Anselme AMOUSSOU : « L’intention d’accompagner le Cne est une volonté de dépolitiser l’école béninoise »

Patrice SOKEGBE 25 janvier 2020

La mission que l’on confie au Cne dans la théorie, c’est une très belle initiative parce que l’intention qui a été annoncée pour accompagner le Cne, c’est une volonté de dépolitiser l’école béninoise, d’avoir de la cohérence et de la cohésion dans la gouvernance du système éducatif, de ne plus laisser les ministres en tant que politiques décider de tout, mais d’avoir une structure autonome avec des personnes qui sont intellectuellement et politiquement indépendantes qui ont toute l’autorité donc pour agir sur les aspects aussi importants que les nominations, les mutations et les décisions d’orientation scolaire en terme de programmes, de refonte du programme, de refonte des curricula. Théoriquement, c’est une très bonne initiative. Et quand on regarde un peu la composition, le mode de composition du Cne, on peut avoir un tout petit espoir que ça peut fonctionner puisqu’il y a des membres qui ont été élus par leur structure. Il y a des personnes qui ont été désignées mais très peu. Et ceux qui ont été élus l’ont été sur la base d’un dossier qui a été étudié. Et quand je regarde ceux que je connais dans ce creuset, je vois des personnes de qualités, vraiment intellectuellement de qualité, des personnes qui ont vraiment l’expérience de la gestion du système éducatif. Vous avez des inspecteurs chevronnés, vous avez des jeunes universitaires, des enseignants qui sont à la tâche tous les jours et qui connaissent la réalité du monde éducatif. On peut se permettre d’espérer que ça peut fonctionner. Quand j’ai fini de dire ça, je dois vous avouer que j’y crois à moitié parce que quoi que l’on dise, le Cne est sous l’autorité de l’Etat. Le chef de l’Etat est un homme politique qui a été élu par des politiques et qui est obligé de fonctionner avec des politiques. Donc tout cet attelage intelligemment monté, dépend de la volonté de cet homme politique de faire les choses telles qu’il les a annoncés. A partir du moment où cette volonté politique ne va pas être accompagnée des actes concrets, je pense que le Cne risque de tomber dans les mêmes travers que nous dénonçons aujourd’hui qui sont la politisation, la gestion à la petite semaine sans boussole de l’école béninoise avec le népotisme et tout ce que l’on peut décrier. J’espère que le Cne pourra donc profiter du respect de la parole d’un homme politique qui n’a que des engagements et qui va nous surprendre agréablement par les engagements qui ont été les siens par rapport à ce creuset. Le système éducatif béninois a vraiment besoin d’un autre type de gouvernance, d’un autre type de gestion de l’école parce que nous avons tellement de problèmes aujourd’hui. Regardez le taux de chômage qui est doit être résorbée par une refonte intelligente de l’école à travers la mise en exergue de l’enseignement technique et professionnel. Jusque-là nous sommes dans la théorie depuis des années. On a donc enfin besoin d’avoir le courage politique de faire les réformes qui nous permettent d’avancer sérieusement pour prendre à bras le corps les problèmes qui sont les compromis de l’école qui ne datent pas d’aujourd’hui. On parle beaucoup des grèves, de la baisse des niveaux. Et la baisse des niveaux vient d’abord de la qualité des enseignants, de la qualité des structures d’accueil, des infrastructures d’accueil et de la qualité de ceux qui doivent gérer l’école au quotidien, de ceux qui doivent prendre les grandes décisions. Et pour ça, on a besoin vraiment d’un capitaine à bord qui soit un capitaine de collège. Lui seul peut jouer pleinement ce rôle. Mais je suis plutôt sceptique. J’attends de voir quel va être vraiment le mode de collaboration qui va exister entre le Cne et les différents ministères de l’enseignement parce qu’on a le sentiment que le Cne est une super structure que l’on peut assimiler à un ministère de l’éducation unique et que les autres ministères deviennent un peu comme des secrétariats d’Etat. Si c’est le cas pourquoi ne pas revenir simplement à cette forme de structure c’est-à-dire le Cne comme un ministère de l’éducation qu’il faut appeler ministère de l’éducation et désigner les autres ministres comme étant des secrétaires d’Etat chargé de l’enseignement primaire, secrétaire d’Etat chargé de l’enseignement secondaire, secrétaire d’Etat chargé de l’enseignement supérieur. Ça peut permettre également d’avoir le même résultat si celui qui décide permet à ce ministère-là unique de l’enseignement et de l’éducation de pouvoir jouer pleinement son autorité et sa mission.

Les attentes
« Il faut d’abord que le service s’attèle à actualiser l’ensemble des textes qui régissent l’école béninoise et qui parfois se chevauchent et se contredisent. Il faut d’abord ça. Identifier tous les textes qui réglementent l’école chez nous, les faire relire pour les adapter aux réalités du moment. Je pense notamment à la loi d’orientation de l’école qui doit s’ajuster absolument. Il y a un gros chantier qui concerne la relecture du programme d’étude. Les curricula doivent être absolument revus, parce qu’aujourd’hui, regardez un peu ce qui se passe dans nos universités où nos enfants sortent des universités et sont complètement perdus face aux difficultés de la vie professionnelle. Donc l’adéquation formation-emploi doit être une priorité pour le Cne et ça passe par une relecture intelligente, réaliste des programmes d’études de la maternelle jusqu’à l’université. C’est important de le faire surtout quand on sait que l’enseignement technique et professionnel est aujourd’hui plus ou moins abandonné quant à la subvention, quant au regard de l’Etat. L’école technique aujourd’hui, est plus chère que l’enseignement général et donc c’est une incongruité dans un pays où le discours consiste à dire, nous devons aller vers la professionnalisation de l’école, pour que les enfants puissent avoir un emploi lorsqu’ils finissent. On ne fait pas l’école technique pour aller à l’université, on fait l’école technique pour être immédiatement utilisable. Il faut donc relire les programmes. Je pense qu’on a besoin d’entreprendre le chantier de la cohérence des actions dans les différents ordres d’enseignement pour que nous puissions nous donner la main parce qu’aujourd’hui, il faut faire de l’orientation scolaire précoce, vraiment précoce et ne pas attendre que les enfants finissent d’abord le bac pour organiser le folklore que l’on organise tous les ans. De l’orientation précoce, pour identifier les enfants, leurs aptitudes et pouvoir les orienter pour qu’ils puissent se sentir moins perdus lorsqu’ils finissent leurs cursus. Vous savez très bien qu’il faut dépolitiser l’école béninoise et ça passe par un certain nombre de mesures qui doivent être absolument prises. Il faut redessiner la carte scolaire. La carte scolaire au Bénin apparaît comme une mosaïque incompréhensible même pour les initiés. Des écoles qui ne doivent pas être implantées mais qui l’ont été par la volonté du politicien en quête de voix dans sa région ; vous avez des écoles qui n’ont pas de maître ; vous avez des établissements secondaires bien construits mais qui n’ont pas lieu d’être parce que trop proches d’un autre établissement scolaire qui n’a pas les effectifs qu’il faut. Il faut savoir donc faire tout cela avec beaucoup d’intelligence pour permettre une répartition judicieuse du personnel enseignant. Et puis la question du recrutement doit s’inscrire dans une perspective à long terme. C’est-à-dire que nous devons pouvoir planifier un certain nombre de choses. Dans 2 ans nous en serons où en termes d’effectifs des élèves et en termes d’effectifs des personnels ? Il faut recruter à quel moment et dans quel ordre d’enseignement ? Tout cela ne peut se faire qu’à travers une planification rigoureuse donc un document de planification et de gouvernance de l’école doit être élaboré pour être la boussole de ceux qui doivent gérer au quotidien l’école béninoise. Vous savez qu’il faut davantage professionnaliser la fonction enseignante et donc le Cne doit s’intéresser aux programmes d’enseignement dans les écoles de formation professionnelle. Est-ce que le programme aujourd’hui dans les écoles normales d’instituteurs, dans les écoles normales supérieures, est-ce que ces programmes sont toujours adaptés aux réalités ? Est-ce que ces programmes permettent d’avoir de bons produits aujourd’hui, immédiatement disponibles et compétents sur le terrain ? Il faut revoir ça. Il y a de grosses réformes qu’il faut tenter dans la formation des enseignants pour élever le niveau mais en même temps, la question de la motivation de l’enseignant. C’est une question qu’il ne faut pas laisser de côté. La question des revendications, la question du dialogue social doivent être également les préoccupations du Cne pour lui permettre d’avoir la sérénité, l’apaisement social qui peut l’occuper à la tâche qui est la sienne. Car, si vous n’avez pas l’apaisement qu’il faut, vous pouvez réfléchir à toutes les reformes du monde, vous allez quand même échouer. Donc la question du dialogue social qui permet donc de rassurer les acteurs de l’école et parents d’élèves et enseignants doit être également au cœur de l’action du Cne. Et le Cne doit avoir une démarche qui soit la plus participative et la plus inclusive possible parce que s’il arrive et qu’il met un peu comme le gendarme, le censeur, je pense qu’il aura beaucoup de mal. Je pense qu’on a besoin de pédagogie, d’une pédagogie qui peut provoquer l’adhésion de tous aux différentes mesures fortes que le Cne aura donc à prendre pour pouvoir sortir notre école de sa situation actuelle ».



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