013. Les différentes parties et leurs conseils se rendent à l’audience de la Cour d’Appel de Paris. Elles présentent de nouveau leurs moyens. Dans ces réquisitions, l’avocat général n’est pas favorable à l’extradition de Patrice Talon et Olivier Boco. Une position soutenue par les avocats de la défense maître William Bourdon et Maître Joseph Djogbénou. Du côté de la défense du chef de l’Etat, Maître Jean Christian Charrière Bournazel a réitéré sa demande d’extradition en rassurant la Chambre d’instruction. Cette fois-ci, les juges ont mis le dossier en délibéré et reporté leur décision au 04 décembre. Au niveau de la partie civile, c’est la sérénité totale. La défense de son côté pense plutôt le contraire et parle de la fin d’une fiction.
Les dernières heures de ce feuilleton judiciaire s’égrainent. Alors que tous les yeux sont braqués sur Paris, un nouveau pavé est jeté dans la mare. Le juge d’instruction Angelo Djidjoho Houssou, auteur des ordonnances de non lieu, s’est enfui du Bénin pour les Etats Unis. Gardé en zone de rétention pour non validité de son visa, il demande l’asile politique aux Américains. A près de six mille kilomètres de New-York, l’avenir de Patrice Talon et d’Olivier Boco se joue à la Cour d’Appel de Paris. Le 04 décembre comme prévu, les parties retournent de nouveau devant les juges. L’audience n’aura duré que quelques minutes. Dans son délibéré, la Cour d’Appel de Paris a rejeté la demande de l’Etat béninois.
Mais cette décision est-elle synonyme de la fin des ennuis judiciaires de Patrice Talon ? La réponse semble négative, puisque deux autres plaintes, l’une à Bruxelles pour trafic d’influence et l’autre, contre X, à Genève, pour blanchiment de capitaux, seraient déposées par l’avocat du chef de l’Etat Maître Charrière Bournazel. Les prochains jours réservent sans doute de nombreuses surprises.



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