Sécurisation des centres commerciaux par les sociétés privées : Quand sécurité rime avec précarité

La rédaction 24 août 2016

Les derniers braquages à Cotonou, notamment dans deux supermarchés à Vodjè et Cadjèhoun, ont remis au goût du jour la sempiternelle question de l’insécurité. Ils ont mis la lumière sur les conditions de travail précaires des agents de sécurité privée qui veillent sur les centres commerciaux et qui se retrouvent par la force des choses aux premières loges des tirs nourris des malfrats.

Jeudi 18 août 2016. 10h 47. Devant la pharmacie Togoudo, au carrefour IITA. Un homme, la quarantaine environ, moustache et barbe poivre et sel, tenue kaki, sifflet au cou, assure l’ordre et oriente les clients à bien garer leur voiture ou moto. Tous les jours, de 7h à 19h, c’est à cette tâche qu’est commis le quadragénaire. Son nom : Charles Alexis Kpèdé, un des trois agents de sécurité de la pharmacie Togoudo. Ancien employé de Vital Sécurité, aujourd’hui agent indépendant, l’homme se consacre à son travail avec dévouement. « Cela fait trois ans que j’assure l’ordre et la sécurité au niveau de la Pharmacie Togoudo. Je suis chargé d’orienter les clients, de surveiller les motos et d’identifier tout mouvement suspect ». Comme Alexis, David Dangnonchi, un homme affable, bientôt quinquagénaire, assure les mêmes responsabilités au niveau de la pharmacie Togoudo, depuis 5 ans, tous les jours de 19h à 7h : 12h de service quotidien effectué pour le compte de la société Sopag Security.

Devant nombre de centres commerciaux et officines où se brassent des millions de francs Cfa, à Cotonou ou à Abomey-Calavi, c’est la même mission qui est assignée aux agents de sécurité. Éric M’Po, 42 ans, homme baraqué, 1,75m environ, sifflet au cou, muni de matraque et de gaz lacrymogène, vêtu d’un pantalon marron et d’une chemise blanche au logo de la société Gouvernance Security, et ses trois collègues s’attellent aux mêmes tâches d’orientation et d’ordre des clients au supermarché Mont Sinaï. En réalité, la sécurité qu’assurent les vigiles ne se limite qu’au maintien de l’ordre à la devanture des structures sur lesquelles ils veillent. Ils ont pour la plupart une instruction moyenne et reçoivent, pour certains, une formation militaire sommaire, assurée par des officiers à la retraite, ainsi que des notions en arts martiaux, en gestion de l’accueil des clients et de surveillance leur permettant d’aiguiser leur vigilance. Ils sont tous conscients du caractère dérisoire de leurs matériels de travail face à la « lourde artillerie » que déploient aujourd’hui les brigands pour commettre leurs forfaits. Selon Arnaud Lanmadoucelo, contrôleur à Scorpion 229 Security Sarl, chaque agent devrait disposer au moins d’une bombonne de gaz, de menottes, d’une matraque, d’un détecteur de métaux et d’un talkie-walkie. Mais, ce n’est presque jamais le cas, car ce sont des matériels qui coûtent chers et qui sont, par conséquent, mis à la disposition des agents qui veillent sur des clients qui ont payé conséquemment.

L’appui des hommes en armes : une présence peu dissuasive
C’est en raison de l’insignifiance du matériel de défense des agents de sécurité privée, de leur manque de motivation en raison de la modicité de leur rémunération et de leur formation peu adaptée aux exigences sécuritaires que certains supermarchés comme Franc-prix et Mont Sinaï ont fait aussi appel aux éléments de la gendarmerie pour y assurer la sécurité. Et pourtant, ces deux supermarchés ont reçu, il y a quelques jours, la visite des braqueurs. Et depuis, la sécurité y a été renforcée. Azon Kisito, assistant de la Directrice Générale de Franc-prix explique que leur supermarché avait déjà connu un cas de vol à main armée, il y a un an. C’est en ce moment qu’ils ont fait appel à la gendarmerie nationale qui a mis à leur disposition deux agents. De même, des caméras de surveillance y étaient déjà installées car les gérants ont compris que « la sécurité a un coût ». Et pourtant, cela n’a pas empêché un nouveau braquage un an plus tard dans le même établissement, puis un nouveau vol à main armée, à quelques dizaines de mètres, au supermarché Mont Sinaï, en l’espace d’une semaine, en dépit de la présence des gendarmes. Les malfrats étaient équipés d’armes automatiques dont la puissance de feu et le rendement sont nettement supérieurs aux armes semi-automatiques que détiennent les gendarmes, notamment les AKM à la crosse métallique repliable ou à la crosse fixe en bois. Les impacts de balles sur la guérite du supermarché montrent à suffisance la dangerosité des malfrats.

Un besoin criant en armes et équipements modernes
C’est en raison du rapport de force de plus en plus en défaveur des forces de sécurité que plusieurs responsables de ces structures souvent ciblées par les malfrats, comme le Dr Zacharie Bio Yérima, promoteur de la pharmacie Togoudo, ou Azon Kizito souhaitent vivement que l’Etat équipe les forces de sécurité et de défense en moyens matériels et humains conséquents (armes modernes, moyens roulants etc.) afin d’accroître leur performance et leur réactivité. Ils sont nombreux à penser que c’est en raison de l’inefficacité de leurs armes face à la furie des rafales des malfrats que certains agents en mission n’osent même pas risquer leur vie. L’Akm, la version modernisée de la Kalachnikov AK-47 inventée il y a 69 ans, et la plus utilisée dans nos Etats a montré ses limites et il faille désormais se tourner vers des armes plus performantes comme le Fusil d’assaut de la manufacture d’armes de Saint-Étienne (Famas), le Colt M16 américain et le Steyr Aug autrichien. Mais en attendant, aussi bien dans le rang des agents de sécurité privée qu’au niveau des forces de sécurité, « on fait avec les moyens de bord » comme le dit Arnaud Adohouanon, Directeur administratif et financier de Scorpion 229 Security Sarl, et on s’en remet à Dieu pour ne pas tomber un jour sous les balles des hommes sans foi ni loi.

Fawaz AYAH (Stag)



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