Sécurité sanitaire des eaux conditionnées : ‘’Pure water’’, l’envers du décor

Fulbert ADJIMEHOSSOU 15 novembre 2018

produits et mis en consommation par des unités, dans des conditions parfois peu hygiéniques. Pendant que des études alertent et que certains acteurs le confessent, le système de surveillance peine à répondre efficacement à la menace de la clandestinité.

« Pure natural water, your Heal is our concern ». Voilà de quoi rassurer les consommateurs d’eau en sachets au Bénin, surtout que les références laissent croire que l’eau a été produite au Ghana ou au Nigéria. Cependant, ceci ne révèle que la grande supercherie qui embastille ce secteur sensible. En réalité, il n’y a que les sachets qui sont importés. Le contenu provient au mieux du réseau de la Soneb, d’un forage par défaut et au pire d’un puits quelque part dans une ville au Bénin. A Gbégamey, dans une concession qui ne trahit en rien le déroulement d’une telle activité, nous en avons découvert une. Ici, l’espace de travail a été créé dans un coin de mur. Même si la terrasse est carrelée, le mur laisse apparaître des couches noirâtres. Les trois filtres présentent une coloration rougeâtre. La machine d’ensachage sur laquelle est inscrit « Dingli Packing Machinery », n’est pas aussi neuve comme le prétend notre interlocuteur que nous appellerons Gildas. Il a l’air serein. « Nous recevons quelques fois la visite de la police sanitaire qui nous
reproche que l’espace est restreint. En dehors de ça, ça va »,
confie-t-il.
Cependant, cette unité est-elle autorisée ? Gildas hésite, puis répond
oui. Mais à force de le titiller, il laisse planer le doute : « Vous-même
vous savez qu’au Bénin, les papiers importent peu
(…) Nous en n’avons pas. Je comprends que ce n’est pas
normal, mais c’est le système ».

« Chacun fait son désordre »
En réalité, la production d’eau conditionnée est soumise à une autorisation du Ministre de la Santé. L’article 4 de l’arrêté
n°4567/MS/DC/SGM/CTJ/DHAB/SA du 22 août 2008 stipule que : « Toute personne physique ou morale ou entreprise qui veut
procéder au conditionnement et à la mise en consommation des eaux destinées à la consommation humaine doit obtenir une autorisation délivrée par le Ministre de la Santé ». Le texte prévoit même que soient effectuées de façon trimestrielle par le producteur, des analyses de conformité. Cependant, sur le terrain, les
propriétaires font de la question un véritable tabou. Armand Kouton, producteur d’eau a sa conception des normes. « Le sol
doit être carrelé. Il faut aller faire contrôler l’eau au laboratoire
pour avoir un certificat. C’est cela qui te couvre. J’ai toujours mes
papiers d’analyse dans ma voiture », déclare-t-il. Cependant, ce
dernier reconnaît que beaucoup ne respectent pas les normes. « 
Les gens ne respectent pas le nombre de filtres. Moi, j’ai même le filtre à Carbone et le stérilisateur. Lors du pliage du sachet, il se peut qu’il y ait des microbes. Si le sachet n’est pas stérilisé, cela peut toujours infecter l’eau. C’est une affaire de conscience. Chacun fait son désordre sur le marché », ajoute Armand Kouton.
La production hors norme de l’eau conditionnée est une réalité que
confessent de nombreux acteurs. Sous anonymat, un ingénieur agronome qui produit de l’eau en sachet à
Godomey, parle d’un mal profond. « J’ai acheté ma
machine à plus de 6 millions de Fcfa en chine, parce qu’au départ ce
n’était pas pour produire de pure water. Je suis rigoureux sur la
qualité et les gens me connaissent pour cela. Mais moi-même en tant
que producteur, je n’achète pas à boire de l’eau en sachet au dehors. Je ne sais pas si à la source de
production, il y a eu autant de rigueur, comme j’en fais preuve.
Aujourd’hui, on a besoin d’assainir le secteur », fulmine-t-il.

Une question d’hygiène
Très fréquentes, les plaintes des consommateurs ont trait au goût et à l’odeur que dégagent parfois ces eaux en sachets. Mais en réalité, tout part des conditions hygiéniques de manipulation de l’eau et de la qualité à la source. Une étude réalisée à Parakou par Offin Rufin Akiyo et publiée en août 2017 dans International journal of biological and chemical siences révèle : « En ce qui concerne les conditions de manipulation du produit, il convient de noter qu’elles se font sans aucun soin au niveau des différents sites sillonnés. Les ouvriers font le travail sans l’utilisation des équipements de protection individuelle (…) La plupart des sites de production ne disposent pas non plus de réservoirs contenant de l’eau à conditionner. Quant aux filtres, ils sont parfois sales et leur nombre varie de deux à trois ».
D’une ville à l’autre, la réalité est quasiment la même, et les réserves des scientifiques sur la qualité de cette boisson dite du pauvre se persistent. Dr Victorien Dougnon, enseignant-chercheur en microbiologie, ambassadeur de la société américaine pour la microbiologie est auteur d’une étude
publiée en 2018. « Lors de la mise en sachet,
les gens ne respectent pas les procédures de stérilisation. L’eau est
manipulée dans des conditions peu hygiéniques. A ceci, il faut
ajouter la qualité de l’eau à la source », fait-il savoir.

Une eau corrompue
Ces constats ne datent pas d’aujourd’hui. L’analyse des risques de
consommation de l’eau en sachet pour les populations dans la ville de Porto-Novo publiée dans le Bulletin de la Recherche
Agronomique du Bénin en 2014 avait déjà tiré la sonnette d’alarme : « Les eaux prélevées contenaient 95% des germes pathogènes chez les producteurs utilisant
les eaux des forages et des puits traditionnels contre 5% chez ceux
qui faisaient usage de l’eau de Soneb ». Même si pour certains, ces indicateurs paraissent trop alarmistes, ils ne sont pas loin de la réalité, surtout concernant l’usage des puits. Le Professeur Micheline Agassounon Djikpo Tchibozo, responsable du Laboratoire des Normes et Contrôle de Qualité Microbiologique, Nutritionnelle et Pharmacologique (Lncqmnp) de l’Université d’Abomey-Calavi n’est guère étonnée. Se fondant sur les travaux qu’elle a réalisés ou conduits sur la qualité de
l’eau, elle s’offusque. « La norme dit que pour l’eau de puits
consommable, non traitée, on ne doit pas dépassée 50 Ufc/ml. Mais, dès que c’est exposé un peu partout, ça va au-delà de 107 Ufc. Or, les normes disent que si, dans un aliment vous dépassez 106 Ufc, on parlera de toxicité de produit corrompu. Ainsi, l’eau devient corrompue. La flore
mésophile totale est alors élevée dans l’eau, le rendant impropre à la
consommation ». Prenant l’exemple de Calavi, où des études témoignent d’une exposition des puits à une pollution chimique et bactériologique est encore plus préoccupée. « Les puits ne répondent plus aux normes. Ce qui voudra dire que l’eau en sachet est déjà potentiellement contaminée. Et si le système de
filtrage n’est pas rassurant, le risque que
nous ayons des produits corrompus est grand. Il peut y avoir des problèmes de
gastroentérites et des maladies hydriques. Plus, il y a ces
microorganismes, plus il y a des parasites dedans. Plus on a de
souches de Escherichia coli, plus il y a de risques d’avoir des microorganismes pathogènes dans l’eau. Il faut en premier lieu connaître la qualité de la
source initiale, et en deuxième lieu utiliser des séries de filtres et changer souvent les raccords », a-t-elle expliqué.

Et pourtant…
Difficile donc pour le consommateur de séparer le bon grain de l’ivraie. Sur le marché, les sachets d’eau, qu’il soit de bonne qualité ou non se côtoient. Pourtant il existe un dispositif de monitoring de la qualité de l’eau au Bénin endossé à la stratégie nationale de la qualité de l’eau de consommation. Cette stratégie adoptée en 2012 impose aux producteurs de se doter d’un Plan de gestion de la sécurité sanitaire de l’Eau, d’effectuer régulièrement des inspections sanitaires des installations et des contrôles de la qualité de l’eau distribuée à la population. Mais, entre ce qui est prévu et la réalité sur le terrain, il y a un fossé qui force l’assainissement du secteur. L’Union des producteurs d’eau conditionnée du Bénin (Upec) est consciente de la situation. « Il ne nous revient pas, en tant que producteurs, de lutter contre la production clandestine. C’est le rôle du Ministère de la santé. Nous sensibilisons plutôt ceux qui sont dans le secteur et qui veulent ou non travailler avec nous. On ne peut non plus dénoncer comme vous le suggérez. Cela risque de détériorer nos relations. C’est déjà important de les sensibiliser et de les accompagner pour qu’ils respectent les normes », souligne sylvestre Agboton, Secrétaire Général de l’Upec.
En réalité, le Bénin n’est pas le seul pays menacé par le phénomène dans la sous région. En 2017, la Côte d’Ivoire a procédé au
démantèlement de plusieurs unités illégales. Bien avant, le Togo est
passé à l’action. Mais à Cotonou, tout porte à croire à un laxisme des structures de contrôle. Une interprétation que n’approuve pas le Chef de Brigade de la Police
Sanitaire de Cotonou, Serge Toessi : « Il y a des
contrôles qui se mènent, même si ce n’est pas à plein temps. On
cherche à savoir si le cadre est propice et si les conditions d’hygiène
sont respectées. Nous avons un laboratoire de contrôle de la qualité
des aliments et de l’eau qui est mis à contribution ». Pour identifier les risques de contamination, les agents d’inspection se doivent de vérifier entre autres, si l’unité est située dans une zone marécageuse, la présence ou non de lave-pieds et de lave-mains, l’éclairage et l’aération de la salle de production, le port de vêtement de laboratoire, la séparation de la zone de production de la zone de stockage, le respect de la visite médicale. Ils se doivent de disposer lampe Ultra Violet dans le système de traitement avec des filtres de porosité de 0,5 micron. Des dispositions contraignantes pour faire aux producteurs clandestins. « Aujourd’hui, la
situation s’est un peu améliorée. Il nous est arrivé de voir à
Akpakpa, il y a quelques années, des gens produire des pures waters dans une chambre à coucher où ils vivent », laisse entendre Serge Toessi.

Un système de surveillance à dynamiser
Chaque année, un rapport est produit par la Direction nationale de la
santé publique sur la surveillance de la qualité de l’eau. En 2016, 48,57% des eaux en sachets contrôlés sont contaminés par la flore totale et 17,14% par des présumés coliformes. Et de façon générale pour les eaux conditionnées, le taux de contamination par les présumés coliformes est passé de 23% en 2014 à 24,19% en 2015 puis à 14,75% en 2016. Le taux de non-conformité par rapport au dénombrement de la flore totale est quant à lui passé de 36,7% en 2014 à 43,55% en 2015 puis à 45,90% en 2016.
Et si la police sanitaire rassure que leurs actions ont contraint des producteurs à cesser leurs activités et d’autres à déménager ou à changer d’adresse, il faut encore plus remettre de l’ordre dans le secteur et améliorer les indicateurs. Avec la suppression de la Direction d’hygiène et de l’assainissement de base en 2011, puis la fusion des services dédiés à ce sous-secteur en 2016, certains acteurs ont l’impression que le système se noie. Félix Adégnika, expert en eau et assainissement de base propose un repositionnement du secteur de surveillance avec plus de moyens : « Au regard de l’importance de ce sous-secteur, il nous faut mieux. Que ce soit au Togo, au Niger, au Burkina-Faso, l’hygiène et l’assainissement forment avec l’eau un ministère avec deux grandes directions, beaucoup de moyens, des hommes et des compétences. Il faut relever le profil institutionnel, on pourra accorder plus d’attention à ce sous secteur ». Mais en attendant, le ministère de la santé ainsi que les autres institutions mettent les bouchées doubles. Il est envisagé des textes pour mettre en place un comité composé de toutes les compétences chargées de délivrer les autorisations et un autre chargé du suivi et du contrôle. Cependant, la synergie attendue pourrait venir de la mise en œuvre de la Politique nationale de la sécurité sanitaire des aliments validée fin Octobre 2018. Epiphane Hossou, Directeur Général de
l’Agence Béninoise de Sécurité Sanitaire des Aliments (ABSSA) rassure
 : « la Pnssa prend en compte l’eau de boisson sous ses diverses
formes. ceux qui ne respectent pas les normes,
les pratiques d’hygiène verront leurs unités fermées. Normalement ces unités devraient être enregistrées et avoir une autorisation
d’exploitation. La Pnssa trace le rôle des différentes structures ».

Pure Water : bientôt la fin ?
Dans tous les cas, beaucoup espèrent que le secteur sera assaini
tout naturellement avec l’interdiction des sachets plastiques non
biodégradables. Une éventualité qui connaît elle aussi ses réalités, surtout par rapport au coût de production. « Les sachets bio sont chers et cela git sur le coût de production. L’autre sachet se prenait à 1700 le kg. Alors que le bio est à 6260 Cfa », explique Armand Kouton. Pour le secrétaire général de l’Upec, avec l’avènement des sachets bio, ne sera plus producteur qui veut, mais qui peut. « L’eau ne sera plus exposé dans les rues comme c’est le cas. Le sachet ne sera plus à la portée de mains, de gauche à droite ». Avec l’assainissement, le prix du sachet d’eau pourrait connaître une augmentation. Mais toujours est-il qu’il faudrait plus un mécanisme de suivi et de contrôle pour assurer aux consommateurs la qualité, et donc une bonne santé.



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