Prof. Marc Oyédé à propos de la lutte contre l’érosion côtière : « On ne peut pas se hasarder à mettre des épis à Hillacondji et Grand-Popo »

La rédaction 2 février 2017

La côte béninoise est exposée depuis quelques années, du côté de Grand-popo et de Hilacodji à une érosion qui prend de l’ampleur. A travers cette interview, Marc Lucien Oyédé, Professeur titulaire de Géologie explique les raisons de cette situation. L’ancien Directeur du Laboratoire de Géologie, Mines et Environnement de l’Uac rassure sur les diligences en cours pour protéger la côte. Cependant, il exclut l’option de la construction des épis.

Comment voyez-vous actuellement la dynamique de la ligne côtière du Bénin ?
Je crois qu’avant d’en arriver là, il est important de comprendre ce qui fait bouger les sédiments sur la côte. Evidemment, c’est un phénomène de la dérive littorale, un déplacement effectué par les vagues avec une certaine obliquité par rapport à la côte. Nous avons un déplacement global des sédiments et l’eau depuis le Togo vers le Nigéria. C’est un phénomène est bien connu au Bénin. Par exemple, lorsqu’il y a des noyades dans la région de Fidjrossè, derrière la Présidence, on sait généralement que les corps pourront être retrouvés à Akpakpa. Donc, de façon globale, il y a un déplacement de l’eau et des sédiments de l’Ouest vers l’Est. C’est ce qui est à l’origine des mouvements des sédiments, des zones de comblement et d’érosion. L’érosion côtière au Bénin est beaucoup plus liée à la construction du Port Autonome de Cotonou. Le Port constitue un grand barrage pour les sédiments qui doivent circuler de l’Ouest vers l’Est. Les sédiments s’arrêtent avant le Port. Par contre, l’océan n’apporte pas de sédiments du côté d’Akpakpa et est obligé d’en prendre. C’est ce qui explique l’érosion catastrophique en aval.

Comment peut-on comprendre que les zones de Grand-Popo soient depuis quelques années exposées à l’érosion côtière ?
Il ne devrait pas y avoir d’érosion, mais il y a beaucoup de raisons qui justifient cette situation. Il y a le Port de Lomé qui arrête du sédiment de l’autre côté. C’est un peu loin de la frontière, mais le Togo qui n’a que 40 à 50 kilomètres de côte a déjà mis en place beaucoup d’infrastructures de protection. Donc les sédiments qui devraient venir du Togo sont piégés. La dérive littorale arrive au Bénin sans apporter de sédiments qui devraient régulariser le cœur de la côte. L’érosion très catastrophique observée depuis 2014 est liée au fait que les anciens épis qui étaient là, ont été prolongés presque jusqu’à notre frontière. Et c’est cela qui fait que du côté de Hillacondji, l’avancée de la mer est de 10 m/an alors qu’il fut un temps, c’était assez calme. Tout juste parce qu’au Togo, les ouvrages de protection étaient remplis et le sable venait du Togo pour continuer, suivant le sens de la dérive littorale, vers côte du Béninoise.

A cette allure de dix mètres par an, est-ce que la route inter-Etat n’est pas menacée ?
La route inter-Etat est très menacée et je crois que c’est pour cela qu’il y a beaucoup d’actions qui sont projetées actuellement. C’était l’Uemoa à ma connaissance qui était le partenaire essentiel qui s’en préoccupait. Mais depuis peu, il y a la Banque mondiale qui est entrée dans le jeu pour assister le Bénin pour des investissements multisectoriels. Les études sont nécessaires pour savoir quelle méthode de protection il faut adopter. Vous avez vu à Akpakpa, les effets des épis ne sont pas concluants. On ne peut donc pas s’amuser à mettre des épis à Hilacodji et Grand-Popo. Il faut trouver une autre méthode.

Pourquoi les épis ne sont pas indiqués pour ces milieux ?
Ces milieux-là bougent beaucoup. Quand on y mettra des ouvrages statiques, la mer va réagir. Les épis vont tenir pendant quelques temps par accumulation de sable du côté d’où vient la dérive. Mais immédiatement après l’épi, ce sera toujours l’érosion catastrophique. C’est ça qui fait que depuis 1963 après l’épi de céaphato, il y a la grande érosion dans la région de l’hôtel da-Silva qu’on appelle la crainte.

Au regard des études réalisées, quelles sont les méthodes qu’on peut adopter pour protéger la côte du coté de Grand-Popo ?
Il faut respecter autant que possible la dynamique sédimentaire, les épis ne sont pas la solution. Habituellement, c’est le rechargement des plages ou l’alimentation des plages. On va chercher du sable pour venir alimenter la côte. Ça paraît un travail inutile parce que dès qu’on met le sable, la mer l’emporte. Il faut le faire régulièrement donc. Ça dépend de la force de la dérive littorale. Il peut avoir une rupture pendant quatre ou cinq ans avant un autre rechargement. On peut déposer sur un ou deux kilomètres une grande quantité de sable qui va servir à nourrir en même temps les autres plages. C’est cette accumulation de sable qui va être exploité progressivement par la dérive du littoral et réparti le long de la côte. Cela parait plus raisonnable et ça ne bouscule pas l’équilibre de la côte. Au contraire, lorsqu’on dépose au niveau de Hillacondji, c’est pour nourrir toute la côte, du moins jusqu’à Fidjrossè où le port va bloquer ce sable en attendant que les épis d’arrêt du port ne soient pleins. Et ce sont les épis d’arrêt du port qui causent essentiellement le déficit de sédiment de l’autre côté du port du côté de Akpakpa.

Au regard de la dynamique actuelle à Grand-Popo et à Hillacondji, y a-t-il urgence que l’Etat réagisse ?
L’Etat doit réagir. Mais il faut dire que ce sont des ouvrages qui coûtent énormément cher. Ce qui a été réalisé à Akpakpa a coûté un minimum de 40 milliards de francs Cfa. Dans ce cas, il faut faire des études avec le soutien des partenaires. Ces bailleurs de fonds ne voudraient pas jeter leurs deniers dans l’océan. Il faut qu’ils soient assurés que c’est un projet efficace. Avec l’expérience d’Akpakpa, personne ne veut recommencer avec les épis, surtout entre Grand-Popo et la frontière Bénino-togolaise. Le Bénin a normalement une portion de terre qui s’étire sur environ 23 kilomètres et si on n’y prend pas garde et qu’il y a une mauvaise manœuvre, la frontière du Bénin sera au niveau de Grand-Popo.

Est-ce que cela veut dire qu’on doit aussi prendre en compte la dynamique côtière dans la délimitation de la frontière maritime entre les deux pays ?
Aujourd’hui par exemple, la limite entre le Bénin et le Togo sur la côte, c’est Hillacondji. Si par hasard, la mer enlève la petite portion qu’il y a entre Hillacondji et Grand-Popo, cela voudra dire que le Togo aura une frontière sur la mer directement à Grand-Popo. Or, cette portion de terre longue de 23 kilomètres fait que nous avons des eaux territoriales à ce niveau. Tout ce qui se situe au sud de cette portion appartient au Bénin. Si notre frontière avec le Togo devrait être à Grand-Popo, tout ce qui se situerait au sud de cette zone, risque d’être perdu au profit du Togo. Or quand on parle des eaux territoriales, ce n’est pas uniquement la frontière. Les enjeux, ce sont par exemple les ressources halieutiques, les recherches pétrolifères, etc. Il s’agit alors d’un problème stratégique. On doit donc tout faire pour ne pas perdre cette portion de terre.
Réalisation : Fulbert ADJIMEHOSSOU



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