Winnoc Goudjo, Médecin coordonnateur de la zone sanitaire Ouidah-Kpomassè-Tori Bossito : « Le Fbr est un moyen incitatif, plus efficace, plus efficient et durable »

Isac A. YAÏ 26 mai 2017

Le Programme de Renforcement de la Performance du Système Sanitaire (Prpss) contribue depuis plus de cinq ans à l’amélioration des soins de santé dans les formations sanitaires. Grâce au Financement Basé sur les Résultats (Fbr) soutenu par la Banque Mondiale, le Prpss a donné aux centres de santé une nouvelle dynamique. Cette approche a permis aux populations de s’orienter désormais vers les formations sanitaires publiques car, elles sont bien accueillies et bénéficient de soins adéquats. A travers cette interview, Winnoc Goudjo, Médecin coordonnateur de la zone sanitaire Ouidah-Kpomassè-Tori Bossito fait le bilan du Fbr et les perspectives pour que les centres de santé publics puissent garder le niveau actuel pourquoi pas l’améliorer pour le bien-être des populations.

Votre zone sanitaire a bénéficié du Fbr initié par le Prpss avec le soutien de la Banque mondiale. Que peut-on comprendre par Fbr ?
Le Fbr est un Financement Basé sur les Résultats (Fbr). Il s’agit donc d’une approche de financement un peu différent du financement classique dont le secteur de la santé a toujours bénéficié. De par le passé, le gouvernement et même les partenaires ont toujours financé le secteur de la santé mais, c’était un financement en termes d’input, c’est-à-dire qu’on vous demande vos besoins et on vous les apporte. Avec ce mode de financement, les résultats obtenus n’ont jamais été à la hauteur des attentes. Ils sont donc insignifiants au regard des moyens investis.
Le Bénin a donc adopté, avec les partenaires, de financer cette fois-ci le secteur sur la base des résultats déjà obtenus. Cela signifie que les formations sanitaires produisent un certain nombre de résultats jugés par rapport à leurs quantité et qualité. Avec certains facteurs, on calcule les subsides dont les formations sanitaires peuvent directement bénéficier.

Qu’est-ce que ce mode de financement a concrètement changé dans votre zone sanitaire ?
Le Fbr a apporté beaucoup de choses dans notre zone sanitaire. Premièrement, il a permis l’amélioration de la qualité des soins au niveau de toutes les formations sanitaires. Le Fbr est donc un processus dynamique à travers lequel les formations sanitaires font la déclaration des prestations. Suite à cette déclaration, il y a une équipe du consortium au niveau de la zone sanitaire qui valide les prestations en termes de quantité. L’aspect qualité se fait trimestriellement par une équipe formée des cadres du secteur de la santé et des membres du consortium, qui descend au niveau des formations sanitaires, et sur la base d’une grille établie et validée par l’Unité de gestion du projet (Ucp), vérifie la qualité des prestations offertes. C’est cette vérification de la qualité qui permet de savoir que les patients bénéficient des soins respectant les normes sanitaires. Grâce à cette méthode, les agents de santé ont une obligation d’offrir des prestations de qualité aux patients. Le Fbr a donc amélioré significativement la qualité des soins offerts aux populations.
Et au niveau de l’accueil de ces populations, quelles sont les retombées du Fbr ?
Nous avons des indicateurs qui nous permettent que l’accueil des patients a été amélioré. L’accueil ne se résume pas seulement au « Bonjours ». L’accueil, c’est d’abord un cadre. Le Fbr vérifie la conformité des locaux aux normes. Et si les locaux ne sont pas conformes, les agents de santé ont l’obligation de les rendre conformes dans la mesure de leur possibilité. En rentrant dans une formation sanitaire, le Fbr veut que les patients soient traités avec dignité, intimité et anonymat. Donc, dans un centre de santé, l’agent de santé a l’obligation de préserver votre intimité. C’est déjà une forme d’accueil. L’accueil, c’est aussi recevoir les patients avec le sourire qu’il faut…
Il y a aussi le comité de gestion des centres de santé (Cogecs) où se trouve le représentant de la communauté. Les membres du Cogecs ont le devoir d’écouter leur population et de rapporter aux centres de santé les plaintes enregistrées. Aujourd’hui, ces plaintes se sont amoindries. Et pour nous, c’est un indicateur de l’amélioration de l’accueil et des soins donnés.
Nous avons aussi constaté qu’il y a une augmentation de la fréquentation de nos formations sanitaires. Dans le passé, les formations sanitaires publiques n’étaient pas fréquentées car, les populations préféraient se faire soigner dans le privé. Mais de nos jours, la tendance est en train d’être renversée. Et vous savez que les populations ne vont pas venir quelque part où elles n’ont pas de satisfaction.

Concernant le plateau technique, qu’est-ce que le Fbr vous a permis d’avoir ?
Pour mieux comprendre ce volet, il faut d’abord que je vous parle des subsides. Avec le Fbr, la quantité est vérifiée et la qualité est évaluée. Et c’est sur la base de ces deux paramètres que les formations sanitaires gagnent de subsides (argent gagné). Ces subsides sont destinés à deux fins : une partie est utilisée pour inciter le personnel. C’est une forme de primes que le personnel gagne sur la base de ses efforts. Cela est bien différent des primes que le gouvernement nous octroie. Les primes du Fbr sont réparties au personnel en fonction de leur engagement, de leur contribution à la performance que la formation sanitaire a obtenue. Donc, celui qui n’a rien fait n’aura rien. La deuxième partie des subsides sert au fonctionnement, à l’équipement et à l’amélioration du plateau technique des formations sanitaires. Donc, les formations sanitaires gagnent de l’argent, mais cet argent ne vient pas d’ailleurs et le matériel acheté non plus. C’est le personnel du centre de santé avec les membres du Cogecs qui décident du matériel à acheter en fonction des besoins de leur formation sanitaire. Donc, le Fbr a beaucoup contribué à l’amélioration du plateau technique de nos formations sanitaires. Car, les centres de santé se sont achetés des consommables médicaux, des moyens roulants, des groupes électrogènes, du matériel informatique….

Bien vrai, les matériels ont été achetés pour améliorer les soins de santé dans les formations sanitaires. Est-ce à dire que le Fbr vous a aidé à recruter des spécialistes afin d’accroître la fréquentation de vos centres de santé ?
Les matériels qui ont été achetés dans les centres de santé sont les matériels que le personnel sur place peut déjà manipuler. C’est des matériels de tous les jours à la portée des infirmiers et des sages-femmes. Néanmoins, dans une certaine mesure, le Fbr a permis de recruter du personnel. Si je prends le cas de l’hôpital de zone de Ouidah, grâce au Fbr, nous avons pu recruter un chirurgien qui est là, disponible pour des soins.

Pouvez-vous garder le niveau actuel en matière de soins de santé même après le Fbr ?
Si le Fbr a permis aux agents de santé de changer de comportement, je pense que cela peut rester car, l’équipe de supervision peut maintenir cela à travers des contrôles et autres. Le matériel que nous avons acquis grâce au Fbr, a une durée de vie. C’est à partir du moment où ce matériel va commencer par être hors d’usage qu’on sentira le vide laissé par le Fbr..

Si on devrait renouveler ce projet, sous quelle forme souhaiteriez-vous qu’il revienne afin qu’il puisse améliorer les prestations au niveau des centres de santé ?
Je pense que le Fbr a embrassé tous les aspects. Puisque l’équipe d’encadrement de zone est sous contrat Fbr, l’hôpital de zone est sous contrat Fbr, les formations sanitaires sont sous contrat Fbr, les relais communautaires sont sous contrat Fbr, …
Si le Fbr va être renouvelé, il doit impliquer davantage les élus locaux (Chefs de collectivités locales, les chefs d’arrondissements, les maires). Je voudrais que le nouveau mécanisme du Fbr puisse enrôler tout ce beau monde dans les prises de décisions. Je voudrais également que le Fbr soit ancré dans le dispositif étatique béninois pour que nous puissions assurer sa pérennité. J’estime que le Fbr est un moyen incitatif, plus efficace, plus efficient et durable. Car, du point de vu mentalité, même si l’on multiplie le salaire d’un individu par 10, il sera content, mais c’est pour 6 mois au plus. Après ça, il sera accoutumé à ce salaire et va verser à nouveau dans les mêmes travers car, il se donnera un autre niveau de vie et les problèmes reviendront. Donc, la multiplication des salaires n’a que des effets éphémères sur le comportement des agents. Mais un dispositif qui fait gagner de l’argent en plus de votre salaire à travers la quantité et la qualité du travail effectué, je pense que c’est un dispositif pérenne. Un dispositif qui permet aux formations sanitaires d’être relativement autonomes, d’exprimer leurs besoins, de les prioriser et de les satisfaire par elles-mêmes, c’est plus efficace. Car, lorsque la satisfaction de vos besoins vient de très loin, ça peut ne pas être compatible avec vos problèmes réels. Ou alors, cette satisfaction vient tard et devient caduque par rapport à vos problèmes qui ont évolué entre temps.

Un mot pour conclure cet entretien
Nous faisons l’expérience du Fbr dans notre zone sanitaire depuis plus de 5 ans. Nous avons donc compris que c’est une approche de financement qui motive les agents de santé à avoir plus d’entrain dans leurs prestations, améliorer la qualité des soins, d’accueil et à avoir le plateau technique voulu. Ce serait bien que cela continue et que le ministère de la santé prenne le lead davantage sur cette approche, de sorte que cela continue pour le plus grand bonheur de nos populations, même si les partenaires se retirent.
Propos recueillis par Isac A. YAÏ



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