Me Bastien Salami au sujet de l’importation illicite de médicaments : « Ce dossier n’a rien de politique »

Adrien TCHOMAKOU 8 mars 2018

Conseil de l’Agent Judiciaire du Trésor qui représente l’Etat béninois dans le dossier relatif aux grossistes de produits pharmaceutiques, Me Bastien Salami fait le point de l’audience du 06 mars dernier. L’Avocat au Barreau réfute les accusations de chasse aux sorcières et rassure le peuple béninois de ce que la justice fera son travail et que le verdict est prévu pour mardi prochain.

Que peut-on retenir de l’audience du mardi dernier au palais de justice ?
Le 6 mars 2018, le tribunal de première instance de Cotonou, en sa chambre correctionnelle, a connu du dossier relatif aux grossistes et commerçants de produits pharmaceutiques sans en avoir l’autorisation. Les débats ont tourné, non pas autour des faux médicaments, mais autour de l’importation et de la distribution des produits pharmaceutiques au Bénin.
Spécifiquement, le Procureur de la République a démontré qu’il y a un laboratoire pharmaceutique dénommé ‘’New Cesanex ’’. C’est une société indienne dont la succursale se trouve à Kinshasa et auprès de laquelle les grossistes béninois ont pour coutume de commander des médicaments. Le Procureur a démontré que la société ‘’New Cesanex’’ a certains produits génériques agréés par le Bénin pour être importés. Selon la législation béninoise qui date 1973, un pharmacien ne peut importer de médicaments sur le territoire béninois qu’en passant par un grossiste. C’est seulement les grossistes qui peuvent importer. Pour que ces grossistes importent ces médicaments au Bénin, il va falloir obtenir de la direction des médicaments l’autorisation d’enlèvement dès que le produit est sur le territoire national, à savoir le port ou à l’aéroport. Cet importateur doit donner la preuve de ce que le produit est bien rentré, en produisant le bordereau de livraison, et éventuellement le connaissement qui indique la quantité et la provenance et toutes les indications possibles sur la marchandise.
Mais ce qui s’est passé et qui fait l’objet de débat aujourd’hui, c’est qu’on s’est aperçu que des produits sont importés au Bénin sans qu’on ait la traçabilité de leur passage au port ou à l’aéroport. Avec New Cesanex, des commandes ont été effectuées par des grossistes par mail. Et dans la même journée, des quantités de marchandises se retrouvent déjà dans le dépôt de ces grossistes. De sorte qu’il y a lieu de se poser la question de savoir s’il y a des drones ou d’autres formules pour acheminer les marchandises sans qu’on ait la traçabilité au cordon douanier. Il y a un doute épais qui entoure l’importation de ces marchandises.
Mais pour leur défense, les grossistes estiment que quand ils ont effectué les commandes sur Kinshasa, la société New Cesanex leur dit de se rabattre sur un collègue grossiste qui a déjà la quantité demandée qu’il pouvait leur donner en dépannage. C’est ahurissant. Ça sort de tout entendement que des quantités aussi importantes de marchandises soient déjà en la possession de leur collègue.
En un mot, les débats ont révélé que la société New Cesanex a sur place un représentant qui, sur instruction de la Direction à Kinshasa, livre à des grossistes à partir d’un dépôt qui n’est pas déclaré. Or, la législation en matière de médicaments interdit que quelqu’un qui n’est pas pharmacien puisse manipuler et détenir des produits pharmaceutiques. De sorte que tous ceux qui se sont approvisionnés auprès du représentant de New Cesanex au Bénin se trouvent en marge de la législation. On ne peut pas dire qu’ils ne compromettent pas la santé ou ne violent pas la législation. C’était la démonstration du procureur général et c’était aussi cela la position de l’Etat béninois.
La partie adverse a parlé des prévenus qui sont poursuivis pour ce maniement des médicaments dans des conditions peu orthodoxes. La défense a trouvé que c’est l’Etat béninois qui n’a pas joué son rôle et que cette faille a pu profiter aux grossistes. Avec les échanges, le dossier a été mis en délibéré pour être rendu le 13 mars prochain. Je dis au passage qu’une demande de mise en liberté provisoire a été faite par les Avocats des grossistes et des prévenus, mais elle a été rejetée.
En matière de peine, le Procureur a requis 6 mois à 5 ans, puisque c’est ce que la loi a prévu. Les grossistes risquent jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et les menus fretins environ 6 mois et des amendes. Ceci n’est pas encore la décision. Ce n’est que les réquisitions du ministère public. Le tribunal collégialement composé rendra sa décision le 13 mars prochain.

Combien sont-ils au total à être poursuivis dans le dossier de faux médicaments ?
Une dizaine de personnes dont 5 ou 6 grossistes béninois et des représentants de New Cesanex, il y a des cabinets médicaux qui vendent ces produits sans en avoir l’autorisation. Le directeur des pharmacies et des médicaments est poursuivi sans mandat. Malgré l’étroitesse des moyens dont ce dernier dispose, il a quand même permis de faire beaucoup d’avancées dans cette affaire de faux médicaments.
Le débat n’a pas vraiment porté sur la qualité des médicaments, plutôt sur le trafic non contrôlé par l’Etat, les structures concernées, la violation des conditions d’acheminement de ces médicaments. Dès lors que le médicament n’a pas suivi la traçabilité requise, il ne peut être authentifié. Il peut y avoir un doute sur la qualité de ce médicament, parce que c’est un produit chimique. Lorsqu’il est mal conservé, il peut se transformer en poison. Le professionnel de la pharmacie doit rester dans le strict cadre pour préserver la nocivité du médicament.

Est-ce une chasse aux sorcières comme le pensent certains ?
Je voudrais rassurer le peuple béninois que les débats ont révélé que ce dossier n’a rien de politique. Ce dossier n’a rien de chasse aux sorcières. Ce dossier nous renvoie devant notre propre miroir. Sommes-nous dignes de faire une société équilibrée, une société égalitaire où il n’y aura de forts et de faibles ? Voulons-nous d’un Bénin où on peut être sûr qu’on a des médicaments de bonne qualité et non des poisons ? Je sais que la majorité des médicaments servis dans les pharmacies obéissent à la règlementation. A travers les différents débats, nous nous sommes rendu compte que c’est un épiphénomène qu’on ne peut pas généraliser. Les pharmacies ne vendent pas tous des médicaments de mauvaise qualité.

Un appel à l’endroit des populations
Je voudrais rassurer les populations qu’elles peuvent aller tranquillement et rien que dans les pharmacies acheter des médicaments. Parce que c’est le pharmacien qui a la garantie de la bonne qualité des médicaments. Je voudrais que l’apaisement revienne, que l’on ne confonde pas les médicaments de la rue avec ceux vendus dans les pharmacies. Celui qui achète des médicaments de la rue n’est pas en sécurité. Nous devons alors assainir cet environnement. C’est vrai qu’il y a des brebis galeuses. Je pense que la décision qui sortira de cette procédure sera une décision pédagogique. Ce n’est pas pour régler des comptes. Je ne sais ce que le juge va rendre comme décision. Mais quelle que soit la décision, les Béninois vont s’y retrouver. Parce qu’il y a des fautes qui ont été commises. Il faut sanctionner et que les torts soient réparés au nom du peuple béninois.
Propos recueillis Adrien TCHOMAKOU



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