Ismaël Kaffo, essayiste sociopolitique : le Bénin ne vit pas sous une dictature

14 mai 2021

Un texte bien inspirant avait récemment circulé, sur les réseaux sociaux tant il a, à l’appui des indicateurs d’une dictature qu’il a énumérés, indiqué deux dictatures qui sont tombées en Afrique en 2019.

Il me plaît de croire que ceux qui ont soumis ledit texte à l’attention du public ne l’ont pas fait par allusion à la gouvernance qui a cours au Bénin depuis 2016, et pour cause.
À l’intérieur comme à l’extérieur, de nombreux observateurs reconnaissent qu’il existe au Bénin une opposition organisée qui s’exprime. Le truculent Candide Azanaï a longtemps vitupéré la gouvernance de son ancien ami sans être inquiété. Notre constitutionnaliste de renom, Joël Aïvo, a mené, plus d’une année durant, sans coup férir, son dialogue itinérant avec des arguments juridiques, économiques et sociales, tout en affichant clairement son opposition au chef de l’État et en critiquant les actions de son gouvernement et promettant de lui arracher le pouvoir. Les ténors de la formation politique "Les Démocrates" ont animé l’opposition comme ils l’ont pu et, malgré tout, ils ont pu décrocher le sésame qui leur a permis d’exister officiellement en tant que parti politique et donc de concourir à l’élection présidentielle du 11 avril 2021. Le duo de candidats que ce parti a présenté n’a pu, hélas, réunir les parrainages nécessaires pour être au starting-block.
Les activités du parti "Les Démocrates" ainsi que celles de Joël Aïvo étaient régulièrement relayées par la presse. C’est dire que la presse est plurielle et donc que la liberté de presse n’est pas confisquée au Bénin. Les libertés individuelles, celles d’association, de manifestations sont juste canalisées pour ne plus laisser place à la pagaille qui a eu longtemps cours dans le pays.
Jusqu’en 2016, le Bénin sombrait littéralement dans l’immobilisme politique qui en sclérosait le développement économique et le progrès social. Il a été gouverné, deux décennies durant, par deux chefs d’État dont la vision la plus perceptible était de s’éterniser au pouvoir. De ce fait, le populisme et le laisser-aller étaient érigés en mode de gouvernance. Le pays avait continuellement baigné dans un désordre indescriptible. Tout allait à vau-l’eau, et la cohésion sociale était déchirée.
Il faut être rien moins qu’un révolté, un fou furieux pour s’attaquer à l’ordre établi, un mal si enraciné qu’il ne peut se résorber en douceur. Cela peut choquer, j’en conviens. Mais dans un pays comme le nôtre où les réformes sont difficiles à faire passer et où des remaniements ministériels sont parfois opérés sur la base de marchandages voire de chantages politiques induisant le plus souvent la mal gouvernance, il fallait absolument jouer son va-tout. Mieux vaut concéder un mal pour un bien que de nous complaire dans un mal qui perdure.
Le modèle autocratique sous la Révolution n’a pas réussi à impulser le développement économique et le progrès social. Le pluralisme démocratique né de la Conférence nationale encore moins. Coûteux, il a plutôt relégué l’économie au second plan et maintenu la peuple dans un clientélisme favorable au maintien de l’inertie et aux rentes de situation. Pour le dire plus simplement, le modèle démocratique que de nombreux pays nous envient n’a profité qu’à une poignée de personnes. Je voudrais alors en appeler à admettre que le président Patrice Talon a tenté d’explorer une troisième voie.
Déjà évoqué sous la gouvernance de Boni Yayi, c’est sous celle de Patrice Talon que le concept de dictature du développement a fait recette. C’est la fin qui justifie les moyens. Les résultats sont palpables, car il faut être résolument de mauvaise foi pour ne pas reconnaitre qu’au plan des réformes institutionnelles et administratives puis de réalisations des infrastructures, c’est du jamais vu au Bénin.
Il est de notoriété publique que les gens ont faim, mais force est de reconnaître que cela ne date pas d’aujourd’hui. Si de plus en plus de Béninois ont faim depuis le Renouveau démocratique, c’est parce que ce qui devrait être fait depuis longtemps pour enrayer cette spirale ne l’avait pas été. Cela devait passer pas des réformes courageuses. Les jalons de la lutte contre la faim sont en train d’être posés. On peut espérer que les résultats seront bien palpables d’ici à deux ou trois ans si on maintient le cap.
La prédation et la délinquance financière au Bénin ne sont que des supputations d’une certaine classe politique. Comment aurait-on pu réaliser les infrastructures aussi appréciées de tout le monde si ces deux fléaux sont érigés en mode de gestion ? C’est nier la lumière en plein midi que de ne pas accepter que les indicateurs économiques du Bénin sont globalement bons. La situation de l’endettement est même honorable.
Toutes les institutions républicaines sont en place et jouent leur partition comme elles le peuvent dans le concert démocratique. Tout n’est pas parfait, loin s’en faut. Notre démocratie ne s’enracinera que progressivement avec, quelques fois, des à-coups dont certains seront salutaires et d’autres inutiles ; c’est dans l’ordre normal des choses.
Pour finir de balayer du revers de la main la lueur d’une dictature au Bénin, je dois indiquer qu’un dictateur n’accède jamais au pouvoir et prendre, lui-même, les dispositions pour ne pas y rester longtemps. Le candidat Patrice Talon avait fait campagne autour d’un certain nombre de projets politiques dont celui de ne faire qu’un seul mandat. Il y tenait au point qu’arrivé au pouvoir, il a tenté de le constitutionnaliser en le faisant appliquer à lui-même.
La politique politicienne qui avait consisté à refuser la prise en compte, le 4 avril 2017, à l’hémicycle, du projet de révision de la Constitution avait été le catalyseur de la crise politique dont le point d’orgue était les élections législatives de 2019. Si ladite crise a quelque peu terni l’image du président Patrice Talon, elle n’a toutefois pas brouillé l’horizon qu’il s’est fixé, celui de transformer qualitativement le Bénin. La recherche du second mandat répond sans doute à la nécessité de consolider les acquis et permettre de finaliser quelques projets phares du quinquennat, notamment le projet ARCH, la construction des logements sociaux et de l’hôpital de référence.
Si le Bénin est presqu’aussi éloigné de la dictature que le ciel l’est de la terre, force est de croire qu’à un moment, nous avions été en récession démocratique stratégique induite par la radicalisation de l’opposition. Les pouvoirs portent en effet en eux une dynamique potentiellement dangereuse d’accaparement et d’absolu, celui de Boni Yayi était champion toute catégorie. Mais aucune dérive autocratique n’a pu, jusque-là, installer le Bénin dans la dictature.
Je voudrais toutefois rassurer que la démocratie est un point à l’horizon ; elle ne meurt jamais, mais renaît toujours de ses cendres. La raison, c’est parce que sa cause est une belle cause, et c’est pourquoi il faut y croire toujours et sans relâche, il faut y travailler encore et encore.
La crise d’adolescence de notre démocratie va certainement connaitre, sous peu, son épilogue. Notre pays va être plus que jamais pacifié. Des partis politiques vont continuer de fusionner au gré de leurs intérêts mutuels et le jeu démocratique sera de plus en plus libre. Les dispositions crisogènes du code électoral et de la Constitution vont être toilettées et le mécanisme pour rendre consensuelle ladite constitution va être recherché puis trouvé.
Je ne peux que déplorer les propos haineux tenus par une certaine classe politique et qui ont engendré des conspirations qui se sont traduites par des actes de violence avant et au cours du scrutin présidentiel de 2021. C’est ensemble et dans la paix que se construit un pays. Rien ne peut donc justifier la violence. Des arrestations pour des gardes à vue et pour des besoins d’enquête ont été opérées. Je souhaite que force puisse rester à la loi pour une justice équitable.
Reste la question épineuse qui taraude les esprits, celle de la quête du troisième mandat. Le sens de l’honneur dont je crédite le président Patrice Talon l’empêchera de faire ce qu’il a reproché à son ancien ami et prédécesseur Boni Yayi et qui a engendré la mésintelligence que l’on sait entre les deux. Qui vivra verra avait-il récemment dit sur RFI et France24 !
Ismaël Kaffo, essayiste sociopolitique.



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