Me Huguette Bokpe au sujet des violences faites aux femmes « On a assez réfléchi, passons à l’action en conjuguant nos efforts » :

Fulbert ADJIMEHOSSOU 8 mars 2018

Avocate de profession depuis 25 ans, Me Huguette Bokpe, épouse Gnacadja est une activiste avéré de promotion des droits de l’Homme et des femmes. En prélude à la journée internationale de la femme, elle présente ici l’état des lieux des violences faites aux femmes, les forces et faiblesses de la loi et appelle à une synergie d’actions pour éradiquer le mal. La coordinatrice nationale du Réseau Wildaf-Bénin situe également les responsabilités dans la crise de grossesses qui secoue l’école béninoise.

Quel état des lieux peut-on faire des violences faites aux filles et aux femmes au Bénin ?
C’est un état des lieux qui reste insatisfaisant mais qui ne m’inspire pas personnellement de complainte. Ce n’est pas un chemin facile. Aucune transformation des mentalités des habitudes séculaires n’est facile à réaliser. Il y a des aspects sur lesquels on a avancé, mais il y en a d’autres sur lesquels on piétine, où on se demande si on n’a pas reculé. Mais je reste optimaliste. C’est un combat qui revêt plusieurs aspects. Et ce n’est que la conjugaison des efforts qu’on peut faire évoluer les choses.

Sur quels aspects a-t-on évolué aujourd’hui ?
L’aspect sur lequel on a évolué, c’est celui de la mise en place du cadre législatif, un cadre qui est parti d’un coutumier du Dahomey et qui nous a amené progressivement au code des personnes et de la famille, à une loi portant prévention et répression des violences faites aux femmes, et encore plus récemment à un code de l’enfant. Aussi, d’une certaine manière, il y a aussi à la mise en place d’un mécanisme institutionnel tels que des politiques, plans et programmes pour la lutte contre les violences faites aux femmes dont la campagne Tolérance Zéro. Il y a aussi l’installation au niveau communal et départemental, de structures décentralisées du Ministère des affaires sociales, de centres de protection sociale et de services d’accueil et d’écoute des victimes au niveau des communes.
Ce qui peut-être piétine, c’est l’application effective des lois. Il est vrai que la loi portant prévention et protection des violences faites aux femmes a prévu la mise en place d’un certain nombre de structures au nombre desquelles on peut se réjouir que les trois centres de prise en charge de victimes de violences basées sur le genre de Cotonou, de Goho et Parakou dont la gestion a été exercée de 2014 à 201 7 par Wildaf-Bénin. On peut se réjouir aussi de ce qu’actuellement un mouvement de réhabilitation des Cps est en cours et que progressivement une certaine génération de magistrats, d’avocats et d’officiers de police judiciaire, grâce aux actions de formation, de recyclage et de sensibilisation est au parfum du contenu de ces lois. Mais il est vrai que nous ne sommes pas encore à un niveau d’application libre de ces lois.

Qu’est ce qui justifie alors que le phénomène persiste ?
Il y a une persistance d’habitude et de mentalités ont du mal à se faire à l’idée que, au regard du contenu de la loi, ce n’est plus une affaire de famille et que frapper une femme est devenue une infraction, marier de force une mineure également. On peut aller en prison pour avoir fait de pareilles choses. A ce niveau, on peut se désoler de ce que le règlement à la muable continue de prévaloir sur l’application de la loi, qui participe également de l’éducation des populations et aux changements de mentalité.

Est-ce que le silence des victimes et leur préférence pour le règlement à la muable n’en est pas pour quelque chose ?
Ce n’est toutes les victimes. Il y a une certaine catégorie de victimes qui a du mal à demander l’application de la loi. C’est normal. Si vous prenez une femme qui est financièrement autonome, elle aura moins de mal à déposer une plainte contre un homme qui l’a bat depuis 15 ans et qui a à son endroit une attitude discriminatoire qu’une femme qui défend exclusivement financièrement de son mari. Comme nous le constatons dans bien des cas, quand nous retrouvons les femmes dans les centres de prise en charge de victimes de violences basées sur le genre, il y a en a qui une fois déposée la plainte ne peuvent plus se retourner chez elles. Elles savent qu’en déposant la plainte, elles donnent ainsi la possibilité au mari de déposer une requête en divorce ou même de les chasser du domicile conjugal, parfois en gardant les enfants ou en chassant les enfants également. Cette catégorie de femmes à un moment du parcours fini par dire, n’allez pas trop loin. Je veux juste qu’on tire un peu les oreilles à mon mari, sinon je ne pourrai pas y survivre. Tandis que les autres savent qu’elles ont un pied à terre et ont la possibilité de s’offrir un cadre d’hébergement transitoire. Nous ne sommes malheureusement pas encore à un niveau où les institutions dont je viens de parler ont pris des dispositions pour qu’il y ait des centres d’hébergement. Tant qu’on ne va pas de façon cohérente trouver les lieux qui vont accueillir les femmes qui ont le courage de se plaindre mais qui n’ont pas de moyens de se prendre en charge d’une une période difficile comme celle-là, on ne pourra qu’enregistrer la stagnation et peut-être même le recul.

Concernant toujours l’état des lieux, qu’en est-il du mariage forcé aujourd’hui ?
Il y a une conscience croissante de ce que c’est que le mariage forcé et de ce qu’il constitue une infraction. Les femmes ont de plus en plus conscience quand on les amène à un mariage forcé qu’elles ont le choix et que ce n’est pas la seule manière de se marier. Il a fallu que les femmes prennent conscience qu’elles ont une autre alternative.

Mais les mineurs n’ont pas cette possibilité de dire non au mariage forcé
Certes, les mineurs n’ont pas cette possibilité et c’est pourquoi la loi est encore plus sévère les concernant. Nous menons ce combat pour que d’une part les parents aient conscience qu’on ne marie pas de force, mais ensuite que dans tous les cas, on ne marie pas une mineure même avec son gré. C’est un chemin qui est entrain d’être parcouru. Ce sont des types d’infractions assez spéciaux parce que les auteurs sont des proches. Et dans l’application de la loi, plus on est proche, plus la loi est sévère. En même temps, au plan sociologique, plus l’auteur de l’infraction est proche de la victime, plus difficile il est de franchir le rubicond. C’est une problématique assez complexe et pour laquelle il faut une application ferme de la loi et du partage de la compréhension que ce n’est plus juste une pratique traditionnelle mais que c’est devenue une violation de la loi.

Quelles sont les forces et faiblesses de la loi sur les violences faites aux femmes et aux filles ?
Les forces, c’est déjà que le contenu de la loi est plus large que possible. Ce qui fait qu’on peut englober beaucoup de choses. On sait que le mariage qui n’est pas célébré devant l’état civil n’est pas légal. Le code des personnes et de la famille ne reconnait que le mariage célébré devant l’officier d’état civil. Ainsi, si on amène une mineure devant l’officier d’Etat civil, il va refuser. Mais l’avantage de notre loi est qu’elle va plus loin en prenant en compte tout ce qu’on continue de considérer traditionnellement comme mariage, dont la dot. Même si dans le code de la famille, on s’est dit qu’il ne faut pas interdire la dot mais c’est devenu symbolique et ne saurait être considéré comme un mariage. Par analogie, on considère que donner la dot à un mineur est un mariage. C’est le commencement d’exécution du mariage. On va le puni comme si c’était un mariage porté devant l’officier d’état civil. Donc toutes les situations considérées comme du concubinage et n’ayant aucune valeur juridique vont être considérées pour qu’on puise appliquer la loi. Si on doit attendre que quelqu’un amène un mineur devant l’officier d’état civil, alors on va laisser se dérouler pleins d’unions et de situations de concubinage dans lesquelles on jette les filles mineures. La loi a cet avantage là. Mais c’est son application sui se heurt à de la résistance. Il y a de la pression sur les parents pour qu’ils n’écoutent pas les Ong quand on est alerté, et préféré que ca se fasse en catimini, deux ou trois semaines après sans que nous ne soyons informé. On a du mal ainsi à appliquer la loi, parce qu’on continue de penser de penser que l’affaire de la famille et ca se doit d’être régler en famille. Parfois même quand on arrive à avancer, c’est au niveau du commissariat qu’on est freiné. Des fois, c’est le commissaire même qui est limité dans sa compréhension de la chose et estime que comme dans l’ancien temps, c’est à régler en famille. Dans d’autres cas, il veut bien mais il subit une forte pression de la famille. On peut arriver à lui faire franchir cette étape, et qu’il transmet le dossier au niveau de la juridiction. On peut avoir un magistrat qui a été sensibilisé et qui veut appliquer la loi mais on peut se retrouver en face d’une victime qui dit qu’on est déjà allé loin à ce stade et qu’il faut laisser tomber. Donc on se retrouve sans plaignant. Or il faut des cas spécifiques pour que le procureur puisse s’autosaisir. Ainsi, tout doucement, la procédure se meurt. Voilà les difficultés que nous avons. Sinon que nous avons un excellent cadre législatif. Ce n’est qu’une question de temps. La sensibilisation est forte, la campagne tolérance Zéro est forte. Le Gouvernement, la société civile, les magistrats, les médecins qui interviennent aussi sont engagés. Il y a une sorte d’alerte qui va amener à une volonté collective.

Nous sommes passés du phénomène d’harcellent en milieu scolaire à une crise de grossesses dans les écoles. A qui la faute ?
Les responsabilités sont à situées au niveau de tout le monde. A la faveur d’une formation que j’ai donnée pour le compte d’une Ong qui s’occupe de la question d’éducation à la santé sexuelle, en milieu scolaire, j’ai découvert qu’il avait plusieurs catégories de victimes et d’auteurs. Et à partir de cette formation, j’ai compris que les responsabilités étaient partagées.
D’abord, il y a la responsabilité de l’État. La responsabilité de l’Etat pour l’éducation des enfants, notamment sur une éducation à la sexualité cette responsabilité n’est pas suffisamment exercée. Il y a beaucoup d’ignorants sur ce point au niveau du milieu scolaire, qui est très peu informé au sujet de la sante sexuelle et de la reproduction et au sujet des violences sexuelles réprimées par la loi. Les élèves eux-mêmes ignorent la loi et ne savent pas comment mener une sexualité le plus tard possible. Cette situation est également due à la pauvreté. Dans la catégorie d’adolescentes filles victimes de grossesse en milieu scolaire, il y a celles issues de parents pauvres qui n’ont pas toujours les moyens de leur donne l’argent de la recréation ou de Zémidjan. Ça veut dire que les adolescents marchent. Généralement, les garçons probablement ne sont pas exposés probablement au même titre que les filles. Un jeune garçon pourrait facilement s’attacher par exemple à un Zémidjan qui ne lui demandera rien en retour que de le rembourser de l’argent. Mais à la fille, qui va solliciter un dépannage de temps à autre pour qu’on la dépose à l’école, on peut lui demander une faveur en retour. Le Zémidjan qui est plus sensible à une fille qu’à un garçon, va sentir l’envie, en plus de la déposer de lui trouver quelques sous pour manger. Et dans l’entretien de ce lien, viens la question relations sexuelles en retour. La fille peut tomber enceinte. Donc pour cette catégorie, c’est le besoin qui favorise la chose. Mais, il y a une autre catégorie qui n’a pas véritablement un problème de besoin, mais qui est poussée par la convoitise. Elles ne manquent pas de moyens pour prendre leurs goutés mais tombent facilement dans les mains de ces jeunes qu’on appelle communément Gayman. Elles nouent des relations avec ceux-ci parce qu’ils leurs promettent les amener en week-end manger de la glace, aller en boite ou dans des hôtels, et qui leurs promettent téléphone portable dernier cri. C’est le besoin de posséder des choses qui sont à la mode. Ces adolescents n’ont pas compris que c’est un cercle de pervers et tombent dans ce piège.
Maintenant il y a aussi la catégorie des des adolescentes qui tombent enceinte de leurs camarades les élèves. On s’amuse en fait. C’est des enfants qui manquent d’éducation et dont les parents ne surveillent pas les aller et venir. On devient copain copine, ça s’entretient on rentre dans une vie sexuelle active sans aucune responsabilité, on se retrouve enceinte d’un élève. Il y a aussi une dernière catégorie. C’est-à-dire celles qui se jouent les séductrices ou qui se laissent séduire par leurs professeurs. je dis bien dernière catégorie parce que dans la catégorisation, c’est dans l’ordre que je viens de vous parler que se trouvent les auteurs. Pendant longtemps la crise des grossesses en milieu scolaire a conduit à la croyance que les premiers auteurs sont les enseignants. Mais la descente sur le terrain, m’a conduit à réaliser qu’en réalité c’est d’abord les Zémidjan, les gaymans, les élèves eux-mêmes et enfin les professeurs. La loi est encore plus difficile d’application s’agissant des enseignants. Figurez-vous que lorsqu’on veut déposer plainte, que ce soit un enseignant qui veuille le faire, déjà la loi oblige les enseignants quand ils le savent à contribuer à la dénonciation de l’infraction. Mais déjà ce n’est pas chose facile parce qu’il s’agit de leurs collègues. Mais quand des tiers décident de le faire, là encore les parents ne veulent pas porter plainte. Ils disent « il ne faut surtout pas porter plainte. C’est le gendre idéal pour ma fille, rendez-vous compte c’est l’intellectuel du coin qui a un salaire régulier et vous voulez que je dépose plainte. J’interdis qu’on porte plainte, vous comprenez que devant un tel parent on doit y aller par la force certes, puisque l’enfant est mineur, et c’est le parent qui répond de lui devant la loi. On ne va pas aller bien loin. On va certainement punir l’enseignant mais je ne crois pas qu’on aura sensibilisé ce parent et je n’ai pas la certitude que sa fille cadette ne subira pas le même sort.

Revenons à la célébration de la Journée internationale de la Femme qui met cette année un accent sur le rôle des activistes. N’avez-vous pas cette impression que nous sommes dans la routine au regard des actions sur le terrain ?
Bien j’aurais pensé ça si on n’avait pas ajouté « synergie d’actions ». Je fais le choix d’interpréter ce terme qui parle d’activisme urbain et d’activisme rural, comme le thème qui nous rappelle à l’ordre. Comme pour dire, on a assez réfléchi, on a assez fait de bilan ,on connait l’état des lieux maintenant il faut passer à l’action. on a des structures on a des loi, on court chacun de son côté maintenant. Il faut rallier nos efforts. Il faut de la coordination dans les mécanismes institutionnels. Il faut de synergie dans les actions qui sont menées par les uns et par les autres parce qu’il arrive et nous nous côtoyons aussi sur le terrain, nous faisons parallèlement la même chose mais nous ne conjuguons pas nos efforts. Ensuite activisme urbaine et activisme rural je pense que le lien est à faire. Quand nous avons fini de faire nos plaidoyers en ville d’aller à nos conférences et à nos ateliers, de faire des déclarations et de prendre des résolutions, il faut que les activistes rurales et nous, mettons ensemble pour que tout cela soit traduit au niveau rural en actions concrètes. Quand à Cotonou, en tant qu’activiste urbaine je fais de la vulgarisation du code foncier domanial, il faut que j’aille voir mon activiste sœur en zone rurale, pour lui dire « prend tes femmes, assure toi que les femmes soient présentes dans les comités de gestion foncière prévu par le code foncier domanial. Mets les dedans parce que c’est la seul moyen que nous avons, de rendre concret la participation des femmes à la gestion foncière au niveau local ». Le terme me fait comprendre que c’est une invitation à ne pas rester dans la routine et à passer aux actions concrètes. Je voudrais qu’on en fasse cette interprétation là pour qu’il y ait un lien, un arrimage pour qu’à la base, on mène des actions concrètes.

Un mot pour conclure cet entretien
Tout en félicitant tout en nous félicitant nous activiste du travail que nous faisons, je nous invite justement à créer ce lien là avec les activistes rurales. Un lien qui aille au-delà de nos défenses et des choses que nous faisons ensemble mais qui va dans la mise en œuvre des recommandations la mise en œuvre des politiques. Je lance un appel aux gouvernements à l’Etat pour que l’Etat prenne davantage ses responsabilités et qu’il intègre véritablement le genre dans ses politiques. Moi je veux dire à l’Assemblée nationale qui a entrepris lui-même pris l’initiative de trouver une solution pour qu’il y ait une participation plus grande des femmes au parlement de ne pas s’arrêter à la conférence parlementaire. Je vais lui dire d’aller plus loin que l’augmentation des 24 circonscriptions électorales et que les partis politique comprennent que pour rendre efficace l’augmentation des possibilités pour les femmes d’avoir des sièges, il faut qu’ils acceptent de mettre dans la charte que les femmes seront mieux positionnées sur les listes électorales. Je voudrais dire aux femmes que nous sommes en train de faire du chemin et que tout que le reste du chemin se gagne par l’estime de soi, la croyance que nous sommes unique et que nous avons une valeur prévale. Que ce soit cette culture là que nous entretenions pour que ça efface les croyances que nous n’avons pas de valeur que nous sommes inferieur à l’homme ou que nous ne pouvons pas participer au pouvoir public.
Que l’estime de nous-mêmes, le fait de nous aimer, de dire que nous avons de la valeur j’ai un potentiel j’ai des talents et c’est moi seul qui peut bien faire ce que je suis appelée à faire. Cette façon de s’aimer là c’est ca seul qui peut faire que quand le moment viendra ou on nous offrira des places, nous prendrons ces places là. Parce que parfois on nous offre des places que nous ne prenons pas parce que nous ne nous sentons pas capable de le faire.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU



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