Polygamie au Bénin : Les raisons d’un mal profondément ancré dans les habitudes

La rédaction 25 septembre 2017

Acceptée par l’islam et autorisée par la tradition béninoise, la polygamie constitue une solution dans certains foyers et la pomme de discorde dans d’autres. Malgré l’interdiction de ce type de mariage par le nouveau code de la famille au Bénin, et bien que cela ait des répercussions négatives sur les conditions de vie de la famille et sur l’avenir des enfants, les hommes peinent à abandonner la pratique.

Ma femme n’arrive pas à procréer, ma femme ne fait que des filles, ma femme ne s’occupe plus de moi comme aux premiers instants de notre vie de couple, je ne supporte plus ma femme. Ce sont quelques raisons soulevées régulièrement par les hommes pour se mettre maritalement avec d’autres femmes. Une seconde femme qui, dans certains cas, s’avère être une solution salvatrice autant pour l’homme que pour la première femme. A en croire Fabien, un électricien bâtiment à Cotonou, l’arrivée d’une seconde femme permet à la première d’avoir une personne avec qui partager les tâches de la maison. Cela instaure par la même occasion la concurrence entre les femmes. « Ainsi, je ne suis plus négligé, et la vie conjugale est plus belle », confie-t-il l’air satisfait et comblé. « Ma deuxième femme m’a permis d’être père de deux garçons après avoir eu 5 filles avec ma première femme », renchérit Angelo, un fonctionnaire de l’administration béninoise. Pour lui, un homme qui ne fait pas au moins un garçon parmi ses enfants verra son nom disparaitre à jamais, car dans la culture béninoise, les enfants ne portent que le nom de leur père. Par contre, pour Anastasie, une sexagénaire, « ce n’est pas une raison valable car ce qu’un homme est capable de faire, une femme en est aussi capable. Ne pas faire de garçon n’est pas une fin en soi. On devrait considérer tous les enfants de la même manière ». Outre cela, des prétextes religieux et traditionnels sont souvent mis en avant par certaines personnes pour justifier ce phénomène. Il n’est pas rare de trouver des musulmans qui soutiennent que le Coran donne la possibilité à l’homme de se marier avec au moins quatre femmes. Mais ce que ces derniers oublient de relever est que le Coran précise qu’il faut non seulement avoir les moyens de les entretenir, mais aussi les aimer toutes de la même manière. Au dire de Aminou, un musulman monogame, il est humainement impossible de suivre ces préceptes, car dit-il, « l’homme aura beau faire l’effort d’aimer les femmes de la même façon, il aura toujours sa préférée. C’est une manière détournée d’interdire la polygamie car, aucun homme sur terre n’est capable d’aimer deux personnes de la même façon ». Si Aminou pense ainsi, ce n’est pas le cas de la majorité des polygames musulmans qui n’ont seulement défendent la polygamie mais aussi affirment disposer de moyens pour subvenir aussi bien aux besoins de leurs nombreuses femmes qu’à ceux des enfants. « Chacune de mes femmes dispose d’une maison et d’une voiture, et j’assure toutes les dépenses inhérentes à leur quotidien. Mes enfants sont dans les meilleures écoles du pays », déclare Fadoul Issa, un polygame musulman.

Des problèmes financiers aux conséquences multiples
La polygamie augmente les charges du ménage et impacte négativement l’avenir des enfants. Il n’est pas rare de voir des enfants accusant leur géniteur d’être en partie la cause de leurs échecs dans la vie. « Si mon père n’était pas polygame, j’aurais eu la possibilité de faire des études supérieures, car il aurait peu de dépenses à effectuer et concentrerait ses ressources sur ses enfants », fulmine Ambroise, un vitrier qui avait pour rêve de devenir un avocat. Nombreux sont ces jeunes comme Ambroise, qui auraient pu avoir un meilleur avenir si leur père n’avait pas fait un tel choix. Pour les moins malchanceux, ils croupissent dans le bas peuple et exercent des activités peu honorables. « Je n’ai pas eu la possibilité d’aller à l’école, mon père était un conducteur de taxi ville et a épousé trois femmes qui lui ont fait dix-sept enfants. A cause de la misère, même ceux qui ont eu la chance d’aller à l’école, ne sont pas allés loin. », Fait savoir Achille. « Quand bien même je ne manque pas du minimum vital aujourd’hui, j’aurais pu être mieux loti avec une bonne formation académique. », martèle-t-il. Lazare, un père de famille polygame, affirme tout son regret, car il n’arrive plus à réaliser certains de ses désirs personnels. « Je n’arrive plus à me faire plaisir en achetant la voiture dont je rêve, parce que les dépenses du ménage m’asphyxient. », regrette-t-il. Outre cet aspect de la chose, les questions d’héritage à la mort d’un polygame ayant eu les moyens de sa politique constituent si ce dernier n’avait pas fait la répartition des biens avant sa mort, un autre problème qui peut aller jusqu’à coûter la vie aux héritiers. Ces problèmes d’héritage sont légion au Bénin. Dans notre pays, les batailles juridiques, physiques et occultes pour tailler la part du lion sévissent. Pour Chantale, une héritière issue d’une famille polygame, « j’ai vu quatre de mes frères perdre la vie de manière tout à fait mystérieuse dans cette guerre de succession ».

Opinion de spécialiste
Arnaud Adikpéto, sociologue
« La polygamie est surtout favorisée par les contraintes sociales »
Plusieurs raisons peuvent pousser les hommes à opter pour la polygamie. Parmi ces raisons, nous avons la contrainte sociale. Quand je dis contrainte sociale, il y a plusieurs points. Lorsque vous épousez une femme qui n’arrive pas à concevoir, tout de suite, les parents pensent que c’est la femme qui est stérile et donc, votre famille vous oblige à prendre une autre femme. Ceci oblige l’homme, malgré l’amour qu’il a pour sa femme, à aller prendre une seconde épouse. L’autre point, c’est que dans certains milieux, surtout celui rural, avoir une seule femme est synonyme de faiblesse et de pauvreté. Donc, cela oblige certains à prendre d’autres femmes, une ou deux en plus de la première. Outre cela, il y a aussi le fait que certaines femmes sont très capricieuses et que les hommes, en cherchant parfois des maitresses, engrossent une autre femme, et ça devient une autre épouse. Il y a aussi le fait que certains hommes, pour affirmer leur masculinité, optent pour la polygamie. Ils pensent qu’avoir une femme, c’est être faible.

Que prévoit le code de la famille en matière de polygamie ?
Le code des personnes et de la famille au Bénin insiste sur l’égalité des sexes. Donc, il n’est plus permis à un homme au vu de la loi d’être polygame.
Quelles sont les conséquences de ce type de mariage sur la famille et les enfants ?
Dans certaines familles, la polygamie ne favorise ni les épouses ni les enfants, car le père n’ayant pas les moyens de subvenir aux besoins de la famille, les enfants sont, dès leur jeune âge livrés à eux-mêmes. Dans le meilleur des cas, ils seront déscolarisés et commenceront à apprendre un métier. Mais dans le pire des cas, les filles peuvent commencer par se prostituer, les garçons vont se lier d’amitié avec des groupes de bandits. Généralement, le père polygame ne s’occupe pas ni des femmes, ni des enfants. Mais dans certaines familles polygames, c’est le contraire qui s’observe.
Euloge GOHOUNGO (Stag)



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