Mathieu Tognidè, Directeur du Centre national hospitalier de psychiatrie de Jacquot : « ...Beaucoup de maladies du corps peuvent conduire à une maladie mentale... »

Géraud AGOÏ 11 juin 2013

Mathieu Tognidè est psychiatre et psychologue agrégé. Nommé à la tête du centre national hospitalier de psychiatrie de Jacquot depuis 3 ans, l’homme dans sa vision, s’est promis d’insuffler au centre, une nouvelle dynamique pour lui éviter toute stigmatisation et accroître sa fréquentation. Mais c’était sans compter avec les nombreuses difficultés qui parfois mettent à mal, le sacerdoce du personnel du Cnhp. Il expose ici quelques une de ces difficultés et les dispositions prises pour les juguler.

Le nom ``Jacquot’’ que porte le Centre psychiatrique que vous dirigez fait référence, pour bon nombre de citoyens, à l’asile de fous construit quelque part dans Cotonou. Dites-nous Professeur, quelles catégories de patients accueille le Centre et pour quels soins ?

Le centre ne doit pas s’appeler, en principe, Jacquot. Pour la petite histoire, c’était un endroit réquisitionné par le gouvernement dahoméen d’alors, en 1932, pour héberger une entreprise de construction de l’aéroport international de Cotonou, aujourd’hui aéroport international Cardinal Bernadin Gantin, et qui s’appelait : Entreprise Jacquie Jacquot. Cette entreprise avait construit des bâtiments qui sont encore là pour abriter le matériel et le personnel. Après le départ de l’entreprise, l’Etat a encore réquisitionné le domaine et a commencé par y mettre les malades rejetés : les lépreux, les malades mentaux etc. C’est à partir de 1940-1945 qu’on a commencé par y héberger essentiellement les malades mentaux. En ce moment, c’était un asile. Ils étaient dans des cellules et entassés. On ne s’occupait pas d’eux. Ce n’est que vers les années 80 que ça a été humanisé par le décret 90 du 14 novembre 1990 et qui lui a donné un statut. On l’appelait Centre national hospitalier neuropsychiatrique. Jacquot est donc le prénom de cette entreprise qui a fini par désigner le centre et tout le quartier. Nous avons décidé de l’appeler Centre national hospitalier de psychiatrie de Cotonou (Cnhp), en attendant que l’Etat nous donne un nom comme c’est le cas avec le Cnhu. Pour revenir à votre question, je dirai que nous accueillons toutes les catégories de patients. Quand on parle du centre de psychiatrie de Jacquot, les gens pensent uniquement aux fous, ce que dans notre jargon, nous appelons les psychotiques. J’ai diligenté une thèse de Doctorat en médecine sur l’étude panoramique des affections traitées dans le centre et nous avons constaté que ce sont les déprimés qui sont les plus importants. Ce que la population oublie, c’est qu’il y a les consultations à titre ambulatoire et les consultations hospitalisations. Donc, nous recevons toute la panoplie de maladies mentales. Si vous et moi, nous avons quelques soucis qui nous déstabilisent, si nous avons quelques maladies somatiques, des problèmes de toxicomanie, des problèmes du corps que nous ne nous expliquons pas, vous pouvez venir nous voir. Donc pour toute affection qui soit de l’ordre du mental ou de l’esprit, vous pouvez venir nous voir.

Le centre est à vocation sous régionale. Qu’est ce qui aujourd’hui, dans les faits, confirme ce statut ?

C’est le seul centre public national spécialisé en psychiatrie au Bénin. Une vocation sous régionale parce que nous recevons près de 10 nationalités de malades. Dans les autres pays, il y a des centres, mais les malades psychotiques, dans leur errance n’ont pas de frontière. Et je puis dire humblement, qu’avec le travail de tout le personnel du centre, nous constatons que d’autres pays nous envoient leurs malades. Nous recevons les malades du Congo Brazzaville, du Congo Kinshasa, du Gabon et du Cameroun. Et pour ce qui concerne les malades errants, nous avons les malades du Togo, du Burkina, du Nigeria, du Ghana, bref de tous les pays limitrophes. Autre chose, lorsqu’une autorité de haut rang, par exemple lorsque le Pape Benoît XVI venait à Cotonou, l’Etat est obligé de faire la rafle des malades errants et de les amener au centre.

Comment s’organise le centre pour accueillir les personnes psycho dépressives et comment se fait la prise en charge ?

L’un des volets fondamentaux de ce centre, ce sont les soins. Nous avons deux autres volets qui sont : la recherche et l’enseignement. En ce qui concerne l’enseignement et la recherche, nous recevons beaucoup de stagiaires, de Dess en psychologie, d’infirmiers d’Etat des pays limitrophes et même des pays occidentaux qui viennent faire leur stage ici. Pour ce qui concerne les soins, nous réservons aux malades un bon accueil et une bonne écoute. Nous faisons en sorte que les relations soignant-soigné soient bien huilées. Et quand on fait tout ceci, le malade est déjà à « 40% » guéri. On croit souvent que les malades sont là et qu’on les abandonne. Ce n’est pas le cas. Après cette approche, nous mettons en place, si c’est nécessaire, un traitement médicamenteux. Après le traitement médicamenteux, nous utilisons une autre approche fondamentale pour nous : la psychothérapie. C’est le traitement de l’autre par la parole. Parce que chez le malade psychotique, ce n’est pas quelque chose qui est cassé, c’est l’esprit qui va mal. Il faut pouvoir entrer dans son esprit et dans sa personnalité pour que devant les difficultés existentielles, il ne craque pas. Enfin nous faisons, la réinsertion socio familiale et professionnelle.

Comment une personne normale devient-elle psycho dépressive ?

(Rires). Il y a beaucoup de facteurs qui expliquent la survenue de la maladie mentale. Chacun de nous a été éduqué dans une famille donnée. Lorsqu’avec les parents, les choses ne se sont pas bien passées, lorsqu’on a été confronté à des fragilités ou des failles, tout ceci a des répercussions sur la personnalité. Et en grandissant, devant les difficultés de la vie, l’individu peut craquer. Mais il y a d’autres facteurs : les facteurs d’ordre génétique, les traumatismes (si vous faites un accident par exemple). Il y a beaucoup de maladies du corps qui peuvent amener une personne à faire une maladie mentale.

Le centre dont vous avez la responsabilité n’a-t-elle qu’une politique curative ?

Vous voulez parler de la prévention, n’est-ce-pas ? C’est l’un de mes credo. Je dis toujours qu’il faut promouvoir la santé mentale par la sensibilisation. Le 10 octobre de chaque année, nous organisons une journée de sensibilisation et d’information dans le cadre de la journée mondiale de la santé mentale. Aussi, après avoir traité un patient, nous essayons de voir sa famille pour faire de la sensibilisation. Nous leur disons ce qu’il faut faire pour ne plus en arriver là. Parce que les patients ne sont que les malades désignés de la famille.

Quel est le rythme d’affluence dans ce centre pour quelle catégorie de malades ?

C’est une très bonne question. Les gens pensent que nous recevons seulement les psychotiques. Mais nous recevons au prime abord, les déprimés. Ils représentent à peu près 35%. En termes de consultation, il y a des jours où nous recevons jusqu’à 70 ou 80 patients. Les lundis et les jeudis par exemple, les malades psychotiques occupent le 2ème rang. Nous recevons aussi les autres affections : les dépendants aux substances psychoactives (toxicomanes, alcooliques), les malades psychosomatiques (les maladies du corps qu’on n’arrive pas à expliquer), les troubles bipolaires et beaucoup d’autres affections. Et lorsqu’on reçoit tout ce monde là, il y en a qui sont hospitalisés mais d’autres sont traités à titre ambulatoire.

Vu la délicatesse du mal dont vous vous occupez, disposez-vous suffisamment de moyens humains et matériels pour mener au mieux votre mission ?

Nous avons d’énormes difficultés. La 1ère difficulté, c’est l’immobilier. Le taux d’occupation de nos lits représente à peu près 130%. C’est au dessus de nos capacités. Nous avons 120 lits pour 215 malades aujourd’hui. Et lors des pics, quand l’Etat fait des rafles et nous amène les patients, nous pouvons aller jusqu’à 290 voire 300 malades. Nous avons des difficultés infrastructurelles. Les bâtiments sont vétustes. Parfois quand il pleut les bâtiments sont infiltrés d’eau et l’eau coule sur mes malades. J’en ai la chair de poule. Je vis ça très mal, ça me perturbe énormément. Les toilettes des patients sont mal placées selon moi. Quand il pleut, le centre est inondé, ceci expose les patients à des risques de maladie hydrique. Vu que les bâtiments sont vétustes, on a des problèmes d’électricité. Il y a le problème de matériel roulant et de liaison. Le Cnhp dispose d’un seul véhicule acheté en 2001, celui du Directeur. On n’a pas d’ambulance et lorsqu’un malade nécessite une évacuation, c’est le véhicule du Directeur qu’on utilise. Nous manquons énormément de médicaments. Il faut pour les malades psychotiques, des médicaments de longue durée. Quand il n’y en a pas, nous leur donnons les médicaments de base. Il y a aussi le manque de personnel. Nous n’avons que deux psychiatres que sont : le Directeur et l’Adjoint du directeur. D’ailleurs, tout le personnel soignant fait exactement 10. A cause de la stigmatisation du centre, les collègues qui sont affectés ici ne se bousculent pas pour venir et d’autres, après quelques jours, demandent une autre mutation. Nous manquons d’équipements. Il n’y a pas de salle de laboratoire. Pas d’oxygénateur pour les malades en crise. C’est vrai que l’Etat nous a donné des tables et des bancs et par l’entremise de l’opération 120 jours pour équiper nos hôpitaux, deux spectrophotomètres. Nous avons des problèmes de denrée alimentaire. J’en profite pour remercier les donateurs qui sont dans cet élan de solidarité et d’amour. Parce que, lorsque les malades prennent leurs produits, ils ont beaucoup faim. Et pour veiller à ce qu’ils mangent correctement, je passe ici les samedis et dimanches pour vérifier. Nous manquons aussi de moyens financiers pour mettre en œuvre notre vision pour le centre. J’aimerais par exemple, fabriquer des bancs pour mes patients, mettre en place des cabines bien structurées, une bibliothèque pour les étudiants qui viennent en stage ici.

Quelle est la politique mise en place, en interne, qui concilie alors besoins et moyens disponibles ?

Nous faisons la politique de nos moyens. Du point de vue des soins par exemple, nous faisons appel à des donateurs. Nous écrivons beaucoup aux partenaires, aux personnes ressources qui sont dans des pays comme l’Allemagne et qui essaient de nous envoyer des produits importants. La France nous envoyait des produits, mais elle a cessé. J’ai commencé par recruter sur fonds propre du personnel, pour commencer à bien faire le travail. Nous sommes rigoureux dans la gestion des dons qui nous parviennent parce que tout malade doit bien manger.

Avez-vous un appel à l’endroit des autorités sanitaires ?

Je dirai aux autorités qu’elles font beaucoup à travers le ministère de la Santé. Mais compte tenu du fait que c’est un centre à caractère social, il faut investir un peu plus. Il y a assez d’indigents. Même lorsque la personne n’a rien du tout, nous sommes obligés de la prendre en charge. C’est une mission régalienne de l’Etat d’assurer la santé mentale à tout le monde. Donc, il faut augmenter un peu plus le fonds d’indigence et les fonds alloués au centre en général. Ceci nous permettra d’élaborer une politique sur fonds propre pour nos problèmes de denrées et autres. Je sais que les autorités ont un œil attentif sur le centre, mais il faudra le dynamiser un plus.

Un mot à l’endroit de ceux qui stigmatisent le centre

La stigmatisation du centre et du personnel soignant n’est du tout pas bonne du tout. C’est un centre pour tous. Si vous avez un petit souci pour lequel vous êtes insomniaque, venez nous voir. Vous avez constaté que les locaux sont propres. Parce que la santé mentale c’est la propreté, la beauté. Le ministère de la Santé, il y a 2 ans, nous a décrété hôpital le plus propre. C’est donc un hôpital comme tous les autres.

C’est inutile de stigmatiser, de discriminer, de rejeter le malade mental. Nous invitons la population à prendre soin de leur malade. Il y en a qui tiennent des langages du genre « Je vous l’ai donné. Prenez-le ». Cet effritement de la solidarité familiale nous inquiète en tant que psychiatre. J’organiserai bientôt des journées portes ouvertes pour permettre à la population de comprendre les choses. Je voudrais aussi lancer un appel à l’endroit de l’Etat qui nous aide beaucoup par l’entremise du ministère de la Santé et à la ministre de la Santé qui à titre personnel, nous aide aussi beaucoup. Mais il faudra faire un peu plus pour une meilleure prise en charge des malades.



Dans la même rubrique