Liberté de la presse au Bénin : Regards croisés des professionnels des médias

La rédaction 3 mai 2018

Le Bénin, à l’instar de la communauté internationale, célèbre la journée de la liberté de la presse. A ce sujet, plusieurs acteurs du monde des médias au Bénin se sont prononcés, au regard de la place réservée aux médias sous la gouvernance de la rupture.
Lire les impressions de quelques journalistes

Jean Paul IBIKOUNLE, Journaliste à l’Ortb
« Nous avons aujourd’hui des entreprises de presse qui n’ont pas les moyens de leurs politiques »

La question de la liberté de la presse implique beaucoup d’acteurs, les pouvoirs publics, les organisations de la société civile, les journalistes eux-mêmes. La responsabilité des pouvoirs publics, c’est de protéger la liberté de la presse. Les hommes des médias, eux, leur tâche, c’est d’utiliser cette liberté pour bien exercer leur fonction. Donc, chaque acteur de la chaine a son rôle à jouer. Les pouvoirs publics aujourd’hui, on retrouve la Haac, le gouvernement et un certain nombre d’institutions qui doivent protéger la liberté de la presse. De ce point de vue, cette année, on peut dire qu’il n’y a pas de problèmes majeurs, à part que l’exécutif cherche un peu plus à contrôler les médias. Vous n’êtes pas sans savoir aujourd’hui qu’on parle des titres siamois en matière d’information du public, où les titres se ressemblent. Ce qui porte atteinte à la neutralité de l’information qu’on doit donner au publique. Les journalistes eux-mêmes, comment se fait-il qu’ils se laissent prendre à ce piège ? C’est là la question. Et cette question pose le problème de l’indépendance des médias vis-à-vis des pouvoirs économiques. Nous avons aujourd’hui des entreprises de presse qui n’ont pas les moyens de leur politique, les directeurs de publication sont obligés de faire des contrats occultes pour faire paraitre leurs journaux. Dans ce sens, la liberté est embrigadée par celui qui donne les moyens.
Vous vous rappelez, sans faire un procès au gouvernement que dès que ce dernier s’est installé, la première chose qu’il a pu faire est de suspendre les contrats que les médias, organes de presse avaient avec le gouvernement. Après, il a sélectionné certains, à qui il a commencé par faire des contrats. Dans le même temps, la question de la fiscalité est devenue plus récurrente. Aujourd’hui, pour créer un organe de presse, c’est la Haac qui autorise. Il faut aller payer une certaine somme au niveau du trésor public. C’est vrai que c’est une prescription du code de l’information, mais tout ceci ne favorise pas la liberté. Le média, par excellence est une expression de liberté. Le journaliste doit être libre d’opiner, de dénoncer, mais dans ce contexte, souffrez qu’on vous dise que franchement nous ne sommes pas encore libres. L’état souhaité de la liberté de la presse dans notre pays n’est pas encore ce qu’il faut. Nous aurions souhaité qu’on fasse en sorte que la Haac protège la liberté au lieu de livrer des journalistes. Que le gouvernement favorise l’environnement de l’exercice de la profession du journaliste. Je ne vous cache rien, lorsque le procureur vient à la télé pour dire, désormais, les journalistes, si vous écrivez, je vais utiliser ce que vous avez écrit pour vous interpeller, si ce n’est pas vrai, je vais vous enfermer. C’est des menaces, alors que dans un pays sérieux, démocratique, ce n’est pas normal pour l’expression de la liberté de la presse.

Aurélien AISSOUN, Journaliste Cartes sur table
« Le mal est interne, il faudrait que nous nous prenions au sérieux »

Je ne vois pas s’il y a un problème qui se pose concernant la liberté de la presse. Parce qu’au moment où le Bénin était premier ou deuxième en Afrique, les autres pays aussi font d’efforts. Autant nous nous améliorons, d’autres aussi le font pour une meilleure prestation. Récemment, il y a eu le rapport de Reporters sans frontière qui a déclassé le Bénin au niveau de la liberté de presse. Par rapport à cela, je vois que dire qu’on a embrigadé certaines presses est une absurdité. Pourquoi quand les journaux écrivent pour l’opposition ou pour la mouvance, on les critique. Aucune loi n’interdit cela. Ça dépend du partenariat. Est-ce qu’on a embrigadé des personnes ? Du moment où on ne l’a pas fait, c’est déjà un effort. Moi, je dirai même que ce sont les journaux qui écrivaient pour l’ancien régime qui ont encore repris. Il revient aux professionnels des médias de savoir comment se montrer libres, parce que si vous avez des contrats occultes avec des gens, vous êtes obligés de répondre. Le mal est interne, il faudrait que nous nous prenions au sérieux. Et s’il faut tout le temps chercher à avoir des contrats avec l’Etat, on ne peut pas s’épanouir. Si nous sommes vraiment des entreprises de presse, ce n’est pas seulement l’Etat qui va nous aider à nous épanouir. Il faudrait que nous cherchions les ressources ailleurs. Nous devrions être indépendants vis-à-vis de l’Etat. L’Etat n’est pas allé à l’école de journalisme, donc ne connait pas la déontologie comme nous autres, c’est à nous de dire non.

Franck KPOTCHEME, Pdt Upmb

Je ne peux pas m’appuyer sur le rapport de Reporters sans Frontière pour apprécier l’état de la liberté de la presse. Lorsqu’on dit que nous avons été déclassés, parce que nous n’avons pas une loi dépénalisée. Je veux que nous puissions nous appesantir sur les réelles entraves à la liberté de la presse au Bénin pour pouvoir apprécier. Lorsqu’on parle de liberté, je vois que, pour une première fois, nous observons le brouillage des fréquences d’une station radio sans qu’on ne puisse intervenir efficacement. Au niveau des associations, nous avons fait ce que nous pouvons, mais sans grand résultat. La responsabilité relève beaucoup plus de la Haac qui a les moyens techniques pour constater et les moyens juridiques pour réprimer. Mais rien ne se fait. Et je voudrais profiter de l’évaluation de l’état de la presse au Bénin pour demander à toutes les autorités qui sont concernées par ce dossier de pouvoir considérer qu’au-delà de Soleil Fm, il y a que les fréquences appartiennent à l’Etat. Et par conséquent, l’Etat va-t-il assister impuissant à la prise en otage de ses fréquences sans qu’il ne puisse réagir ? Nous avons observé que ce phénomène a été également vécu par les confrères de Capp Fm, à la différence que ce brouillage n’a duré qu’une seule émission. Pour Soleil Fm, cela dure depuis plusieurs mois, sans que personne n’intervienne. Si l’Etat pense que le dossier n’est pas de son ressort, qu’adviendra-t-il lorsque la chaine publique sera assiégée ?

Alexandre BESSAN, Journaliste Jpsport
« L’accès à l’information n’est plus trop difficile comme autrefois »

Au fil des années, on sent une certaine liberté de la presse. La liberté s’exprime d’abord par la multitude et la pluralité d’organes de presse, que ce soit la radio, la presse écrite et même le web. On sent que l’information passe bien, et on remarque un effort au niveau du traitement. L’accès à l’information n’est plus trop difficile comme autrefois où seulement certains journalistes considérés comme attachés de presse ont droit à l’information. Par contre, d’autres n’ont pas accès à ces sources d’informations…De nos jours, il y a une sorte de rétention de l’information. Lors des investigations, le journaliste n’a pas vraiment accès à l’information. Surtout dans les administrations. On lui exige soit une carte de presse, une accréditation ou une demande d’audience. Dans ce contexte, les procédures administratives ralentissent considérablement l’enquête. Pire, on lui propose de donner des pots de vin pour qu’on lui fournisse ces informations.
Un journaliste qui aime son métier doit s’interdire de signer des contrats qui vont l’amener à prendre partie. Il doit écrire des commentaires sans prendre position d’où l’impartialité et l’équilibre de l’information. C’est évident que les rumeurs deviennent des informations, et ceci est très remarqué avec le régime de la rupture. C’est cela qui fait qu’on est confronté à d’énormes difficultés, car on a des doutes sur la crédibilité de l’information. Personne ne sait si l’information est de source officielle ou non car, compte tenu du code de déontologie et d’éthique et de l’avènement du code du numérique, on se méfie beaucoup. D’où la réticence dans la publication de l’information.
Propos recueillis par Laurice Akueson, Cornelia Houngbédji, Elyette De SOUZA



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