Ravagé par cinq années de guerre, le Yémen redoute l’arrivée du coronavirus

Isac A. YAÏ 1er avril 2020

Au Yémen, aucun cas de Covid-19 n’a été pour le moment officiellement recensé. Mais le pays se prépare au pire, alors que le système de santé est très affaibli et que la situation humanitaire est déjà catastrophique.

Alors que la pandémie de coronavirus touche le monde entier, la guerre au Yémen continue de se jouer à huis clos. Des bombardements ont encore frappé, lundi 30 mars, la capitale Sanaa, tenue depuis fin 2014 par les rebelles houthis.

Des raids menés par l’Arabie saoudite qui dirige une coalition en soutien au gouvernement yéménite, raids intervenus deux jours après l’interception de missiles lancés par les Houthis dans le ciel de Ryad.

Un système de santé déjà exsangue
Pourtant, les parties au conflit s’étaient engagées récemment à entamer une trêve pour faire face à l’arrivée probable de l’épidémie de Covid-19 qui touche déjà fortement la région. « Comment se préparer à une telle épidémie si les bombes continuent de tomber sur Sanaa ? », déplore Mohammed Alshamaa de l’ONG Save the Children, joint à Sanaa. Le système de santé est déjà exsangue, ravagé par cinq ans de guerre.

Les infrastructures sanitaires ont été en grande partie détruites et celles qui tiennent encore debout doivent déjà faire face à de nombreuses maladies, comme la dengue ou les épidémies régulières de choléra, sans compter la malnutrition. En cas d’apparition du Covid-19, « les enfants ne pourraient plus avoir accès à leurs traitements à l’hôpital et ils en ont cruellement besoin », s’inquiète déjà Mohammed Alshamaa.

Très peu de tests et un manque cruel de matériel médical
Officiellement, aucun cas de nouveau coronavirus n’a été recensé au Yémen, mais seuls 45 tests sur des cas suspects ont été effectués, selon le Dr Abdulhakim Alkohlani, épidémiologiste et porte-parole du Comité technique de lutte contre le Covid-19, joint à Sanaa. Et ces tests se sont révélés négatifs.

Selon ce médecin, le dépistage est très difficile car seules quelques centaines de tests PCR (biologiques) sont disponibles au Yémen, que ce soit dans le nord (Sanaa) tenu par les rebelles houthis ou dans le sud (Aden) contrôlé par les forces gouvernementales. L’Organisation mondiale de la santé s’est engagée à fournir plus de tests, de même que des respirateurs et des équipements de protection pour les personnels de santé, qui font cruellement défaut.

Mais l’acheminement de matériel reste compliqué, à cause du blocus qui frappe ce pays en guerre. Au nord, les Houthis ont en outre fermé l’aéroport de Sanaa qui ne servait déjà plus qu’aux vols de l’ONU et à l’acheminement de l’aide humanitaire. Comme mesure préventive, les rebelles ont également fermé les écoles.

Difficile également de sensibiliser la population, une des plus pauvres au monde, aux fameux gestes barrières contre le coronavirus. Comment apprendre à se laver les mains lorsqu’on n’a même pas accès à l’eau potable ? « On doit se concentrer sur l’information aux populations et sur la distribution de kits d’hygiène », répond Mohammed Alshamaa de l’ONG Save the Children.

A Aden, la peur s’est emparée de la population
À Aden, au sud, la situation est aussi préoccupante. « La peur s’est emparée de la population, certains directeurs d’hôpitaux ont été menacés de mort s’ils accueillaient des malades du Covid-19 », témoigne Caroline Seguin, responsable du programme Moyen-Orient à Médecins sans frontières, qui a des équipes présentes au Yémen. « Tout le monde confond corona et ébola ! », déplore la responsable. Du coup, l’ONG travaille sur l’installation d’un centre spécifique à l’extérieur de la ville d’Aden, pour accueillir des patients qui seraient atteints du Covid-19.

À Aden, outre le manque d’infrastructures et d’équipements sanitaires, « il est difficile d’établir des stratégies pour faire face à l’arrivée du virus, en l’absence d’autorités sur place. La région est sous contrôle gouvernemental mais la plupart des ministres vit en exil en Arabie saoudite », rappelle Caroline Seguin.

Dans un pays en guerre, qui dépend à 80% de l’aide humanitaire, et dont le système de santé est en partie détruit, l’arrivée du coronavirus aurait des effets dévastateurs. Ainsi, « 70% de la population soit 21 millions de personnes pourrait être touchée », prédit le Dr Abdulhakim Alkohlani.



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