Médecine moderne et traditionnelle : Un dualisme sur fond de réticence et d’illusions

La rédaction 30 mai 2017

Au Bénin, pendant que le Gouvernement fait la guerre aux faux médicaments, les produits de la pharmacopée traditionnelle gagnent du terrain. Présentés sous formes de décoction, d’infusion, de pommade ou d’huile, ils constituent le recours de milliers de Béninois, qui y voient une solution aux maux qui échappent à la médecine moderne.

Déboussolé, trainant depuis plus d’un mois un pied lourd et enflé, Louis, un patient sous traitement dans un cabinet de soins traditionnels à Houeto, dans la commune d’Abomey-calavi, a trouvé un refuge où il dit retrouver progressivement sa pleine forme. « Ici, on m’a préparé un bain rituel composé de plusieurs variétés de feuilles avec lequel je me suis lavé pendant un mois contre le mauvais sort. Ensuite, on m’a concocté une potion faite à base de racines et d’écorces d’arbre et m’a vendu une pommade fabriquée sur place. En deux semaines, j’ai retrouvé l’usage de mon pied », confie-t-il. La cinquantaine, ce patient a désormais plus de raisons de croire au miracle grâce à la médecine traditionnelle. Pour lui, c’est un secret de polichinelle que les soins dans les hôpitaux sont limités, surtout dans les cas d’envoûtement. « J’étais parti à l’hôpital en vain. Les nombreuses radiographies que j’ai effectuées n’ont rien révélé. Malgré les pommades et les médicaments qui coûtent très chers, je ne trouvais pas satisfaction. C’est pourquoi je me suis tourné vers la médecine traditionnelle », précise-t-il.
Tout comme lui, nombreux sont ceux qui font recours à la pharmacopée traditionnelle pour se faire soigner. L’engouement est tel que les tradithérapeutes ont parfois du mal à gérer le flux. « Nos ancêtres soignaient n’importe quelle maladie grâce aux plantes. Avec les racines, les feuilles, les écorces et la sève, nous fabriquons des produits qui aident les populations à trouver satisfaction », explique Crespin, assistant du tradithérapeute Dah Sonon Amangninou.

Les raisons du dualisme

La cherté des produits pharmaceutiques, ajoutée à l’insatisfaction des patients dans les centres hospitaliers influencent le choix de nombreuses personnes. Mais dans le lot des patients, on retrouve beaucoup plus des désespérés de la médecine moderne. C’est le cas des maladies liées à un envoûtement ou à un mauvais sort pour lesquelles les symptômes ne peuvent être atténués par des médicaments. Le tradithérapeute a donc recours à la tradition pour donner satisfaction à son patient. « On consulte le ‘’Fa’’ lorsque la santé du malade ne s’améliore pas afin de déterminer l’origine, les causes de la maladie et si possible ce qu’il y a lieu de faire pour la guérison du patient. La maladie ne disparaitra pas si l’on traite seulement les symptômes, il faut d’abord traiter la cause du mal », explique Crespin. Les feuilles se retrouvent au cœur de la médecine traditionnelle. Ainsi, les patients sont rassurés de ce que ce qui se fait est purement naturel.
Les problèmes de communication avec les professionnels de la santé constituent une des raisons du recours à la médecine traditionnelle. C’est ce que laissent croire certains usagers des cabinets de pharmacopée traditionnelle rencontrés. « Se rendre à la pharmacie ou à la clinique, c’est compliqué pour nous qui sommes analphabètes. Je ne parvenais pas à lire les notices des médicaments que les médecins me prescrivaient. Ils ne prennent pas le temps d’expliquer dans les détails la posologie. Au moins ici, la communication est aisée avec le tradithérapeute. J’avoue que je trouve satisfaction », témoigne dame Angèle.

Efficace mais limitée

Cependant, malgré toutes leurs vertus, les plantes ne peuvent pas guérir toutes les maladies. Parfois, elles ont des effets secondaires qui finissent par décevoir les patients. Le témoignage de dame Pierrette, comptable dans une structure de la place illustre bien que le risque est réel. « Je souffrais d’un fibrome depuis plus de deux ans quand on m’a recommandé un tradithérapeute. Il m’a vendu plusieurs potions à boire ainsi qu’un mélange de poudre à laper. J’avoue avoir ressenti un léger soulagement pendant quelques jours. Mais au bout de quelques semaines, j’ai commencé par saigner abondamment. Finalement, je me suis rendue à l’hôpital pour subir une opération chirurgicale. Depuis lors, j’ai mis une croix sur la guérison par les plantes », déclare-t-elle. Beaucoup de patients sont alors réticents et préfèrent donner priorité à la médecine moderne.
Les professionnels de la santé émettent des réserves par rapport à certains aspects de la médecine traditionnelle notamment le dosage et le mode d’utilisation. Pour certains, le tradithérapeute ne mesure pas la gravité de son acte en prescrivant un traitement sans prendre en considération le dosage, la posologie et même l’âge du patient. Il ignore la possibilité d’une quelconque allergie ou d’une maladie chronique. « Les produits de la pharmacopée traditionnelle peuvent sans doute traiter des maladies. Mais il se pose un problème de dosage. Ce qui peut provoquer un risque de surdosage et autres conséquences », explique Dr Benjamin Adjasse, médecin généraliste.
Cependant, les tradithérapeutes ne voient pas la situation de la même manière. Selon eux, la fabrication des produits de la pharmacopée traditionnelle est un savoir transmis de génération en génération. De ce fait, le dosage a déjà été fait par les tradithérapeutes eux-mêmes pour savoir la proportion dans laquelle il faut prendre le médicament. « Généralement, on conseille au patient de boire un verre dit ‘’Talokpémi’’ du médicament deux ou trois fois par jour en fonction du degré de la maladie. Si le patient ressent d’autres troubles liés peut-être à des effets secondaires, c’est qu’il n’a pas respecté le dosage qu’on lui a recommandé », se défend Crespin pour qui, même les produits pharmaceutiques ont aussi des effets secondaires sur la santé.

Attention aux vendeurs d’illusions
L’autre mal de la médecine traditionnelle, c’est aussi l’anarchie qui caractérise le secteur. Il se pose également le problème de la réglementation et d’organisation. « On ne sait pas vraiment qui fait quoi et sur quelle base. Il y a des gens qui fabriquent n’importe quoi juste pour de l’argent, s’autoproclament tradithérapeutes alors qu’en réalité, ils ne le sont pas », se plaint dame Pierrette. Mieux, le même produit est appelé à guérir parfois une dizaine de maladies. C’est le cas d’un produit que nous dénommons « YY » dont l’étiquette porte les maladies suivantes : Fatigue, maladies sexuellement transmissibles, hémorroïde interne et externe, constipation, faiblesse sexuelle, éjaculation précoce, infertilité, démangeaison, maux de tête, rhumatisme, sinusite et épilepsie. La concurrence est rude entre les deux sortes de médecine. Et le Dr Benjamin Adjasse propose une bonne politique de collaboration. « La collaboration est possible et doit être encouragée car il y a des tradithérapeutes qui font un excellent travail. Je pense que l’Etat doit mettre en œuvre un projet pour rendre effective cette collaboration », souligne-t-il. Estelle D., auxiliaire en pharmacie propose quant à elle une collaboration qui met l’accent sur la complémentarité. « La médecine traditionnelle se trouve impuissante vis-à-vis de certaines maladies qui exigent des interventions chirurgicales, sans quoi le patient pourrait mourir. C’est pareil pour la médecine moderne qui n’arrive pas à traiter certaines maladies, surtout lorsqu’elles ont un caractère surnaturel. Je crois que c’est important de concilier les deux suivant des principes bien définis », déclare-t-elle. En attendant, les patients continuent de faire le choix de la médecine traditionnelle, selon leur intuition, les expériences vécues, l’accessibilité aux soins de santé et surtout leur pouvoir d’achat.
Alida DOSSOU-YOVO (Stag



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