Voix de femme au sujet du body positive : Angela Kpeidja, en aparté

22 mars 2024

Ingénieur en analyse biomédicale, Angela Kpeidja est venue à la communication en santé pour impacter positivement les autres. Intéressée par l’expertise comptable dans une vie antérieure, l’auteur de "Bris de silence" est mère de 02 enfants.
Frédhy-Armel BOCOVO (Coll)

Une lettre à ma fille,
Mon enfant,

Vois-tu, aussi loin que remontent mes souvenirs, je ne me rappelle pas avoir fait le choix de naître sur le continent noir. Je ne me souviens pas non plus avoir choisi mon sexe. C’est en grandissant et en apprenant à être femme que j’ai pris conscience de ma différence. Elle s’exprime autant dans mon comportement, dans mon physique que dans mes devoirs de femme. Mais parlons de ce qui saute à l’œil. A l’époque, à mes courbures, le monde avait opposé un standard filiforme. Mon noir d’ébène selon eux, était grotesque et symbolisait le barbarisme, la saleté, l’obscurantisme et j’en passe. Mes cheveux crépus ont été une source de curiosité. Ils contrastaient avec la norme de ceux qui ont décrété être le miroir du monde.
Dans cette ambiance faite de divers complexes, j’ai vu de nombreuses femmes prises au piège. C’est d’abord dans mon entourage proche que tout a commencé. Tes tantes et ta grand-mère sont d’un naturel clair mais elles avaient du béguin pour ces laits et autres mélanges réputés pour donner du glow au teint. Je me souviens encore de ce reproche constant de ma maman.
 Toi, tu ne prends pas soin de ton corps. Une femme doit prendre soin de son teint. Tu sais, on peut être noir mais d’un noir plus gai que le tien. Grouille-toi pour arranger tout ça…
Impossible de t’expliquer pourquoi, il était si difficile pour moi de pommader mon corps après la douche tout comme mes sœurs. En revanche, je me souviens des raisons évoquées par ma mère pour m’obliger à me vêtir de grandes robes et de pagnes : "ils devraient envelopper mes formes généreuses dans le but de me protéger du regard des hommes ". Quant à mes cheveux, j’ai commencé à les défriser après mon Brevet d’études du premier cycle. A la vérité, le réel bénéfice de ce lissage d’abord avec le fer et ensuite avec les produits chimiques a été la facilité qu’il m’offrait lorsque je devais me coiffer.
Aussi le défrisage nous donnait-il l’avantage, à l’époque, d’imiter ces coiffures que portent les femmes occidentales que nous voyions dans les séries et les films. Mais l’adage dit que ‘’le séjour dans l’eau ne transforme pas un tronc d’arbre en crocodille”. Pour te dire que j’ai beau utiliser ces artifices pour me rapprocher des standards de beauté du monde, ma différence intrinsèque s’est toujours exprimée. En plus, le monde évolue et avec lui, les canons de beauté. La preuve, c’est la mode des mèches brésiliennes qui a gagné les femmes dans les années 2000. Par ailleurs, c’est au prix de chirurgies coûteuses et dangereuses que les femmes de ton époque se fabriquent les formes généreuses que moi j’ai tout naturellement.
Sans recourir à différentes pratiques parfois dangereuses, il est cependant humainement difficile de rentrer dans ce type de standard.

Dis-moi quelle femme nait originellement avec des fesses et des seins exubérants et une taille très fine ? Et pourquoi, c’est toujours aux femmes que ces genres de choses sont suggérées ? Ne s’agit-il pas ni plus ni moins d’une autre forme de violence ? Malheureusement, ils ont réussi à nous emmener à, nous mêmes, nous l’infliger.
Mais je me demande à quoi bon se nourrir de complexes ? Pour moi, il n’y a rien de plus absurde que de tendre vers une contrefaçon de soi-même ; surtout à l’ère du combat pour l’équité, l’indépendance.
Ma chérie, l’indépendance, c’est aussi cette liberté que nous avons à assumer qui nous sommes. Se mirer dans le regard des autres, c’est dépendre d’eux…
Il m’a fallu néanmoins du temps pour me rendre compte de cette supercherie. C’est la révolution induite par les mèches et perruques brésiliennes qui a marqué le déclic chez moi. J’ai démarré mon aventure ‘’body positive’’ en coupant mes cheveux pour retrouver la texture afro. Je remets au goût du jour sans complexe, lors de mes émissions télévisées, les tresses et autres coiffures des “agodjiés”, ces vaillantes femmes qui ont combattu aux côtés des hommes dans le royaume du Dahomey. Le beurre de karité et l’huile de coco sont devenus alors mes plus grands alliés de beauté. Je ne compte plus aujourd’hui le nombre de pantalons qu’il y a dans ma garde robe.
Crois-moi ma grande, il n’y a rien de mieux que de s’assumer. Et puis, toutes les femmes sont belles. Nous sommes chacune unique. Ne dit-on pas que les goûts et les couleurs ne se discutent pas ? Ne te rends donc pas malade, à vouloir à tout prix devenir une fausse copie de toi-même.Tu y gagnerais quoi ?
La liberté est un détail important dans ton accomplissement. Et elle commence par cette capacité à s’assumer dans sa différence.
Te souviens-tu de mes dénonciations du 1er Mai ? Celles où j’ai mis à l’index ceux qui m’ont éteinte dans le milieu professionnel du fait justement de leur emprise sur moi ? Eh bien, ma liberté retrouvée en a été le déclic.

Ose donc être ‘’TOI’’ !
Ta mère qui t’aime.



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