Sur Zone Franche de Canal 3 Bénin : Mathurin Nago fait des révélations et s’affiche contre la révision de la Constitution

Karim O. ANONRIN 30 mars 2015

Mathurin Nago, président de l’Assemblée Nationale

Le président de l’Assemblée nationale, le Professeur Mathurin Coffi Nago, était hier l’invité de l’émission Zone Franche de la chaîne de télévision Canal 3 Bénin. Au cours de l’entretien, l’homme n’a pas caché sa déception face à ce qu’est devenu le régime du président Boni Yayi qu’il a contribué à faire naître. Par ailleurs, il a fait des révélations sur ses relations avec le Chef de l’Etat, le président Boni Yayi, avec l’opérateur économique Patrice Talon et autres opérateurs économiques ayant eu des démêlés avec le pouvoir. La question de la révision de la Constitution du 11 décembre 1990 n’a pas été occultée au cours de l’émission. Pour Mathurin Coffi Nago, il y a de vraies raisons de croire que toute révision de la Constitution dans les circonstances actuelles est opportuniste. Mais, malgré sa déception quant à la gouvernance actuelle du Bénin, le Professeur Mathurin Coffi Nago dit ne pas regretter son engagement aux côtés du président Boni Yayi, même s’il ne partage plus les idéaux du Chef de l’Etat. Quant aux élections présidentielles de 2016, il devient de plus en plus une évidence que le Professeur Mathurin Coffi Nago, sera dans la course. Du moins, il n’a pas caché son envie d’insuffler un nouveau dynamisme au Bénin pour son développement et pour le bien-être des populations.
(Lire ci-dessous quelques extraits des déclarations de Mathurin Coffi Nago ce dimanche sur Zone Franche)

Quelques extraits des déclarations de Mathurin Coffi Nago ce dimanche 29 mars 2015 sur Zone Franche
Nago déplore la mal gouvernance par le pouvoir Yayi
« …Ce que j’ai eu à dire le 7 janvier 2014, je l’ai répété à plusieurs reprises depuis des années. J’ai noté qu’au fil des années, la qualité de la gouvernance s’est détériorée et cette mal gouvernance s’est caractérisée par des faits de corruption avérés, le problème de la qualité des nominations, la gestion des finances publiques. Etant à la place où je suis, j’ai beaucoup d’informations. S’agissant du siège de l’Assemblée nationale, bien avant le passage des marchés, j’avais dit qu’il fallait mieux éviter de donner le marché à certaines entreprises. Je l’avais dit au Chef de l’Etat. J’avais ce pressentiment fort que ça n’allait pas marcher compte tenu de l’importance des fonds à mettre en œuvre. J’ai pris des initiatives pour convaincre les acteurs. Nous avons mis en place une Commission parlementaire parce qu’il y avait une action qui était engagée là-dessus. La Conférence des présidents a rencontré à plusieurs reprises le Ministre en charge de l’urbanisme à qui nous avons dit un certain nombre de choses. Nous avons mis en place un comité de suivi. Déjà au niveau du dépouillement et de l’analyse des offres, nous avons constaté des irrégularités et notre représentant a refusé de signer le procès verbal. Nous avons pris l’opinion publique à témoin parce que nous avons posé une question orale au gouvernement qui a été largement débattue. Au cours de ce débat, j’étais vraiment énervé parce que ce n’était pas une bonne chose qu’on engloutisse 14 milliards de Fcfa. Le lancement des travaux a eu lieu en 2009 et le Chef de l’Etat prévoyait la fin des travaux en 2 ans. Malheureusement, rien n’est fait. Il y a un autre aspect au nombre des points qui ont fait que j’ai quelques déceptions. C’est certains comportements et certaines pratiques de divisionnisme, de régionalisme, d’instrumentalisation. Je reçois beaucoup de gens qui viennent se plaindre. Quand on est placé à certaines positions, il faut éviter certaines choses. J’ai reçu plusieurs coups de fil il y a deux ou trois ans depuis Banikoara pour m’informer d’un certain nombre de choses qui ne sont pas bien. Nous devons éviter cela. Nous devons travailler pour l’unité de la Nation. Nous devons travailler pour la cohésion nationale. Je le vis moi-même dans ma région et au quotidien. On fait venir régulièrement des délégations. Il y a quelques jours, c’était près d’une centaine de femmes et de jeunes qu’on a fait venir de la 18ème circonscription électorale avec de l’argent en leur disant que le seul point à l’ordre du jour, c’est Nago (...) C’est des plaies extrêmement graves qui risquent de se gangrener. Il faut que nous évitions cela parce que nous avons tous l’ambition de faire la promotion de notre pays. Nous avons tous l’ambition de faire de notre pays, l’un des pays les mieux placés dans le concert des Nations. Il faut que nous contrôlions nos langages quand nous allons rencontrer nos électeurs sur le terrain. Quels que soient les enjeux des élections, nous n’avons pas le droit de dire certaines choses (…) Certains députés m’ont dit au cours de la 5ème législature voire la 6ème législature qu’il y a des réunions séparées de la majorité qui se tiennent… »

Nago dit assumer son engagement aux côtés de Yayi, mais…
« …Je vous ai dit que j’avais des rencontres avec le Chef de l’Etat ; des rencontres au cours desquelles je lui disais ce que je n’appréciais pas. Je me suis dit que tout homme est perfectible. A l’œuvre, on peut poser des actes qu’on peut regretter par la suite et qu’à partir de ce moment là, on peut améliorer les prestations. Mais vous savez que l’entourage peut y aider aussi. Quand vous regardez dans l’entourage, il y en a qui sont venus et qui pensent pouvoir rattraper le temps perdu, mais qui sont devenus des prestataires de services trop zélés. Disons que j’assume mon engagement. Je ne regrette pas de m’être engagé aux côtés du Chef de l’Etat sur la base de ses déclarations et de sa proclamation. Je dois avouer que les premières années ont été des années de passion, des années de conviction et j’ai eu du plaisir à travailler. Si vous interrogez d’autres responsables qui ne sont pas aujourd’hui aux côtés du Chef de l’Etat, ils vous diront la même chose. Je me sentais libre de poser les actes que je voulais poser. Mais il y a eu des dégradations au fur et à mesure. Je ne vais pas parler au Chef de l’Etat qui est le premier magistrat de la Nation pour lui faire plaisir ou pour obtenir quelques fruits de lui. Lui-même sait que quand je viens, c’est pour dire ce qui peut arranger la Nation. Aujourd’hui même, malgré nos divergences, je veux continuer de contribuer à ce qu’il termine son mandat. Quand je m’engage dans un partenariat, je veux que chacun de nous fasse les choses avec sincérité ; et que l’on ne dise pas une chose et l’on fasse une autre chose après. Je ne peux pas moi-même donner le mauvais exemple. Je disais que les divergences existaient depuis longtemps. Déjà à la 5ème législature et à la veille des élections présidentielles, le Chef de l’Etat nous avait réunis, nous qui sommes de sa majorité présidentielle au Palais des congrès pour présenter ses excuses pour un certain nombre d’actes qu’il avait eu à poser et qu’on lui reprochait. C’est vous dire qu’il y avait déjà des choses qu’on lui reprochait, non pas pour des critiques, mais pour construire et pour repartir sur de nouvelles bases. En tout cas, c’est la promesse qui nous a été faite. Mais à partir de la 6ème législature, je n’ai jamais été associé à la formation d’un gouvernement. Malgré les promesses. J’observe la correspondance et pour ne pas laisser le pays sans gouvernement, nous essayons, tel que le prévoit la Constitution, de donner notre avis consultatif. Mais ce qui se dit, c’est que c’est moi qui empêche de nommer des Ministres de ma région. A chaque formation de gouvernement, c’est le président de l’Assemblée nationale qui a dit de ne pas nommer tel ou tel cadre. C’est ce qui se dit… ».

Nago reconnaît avoir rencontré Patrice Talon pour l’écouter
« …La première fois que j’ai connu Patrice Talon, c’était dans le bureau du Chef de l’Etat. Ensuite, nous avons eu à collaborer quelque peu lors des élections présidentielles de 2011. Et puis, c’est cette fameuse affaire de Pvi-Nouvelle génération. Nous n’étions même pas au courant. Personne ne nous a parlé du programme Pvi. Le programme est apparu et nous avons commencé à en être informé le jour où les choses ont ‘’pété’’. C’est une prérogative du gouvernement, mais comme j’ai l’habitude de le dire, il vaut mieux associer le Parlement pour qu’au moment opportun, nous soyons nombreux autour des problèmes. Quand il y a eu cette affaire de Pvi et quand nous en avons été informés, bien évidemment, nous étions allés échanger avec le Chef de l’Etat pour voir dans quelle mesure il fallait recoller les morceaux, parce que ce n’est pas bon de s’attirer des problèmes surtout quand il s’agit des opérateurs économiques qui créent beaucoup d’emplois. Je crois qu’avec le Chef de l’Etat, nous avons convenu au début de la crise que je puisse intervenir pour jouer le médiateur et je l’ai fait à la demande du Chef de l’Etat dans le cas de Talon. C’est à cette occasion que je l’ai reçu deux fois à la maison. C’était en 2012. Je l’ai fait aussi dans le cas de monsieur Sébastien Ajavon à la demande du Chef de l’Etat. Et je dois vous avouer que nous avons trouvé quelques solutions dont j’ai fait le compte-rendu au Chef de l’Etat, parce que je voulais un climat apaisé. Un développement ne peut se faire dans un climat de perturbation. Depuis ce temps, je n’ai pas eu de contact avec monsieur Patrice Talon. En 2013, j’ai suivi comme vous, toute la cabale qui a été organisée contre certains collègues, comme quoi ils sont partis à Paris pour rencontrer monsieur Talon pour prendre de l’argent. Il y a même un collègue qui a été fouillé à l’aéroport, tout simplement parce qu’on estime qu’il est parti à Paris. Dieu merci, j’ai été préservé de tout ceci pendant deux à trois ans. En ce qui concerne la deuxième affaire qui est intervenue, l’affaire tentative d’empoisonnement, je voudrais vous rappeler que quand cette affaire a éclaté, j’étais au Canada. J’ai dû écourter mon séjour au Canada pour aller exprimer mon soutien moral et politique au Chef de l’Etat. Soit dit en passant, quand j’ai quitté le Palais, j’ai reçu des coups de fil me disant que le Chef de l’Etat estimait que j’étais complice de la tentative d’empoisonnement. Je n’ai pas manqué de retourner le voir pour le lui demander. Il m’a dit qu’il n’avait jamais dit ça. Je rappelle que c’était un certain nombre de gens très proches du Chef de l’Etat qui m’ont appelé. Du reste, il y a beaucoup d’autres qui ont été accusés. On a estimé que ce coup allait profiter à quelqu’un et que j’avais exprès voyagé. Je ne suis pas un friand de pouvoir. Je ne m’accroche pas du tout au pouvoir et je n’avais rien organisé pour avoir le pouvoir. Pendant un certain temps, je n’ai pas cru devoir prendre contact avec Patrice Talon pour des questions d’engagement et de fidélité. Maintenant, ils ont fait le montage des photos d’un certain nombre de collègues.
Dans mon cas précis, tout comme je le fais dans le cas de beaucoup de concitoyens, je reçois près de 500 à 600 personnes chaque année ; qu’ils soient des condamnés, des gens en difficultés avec le pouvoir, des opposants. Chaque fois que le Chef de l’Etat me sollicite pour recevoir tel ou tel autre, je le reçois. De 2012 à 2014, j’ai été approché pour que d’autres me servent leurs versions. La seule version que j’avais jusque-là, c’était celle du Chef de l’Etat. J’avoue que machinalement, j’avais pensé que, venant du Chef de l’Etat, cela ne pouvait qu’être vrai. J’ai commencé par écouter d’autres versions et on m’a dit qu’il faut pouvoir écouter l’intéressé. Je n’ai pas été le voir. Mais il est venu me voir à l’occasion d’un dîner organisé par un ami à moi pour me présenter sa version vers fin 2014. En faisant cela, j’estime que je suis dans mon rôle. Je ne l’ai pas fait seulement vis-à-vis de celui là. Je l’ai fait vis-à-vis de monsieur Sébastien Ajavon. Je l’ai fait vis-à-vis de beaucoup d’autres. Je dois recevoir tous les Béninois pour les écouter. C’est même intéressant pour le pouvoir parce que nous sommes là pour apaiser. Même un condamné à mort, on lui rend visite. Ne pas le faire, c’est prendre partie de façon systématique. Je voudrais vous rappeler également que cette affaire a fait l’objet d’une prise d’ordonnance en 2013 par le Juge qui était en charge du dossier. C’était une ordonnance de non-lieu. En plus de ça, en mai 2014, le Chef de l’Etat nous a révélé dans une déclaration qu’il a faite qu’il y a eu des démarches qui ont été entreprises, qu’il y a eu des médiations qui ont été faites par le président Abdou Diouf, par le président François Hollande, par le Ministre des affaires étrangères Laurent Fabius. Et dans sa déclaration, il a dit ‘’je suis heureux, j’éprouve beaucoup de bonheur et j’invite les uns et les autres à tourner la page’’. En octobre 2014, on me reproche d’avoir rencontré un concitoyen qui est un opérateur économique, un grand ami du Chef de l’Etat. Ceux qui sont les plus proches du Chef de l’Etat sont ceux qui fréquentent le plus monsieur Patrice Talon… ».

Nago justifie son opposition à la révision de la Constitution
« …Je vais vous dire mon sentiment et la vérité. Le projet de loi portant révision de la Constitution, c’est un projet qui fait partie d’un ensemble que nous avons voulu au lendemain de l’élection présidentielle de 2011 et il est considéré comme l’un des éléments des réformes que le gouvernement voulait engager. Le Chef de l’Etat a placé son deuxième mandat sous le signe des réformes institutionnelles et j’étais d’accord avec lui. Nous avons beaucoup échangé là-dessus. Il a développé un certain nombre d’arguments sur lesquels j’étais d’accord. Ce n’est qu’après cela qu’il a voulu que l’on revisite la chose. En réalité, le premier projet a été envoyé en 2009. Mais nous, nous n’étions pas engagés là-dessus parce que c’était une législature très perturbée. Avant de s’engager dans une telle réforme, il fallait d’abord créer un environnement favorable. Etant convaincus et ayant décidé d’engager la chose, les députés de la majorité parlementaire avaient décidé de se rapprocher de l’opposition parlementaire pour avoir un consensus. Pour couronner le tout, il y a cette retraite parlementaire qui a été organisée à Parakou. De façon concrète, quels sont les éléments qui m’amenaient à être d’accord ? D’abord, il y a un certain nombre de points sur lesquels le comité d’experts qui avait travaillé en 2006-2007 était d’accord. On avait parlé de la constitutionnalisation de la Cour des comptes, la constitutionnalisation de la Cena, l’imprescriptibilité des crimes économiques et autres. En réalité, chaque institution de la République voyait qu’il y avait des insuffisances et qu’il fallait profiter d’un certain consensus pour trouver des corrections à ces insuffisances. Notamment, au niveau de la Haute Cour de justice, nous avons remarqué que depuis un certain nombre de législatures, la Haute Cour de justice ne joue pas pleinement son rôle. Au niveau de la procédure de poursuite et de mise en accusation, il y avait des insuffisances qui bloquent l’évolution des dossiers. J’en ai discuté régulièrement avec le président Théodore Holo qui était en ce moment président de la Haute Cour de justice et il m’a convaincu. De ce point de vue, il n’y avait pas de problème. Maintenant, je vous ai parlé de la crise de confiance. Je vous ai parlé d’un certain nombre de pratiques et de comportements. J’ai évoqué également des informations venant de l’entourage immédiat du Chef de l’Etat qui laissaient paraître qu’en dehors de ce qui est fait officiellement, il y avait une certaine vérité et cela, depuis 2013. A partir de ce moment là, je ne pouvais plus accorder mon aval à une révision de la Constitution. Puisque cette crise de confiance s’est fortement accentuée, pour des raisons tout à fait valables, où la vérité et la sincérité n’étaient plus la chose la mieux partagée, j’ai commencé par prêter une oreille attentive à tout ce qui m’était rapporté. Je suis à une position où j’apprends tout ; même les choses qu’on ne veut pas que j’entende. C’est ainsi que j’ai pris du recul par rapport au dossier. Il m’a été démontré par des personnes les plus insoupçonnables que c’est une révision opportuniste et à tout moment, on pourrait prendre une autre orientation. Ceci a été conforté par le fait qu’après la première commission qui a été mise sur pied par le Chef de l’Etat, il y a eu une deuxième qui a été mise en place, la commission Gnonlonfoun qui dans son rapport, a introduit un certain nombre de points comme ‘’l’initiative législative’’ et ‘’la démocratie participative’’… »

Propos transcrits par Karim Oscar ANONRIN



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