Guerre en Ukraine, françafrique et relations internationales : les vérités de Talons aux Occidentaux

6 mars 2023

Vous êtes un des chefs de l’Etat du continent africain les plus courtisés en ce moment, visite du président Macron, visite du ministre russe, visite du ministre chinois, est-ce qu’il y a en raison de la guerre un moment africain ?
Peut-être on peut le dire, ce moment est actuel. On peut dire que c’est un moment africain. Cela est un peu flatteur pour nous plutôt.

On a entendu sur votre sol la première grande charge du président Macron contre la Russie quand il a dit la Russie est l’une des dernières puissances impériales coloniales. Est-ce qu’il a raison ?
Je ne saurais le dire. Ce n’est pas mon analyse des choses. Ce qui me préoccupe et qui préoccupe le Bénin, c’est la guerre en Ukraine et elle est malheureuse. La Russie est un ami du Bénin de vieille date et malgré l’intervention de la Russie en Ukraine, elle demeure un ami du Bénin. Mais ce n’est pas parce que nous des amis, des peuples amis qu’il faut se garder de ne pas condamner ce que fait la Russie en Ukraine. Le Bénin condamne parce que l’usage de la force n’est pas à promouvoir, cela est dangereux parce que si on banalise ce fait ou on exprime une neutralité, ce sera une façon de promouvoir l’usage de la force pour régler les conflits internationaux et cela est dangereux notamment pour les pays du Sud comme le Bénin qui n’ont pas de puissance militaire.

Vous aviez des relations personnelles y compris avec le président Poutine. Est-ce qu’il a commis une erreur personnelle ?
Je ne veux pas juger de l’opportunité de son intervention. Est-ce que la cause est juste ou pertinente, là n’est pas le débat. Evitons de chercher si une cause, fût-elle juste, puisse justifier l’intervention par l’armée dans les relations internationales. Il ne faut pas que la force soit le moyen de règlement des conflits quelle que soit la pertinence de la cause.

Comment est-ce que vous comprenez dans une partie des opinions africaines en dépit de ce que vous dites, cette espèce de séduction qu’il y a toujours de la Russie ?
Toutes les grandes puissances et grandes nations font de la séduction. Chacun veut étendre sa sphère d’influence. Etendre sa sphère d’influence, c’est commun aussi bien à la France, à la Russie, à la Chine, aux Etats-Unis, à l’Angleterre, à toutes les grandes puissances et les relations humaines sont caractérisées par ce genre de volonté.

On assiste quand même à des choses étonnantes. La France a consenti des sacrifices si considérables pour lutter contre le Djihadisme au Mali. On est en 2023, on se dit que le colonialisme, c’est du passé et on voit qu’encore aujourd’hui dans une partie des opinions, il y a une séduction de la Russie et même de Wagner. Comment expliquez-vous cela ?
La Russie est dans une phase difficile. La guerre que la Russie mène à l’Ukraine l’oblige à se justifier et à étendre son cercle d’amis. Donc c’est normal que dans cette phase actuelle elle soit plus active en termes de séduction. Mais je continue de dire que tous les Etats et les responsables, les dirigeants des pays devraient s’abstenir d’être neutres, parce qu’on peut avoir un ami et quand cet ami fait quelque chose qui est préjudiciable pour l’ensemble de l’humanité, il faut le dire. L’usage de la force n’est pas souhaitable parce que si ça devient une banalité et tout le fera, ce sera dangereux en tout cas pour les pays comme les nôtres.

Sur notre antenne, le ministre des armées, Monsieur Lecornu a dit que Wagner considère désormais la France comme ennemie numéro 1 et d’une certaine manière, il appelait à l’aide les africains, est-ce que vous êtes prêts à aider la France à lutter contre Wagner ?
Le Bénin n’a pas à aider un pays contre un autre. Nous ne pouvons être un allié de la France contre la Russie et ne pouvons non plus être alliés de la Russie contre la France. Le Bénin n’est pas allié d’un pays contre un autre. Wagner vient dans un environnement où la Russie mène la guerre contre l’Ukraine. Donc l’environnement est assez pollué parce que le prestataire privé armé, cette notion n’est pas nouvelle, on l’a vu en Afghanistan qu’il y a eu des prestataires ou des sociétés de sécurité privée qui sont intervenues pour protéger des édifices et consorts….

Vous pensez là à des américains
Tout à fait. Donc ce principe n’est pas condamnable quoi que l’idéal soit que tout ce qui est armé soit d’ordre public et non privé.

Ceux qui vous entendront diront que le président Talon est en train de relativiser. Certes il y a Wagner mais il y avait aussi des sociétés privées américaines.
En effet, je relativise le principe même de l’intervention privée militaire mais quel est l’objectif ou la mission qui est confiée à cette organisation ? Est-ce que c’est purement sécuritaire ?

Est-ce un danger pour vous ou est-ce que selon vous Wagner est un danger en Afrique ?
Si la mission de Wagner est purement sécuritaire au service d’un pays qui est en proie à l’insécurité, au djihadisme et qui n’a pas les moyens humains, techniques, sur le principe, ce n’est condamnable pour moi.

Monsieur le président, on vous sent très prudent
Je n’ai pas l’habitude d’être prudent.

La démographie africaine est tellement forte, la démographie européenne faible. Est-ce qu’il y a une logique historique, notamment pour payer les retraites simplement d’une génération à venir, des africains, que cela plaise ou non, que politiquement ce soit apprécié ou non aux mouvements migratoires ?
Il ne faut pas que les migrations ou la nécessité de combler le déficit démographique en occident en Europe conditionne les politiques africaines en terme de développement et de démographie. Nous sommes confrontés aujourd’hui à un drame. Le taux de croissance de la démographie est trop élevé et en décalage avec nos capacités à investir dans l’infrastructure, d’éducation, de santé et de la création d’emploi. Il faut impérativement contrôler ce taux de progression de la démographie, donc contrôler les naissances.

De toute éternité, on a essayé et on peut très peu jouer en réalité sur la démographie.
Beaucoup de pays y sont parvenus et il faut trouver les moyens d’inciter au contrôle des naissances et même de trouver les moyens coercitifs pour que l’explosion qu’on observe, le taux qu’on observe ne se perdure pas. Sinon, l’Afrique se portera très mal.

Cependant, vous n’avez pas encore répondu à la question. Quand des allemands ou des patrons allemands disent, on a pris 1 million syriens, et ils le disent parfois très cyniquement, parce que ces 1 million syriens aideront à payer le retrait des allemands dans 30 ans. Est-ce que ce calcul vaut pour les africains en Europe ?
Nous n’allons pas développer notre politique de développement sur ce besoin de l’occident d’avoir des immigrés pour combler leurs déficits de populations. Il faut que les dirigeants africains que nous sommes, nous œuvrions pour le bien-être de nos concitoyens aujourd’hui et demain. Et pour tout cela, il faut contrôler les naissances, il faut limiter le taux de production de la démographie pour que nos moyens soient en adéquation avec la population.

Qui arrête l’immigration ?
C’est un phénomène humain et universel qui, à travers le temps, n’a jamais pu être maîtrisé par la volonté des hommes, des dirigeants d’un instant. Les peuples ont toujours bougé, l’homme a toujours circulé et l’homme circulera toujours.

Pour tout ce qu’on a dit : la situation en Ukraine, le nouvel équilibre des puissances, la montée de la Chine, la Chine, elle est en train, n’est-ce pas, de gagner les parts de marché en Afrique de manière tellement massive.
Oui !

C’est l’avenir pour vous, la Chine ?
La Chine, c’est déjà le présent. Elle est déjà présente. Il faut constater qu’elle est une puissance incontournable. Elle donne l’exemple de ce qu’on peut partir de rien pour devenir une puissance. La Chine m’inspire beaucoup. Le modèle chinois, l’effort sur soi, la bonne gouvernance sont des éléments qui devront inspirer tous les pays sous-développés, que le développement est à la portée de tout le monde.

Monsieur le président, si je peux vous rappeler que c’est aussi une dictature qui viole les droits humains de manière tellement massive, c’est un système tellement dictatorial sur sa propre population. Vous dites : « cela m’inspire » ?
La liberté et la démocratie sont un bien inaliénable. Il faut que chaque individu puisse vivre librement sur terre et s’exprimer en ce qui concerne la gouvernance de sa communauté. C’est un bien inaliénable. Mais attention ! il ne faut pas que la démocratie soit un leurre. Je vais vous voulez en venir, parce qu’on reproche à certains pays africains de ne pas pouvoir suffisamment promouvoir la démocratie, la liberté, les droits de l’homme. On reproche à la Chine de ne pas suffisamment promouvoir les droits de l’homme et la démocratie. Moi je dis une chose, s’il y a de la démocratie sans bonne gouvernance, c’est aussi grave que le défaut de démocratie et c’est comme ça que le développement socio-économique est un impératif autant que la démocratie et la liberté sont des impératifs.

Quand on parle de l’Occident, parfois vous avez des réserves, de la Russie, vous avez des raisons très importantes. Je vous rappelle que vous avez condamné l’invasion de l’Ukraine. Sur la Chine, votre premier mouvement n’est que positif, est-ce que c’est révélateur de l’avenir, c’est-à-dire l’immense puissance démographique chinoise et l’immense puissance démographique africaine sont appelées à être, d’une certaine manière, un avenir du monde ?
Est-ce vous n’avez pas l’impression qu’il y a 20 ans, il y a 10 ans et aujourd’hui, les choses ont beaucoup bougé en Chine ? Est-ce que vous avez vraiment l’impression qu’au plan de la liberté et de la démocratie que rien n’a bougé en Chine depuis 30, 45 ans ? Moi, je suis dans ma chambre mais je peux vous dire combien parfois la bonne gouvernance peut heurter, en apparence, la promotion de la démocratie au niveau des libertés. Parfois, c’est très difficile quand on a des mauvaises habitudes communautaires.

Quoiqu’il en soit ce sentiment, c’est parfois une angoisse en Occident que l’avenir sera toujours plus africain, chinois, brésilien, indien et de moins en moins français, allemand, danois. Est-ce que cela correspond pour vous à un sens de l’histoire ?
Tout à fait, vous savez, je n’aime pas focaliser l’évaluation du monde sur l’Afrique. Parfois, consolateur pour nous. Et ce n’est pas bien. Dire que l’avenir, c’est l’Afrique et le présent alors ? Il faut travailler pour que le présent soit gagnable, qu’il y ait bien-être et que chacun joue sa part dans l’évolution du monde et personne ne peut prédire ce que sera l’humanité dans 1000 ans.
Merci !



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