Sa Majesté Daagbo Hounon Hounan II au sujet des 60ans d'indépendance : « Si nous ne nous fions pas à nos valeurs traditionnelles, , nous courons à la perdition »

Isac A. YAÏ, La rédaction 3 août 2020

Le Vodoun est ce qui caractérise surtout le Béninois, avant le vent de la colonisation et de l’esclavage et le lot de religions importées. Aujourd’hui que reste-t-il de lui ? Quelle est la part qu’il prend dans le développement du pays ? Où en sommes-nous avec la promotion de la culture ? A l’occasion des 60 ans d’indépendance de l’ex-Dahomey, nous abordons ces préoccupations depuis Ouidah avec Sa Majesté Daagbo Hounon Hounan II, Chef spirituel suprême Vodoun Houindo, roi des mers et océans.

Pour commencer, Sa Majesté, l’humanité affronte actuellement un ennemi invisible, le coronavirus. Quelle appréciation Daagbo Hounon fait de la gestion de cette pandémie et comment entrevoit-il l’Après Covid-19 ?
Je voudrais dire que je suis le Président de la Plateforme nationale des structures religieuses engagées pour la Santé au Bénin. L’ennemi invisible n’est pas arrivé à nous surprendre. Depuis la nuit des temps nous avons toujours eu des ennemis invisibles par rapport à la santé. Donc ce n’est pas un ennemi de plus. Dès lors qu’il y a un attaquant sévère il y a des dispositions pour le combattre. Tel était le cas de la variole, du choléra et des diverses pestes. Actuellement nous sommes confrontés à la Covid-19 qui a amené l’Etat, en plus de l’intelligence traditionnelle, à prendre des dispositions tant préventives que curatives. Le plus connu c’est le lavage des mains comme vous l’avez fait au dehors avant d’entrer. En ce qui concerne le traditionnel vous aurez pu observez, même si on ne vous a pas fait obligation de passer par là, les deux jarres autour desquelles vous avez les rameaux. C’est les dispositions à l’état traditionnel suscitées, indiquées et orientées par les esprits au moment où la pandémie est là et nous devons prendre nos dispositions. La consultation du Fâ que nous avons faite, les divers esprits qui sont apparus au moment où nous devons combattre ce fléau étaient apparus et nous avions répondu favorablement. Se laver les mains, est-ce que c’est sorcier ? C’était déjà dans nos habitudes. « Va te laver les mains avant de manger », nous disaient nos parents. Beaucoup de personnes ont par exemple critiqué l’isolement. Mais référez-vous à l’histoire. Quand il s’agit d’une maladie contagieuse telle que la variole, la personne est isolée sauf le médecin traitant. Quand c’est même la toux simple, chez nous on ne tousse pas n’importe comment. Quand vous voulez éternuer, bailler, il faut prendre des dispositions, il faut se couvrir la bouche sinon ça porte malheur aux autres. La pandémie est venue nous rappeler qu’il ne faut pas se départir des principes de la tradition. Par rapport à ce mal du siècle, les dispositions sont prises et continuent d’être prises. Le comportement à deplorer, c’est que tant qu’un proche ou soi-même on n’est pas infecté on se dit que ce sont des rumeurs. Des gens sont allés jusqu’à agiter leur Sodabi comme remède infaillible.
Toutes les maladies qui arrivent ont leurs remèdes. L’application correcte des remèdes nous permet de riposter. Que vous preniez un dignitaire traditionnel assermenté de n’importe où, ces genres de dispositions sont prises. Nous travaillons le comportement des populations pour qu’elles ne disent plus : « Nous sommes modernes, nous sommes de telle religion… » pour bafouer la tradition. Donc il faut toujours s’inspirer des principes de la tradition.

Dans quel état Daagbo Hounon trouve globalement le Bénin après 60 ans d’indépendance précisément sur le plan culturel ?
Nous nous estimons heureux. En introduction, vous avez dit qu’en 2016 notre président a osé déclarer que l’Afrique est de culture Vodun. Il n’a pas osé. Il a dit ce qui est normal. Ce que doit dire celui qui est ancré dans la tradition. Partout où nous passons, en Afrique, en Europe ou dans les Amériques nous le disons haut et fort. L’Afrique est de culture Vodun. Et si l’Afrique est de culture Vodun, le monde est de culture Vodun car jusqu’à l’heure où nous parlons il n’est pas encore démenti que l’Afrique est le berceau de l’humanité. Il faut sortir pour aller voir dans les Caraïbes, en Asie, les Etats-Unis. La tradition est là. Il n’y a pas un pays au monde qui ne soit construit par la force et l’intelligence des Noirs. Une trentaine d’années en arrière, vous refuserez de venir rencontrer un grand dignitaire Vodunon traité de grand sorcier. Les termes utilisés c’est les ‘’féticheurs’’, et les féticheurs ne font que du mal. C’était l’éducation qui avait été donnée, et tout le monde fuyait. Aujourd’hui l’appellation ‘’fétiche’’ demeure dans la bouche de certaines personnes. Or ‘’fétiche’’ n’est qu’un mot portugais qui assimile nos valeurs à une banalité, une aberration. Pendant que, eux-mêmes entre eux ils disaient : « les Noirs connaissaient bien Dieu, ils ont une culture. Nous ne vous envoyons pas leur apprendre à connaître Dieu » (Roi belge Léopold II).
Nous sommes heureux qu’aujourd’hui il y ait la fête nationale du Vodun. Le Bénin a eu la préséance d’avoir institué cette journée. Je circule un peu partout dans l’Afrique, c’est vrai il y a des fêtes traditionnelles mais je n’ai pas encore connaissance d’une journée nationale ailleurs malgré que je sois dans un creuset des rois et chefs traditionnels de l’Afrique ; je circule en Allemagne, en Europe, un peu partout dans le monde.
Nous sommes heureux du fait que progressivement les gouvernants reviennent sur un certain nombre de choses qui sont propres à la tradition. Heureux sommes-nous de nous rappeler les grandes décisions du cinquantenaire des indépendances des pays africains où l’une de ces décisions stipulait que « l’Afrique ne peut se développer que par sa culture ». Tout ce qui revient aujourd’hui, ce n’est que la prise de conscience. Si nous ne nous fions pas à nos valeurs traditionnelles, nous courons à la perdition. Nous sommes heureux qu’aujourd’hui, il y ait plus d’une personne dans les contrées les plus reculées du Bénin qui sont fiers de leurs coutumes, parce qu’après ce temps de la colonisation, il y a eu le régime révolutionnaire que nous-mêmes nous avions choisi, et qui dit : à bas le fétichisme, le Vodoun, la féodalité ! Donc en un mot, qui renie les fondements culturels du pays. Mais le même Président qui l’avait dit est revenu là-dessus pour dire : attention ! Si nous renions ainsi nos cultures, nos pays vont directement au chaos. Le Président Kérékou lors de la commémoration de la fête des martyrs, avait demandé à Son Eminence Dada Daagbo Hounon Agbessi Houna 1er de venir avec Dangbé (le python), en disant : « Si je dépose la gerbe, vous allez déposer Dangbé là-dessus ». Les gens sont fiers dans les contrées les plus reculées parce qu’ils ne sont plus attaqués sous l’appellation de sorciers. On avait assimilé tout le monde aux malfaiteurs, alors qu’en réalité, le Vodoun est le socle même du développement. Sous la Révolution tous les grands arbres étaient abattus, les grandes forêts anéanties sous prétexte qu’ils sont le refuge des sorciers, des malfaiteurs. Alors qu’en principe, nous savons de façon scientifique que là où il y a les grands arbres, il y a la vie, l’eau, la pluie. Et comme c’est la fièvre dans le temps sous prétexte aussi de l’industrialisation, on avait abattu les grandes forêts et aujourd’hui, des milliards de francs sont engloutis pour faire du reboisement. Vous ne devriez pas aller labourer n’importe comment, que ça soit en Asie ou ailleurs. Vous ne pouvez pas aller à la pêche en haute-mer tout le temps. Il y a des principes. Si vous allez en Asie, il y a les fêtes de l’eau, les fêtes pour la mer. Mais aujourd’hui, malheureusement, au nom de la démocratie chacun dit « Moi, je peux faire ce que je veux, je ne suis pas de votre religion. Je suis catholique, je suis protestant, je suis musulman. Je ne suis pas du Vodoun ». Or il y a des principes universels du Vodoun. La pêche en haute-mer, il y a un jour où vous ne devez pas y aller. Que ce soit dans les eaux douces, les rivières et autres, il y a un jour où vous ne pouvez pas aller. Ou bien il y a des espaces sur les eaux où vous ne pouvez pas aller pêcher. Et aujourd’hui, la population toute entière souffre du libertinage d’un groupuscule. Est-ce que la production halieutique de nos jours suit la taille de la population ? De par nos propres comportements, nous avons souillé les eaux. Et aujourd’hui plusieurs organisations, les Nations-Unies défendent les ODD. On interdit de déverser des déchets dans les eaux. Nous assistons au retour progressif aux principes de la tradition.

On sait que pendant la colonisation les cultures africaines, le Vodoun ont été combattus. Les populations, étaient systématiquement baptisées, converties. Aujourd’hui, quelle place occupe-t-il dans la société béninoise et dans le monde ?
Quand les gens avaient senti le besoin de la main d’œuvre forte ils ont commencé par sillonner les côtes pour venir en Afrique. Parmi eux, figure la Société des missions africaines-SMA. En 1861 il y a de grandes personnalités qui commencèrent par fouiller le sol africain dont le Dahomey. Quand ils étaient arrivés, c’était dans le but voilé d’asseoir leurs commerces. Mais c’était voilé que l’on veut civiliser les Noirs. Or avant leur départ on leur dit : « N’allez pas là-bas dire que vous voulez leur apprendre à connaître Dieu ». Il y a cette hypocrisie depuis. Or il ne devrait pas y avoir d’hypocrisie dans la religion. Si vous allez chez eux et qu’ils tuent des coqs à manger, si par contre ils viennent chez vous, donnez-leur à la rigueur une cigarette. Dites-leur que ce sont les pauvres qui vont au ciel et non les riches. S’ils s’entêtent à vous poser de question, flagellez-les. Courtisez leurs femmes. Demandez-leur la quête tous les dimanches. En termes clairs : ‘’Appauvrissez les Noirs’’.
Nous nous sommes heureux. Les dignitaires assermentés Africains plus spécialement Béninois, n’avaient pas ouvert complètement la vanne des choses traditionnelles. Ce qui fait que le Vodoun continue aujourd’hui de plus bel son aventure. Jusqu’aujourd’hui demandez à ces gens ce que c’est que le Vodun, ils ne peuvent pas le dire. Notre hospitalité ne nous permettait pas de répondre œil pour œil, dent pour dent.
Partout où la force a travaillé pour ériger leurs églises ce sont les Noirs qui ont été utilisés comme main-d’œuvre gratuite. Quoi de mieux que de bien recevoir son prochain ! Mais eux ils avaient une autre intention. Les gouvernants dans le temps c’étaient les colons. Le premier député Dahoméen n’était -il pas le Père Aupiais sous prétexte qu’il est défenseur des Noirs ?
Pendant des siècles, les missionnaires n’ont pas pu dire la vérité aux gens et il a fallu le premier Symposium national sur le culte Vodun tenu du 28 mai au 4 juin 1991 pour dire « Plus jamais l’appellation ‘’fétiche’’ ». A partir de là, l’une des résolutions portait sur l’institution de la journée du Vodun le 10 janvier de chaque année. Beaucoup se plaisent à dire que c’est le Président Soglo qui l’a créée, ce n’est pas vrai. Les dignitaires Vodunon eux-mêmes ont pris cette décision, laquelle a été accompagnée par le Gouvernement. Evidemment, Soglo était au pouvoir en ce moment-là. Je répète bien que ce n’est pas le Président Soglo qui a créé la fête nationale du Vodun. Ce sont les dignitaires Vodunnon rassemblés du 28 mai au 4 juin 1991 à Ouidah, à la Maison de la culture qui avaient pris cette résolution et la demande a été envoyée au Gouvernement et a fait un ping pong entre l’Exécutif et l’Assemblée nationale pendant près de cinq ans avant d’être adoptée. Dans la demande qui était partie c’est la ‘’fête nationale du Vodoun’’. Mais finalement ils sont revenus là-dessus pour dire qu’au nord, à l’est ou à l’ouest, on ne dit pas Vodun. C’est pourquoi le décret parle plutôt de ‘’la fête nationale des religions traditionnelles’’. Une fois acceptée, la décision devait être mise en application à partir du 10 janvier 1996, donc au cours des derniers mois du mandat du Président Soglo. On ne sait pour quelle raison, elle a été de nouveau bloquée. Mais Soglo a pris une ordonnance pour déclarer chômée et payée sur toute l’entendu du territoire national la journée du 10 janvier 1996. Ce n’est pas suffisant pour dire que Soglo a créé cette fête. Il a plutôt accompagné. Mais est-il fort louable de reconnaître que le Président Mathieu Kérékou était en amont et en aval de la Renaissance du Vodoun. Puisque c’est lui qui a souhaité le regroupement de cette classe. C’est lui qui a finalement signé le décret en août 1997. Et son application a commencé à partir du 1er janvier 1998. Toutefois la fête du 10 janvier se passait avant que la demande ne soit même transmise, que le gouvernement n’accompagne et que l’Assemblée nationale l’ait votée pour être promulguée par le Président Kérékou en 1997.

Telle que cette fête est aujourd’hui organisée, en êtes-vous satisfait ? Que proposeriez-vous pour qu’elle contribue efficacement à la valeur Vodun ?
La nature a fait toute chose bonne, c’est nous les hommes qui les compliquons par nos comportements. Quand la décision était prise pour accompagner, la fête était comme un pèlerinage à la plage de Ouidah, précisément à l’emplacement de la « Porte du non-retour », un lieu multiséculaire historique. Ce lieu n’a donc pas été choisi au hasard. Tous ceux qui sont au nord, venaient là à Ouidah. Mais avec la politisation à outrance de la chose traditionnelle, et chacun voulant avoir une bonne dose d’électorat dans son fief, on a commencé par parler de célébration tournante. « On doit commencer par fêter chez nous aussi ». Ainsi a commencé l’émiettement de la fête nationale du Vodun. Alors qu’en principe, c’était un moment de remise en cause, de communion, de pensée et d’actions avec les ancêtres, parce qu’au départ, et même jusqu’à l’heure actuelle, le palais Dada Daagbo Hounon Hounan l’a toujours dédié à la diaspora noire. Depuis la Place Tchatcha jusqu’à la plage, au départ, on prenait des gens qui miment la maltraitance des esclaves. Certains jouaient le rôle d’esclaves et d’autres se mettaient dans la peau de colons. Ainsi jusqu’à la plage en passant par Zungbodji. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Or c’était pour aiguiser la conscience que l’esclavage est mauvais. Bien que les gens l’aient aboli, il faut aller voir dans le fond de cette abolition, vivre ce souvenir douloureux. Il faut revenir à la normale. La normale, c’est sous forme de pèlerinage. C’est vrai qu’aujourd’hui, nous sommes au minimum 11 millions, et dans le fond plus de la moitié se trouvent dans la tradition. On ne peut pas demander à tous ces gens de venir à la plage le même jour. En différé, oui. Quand le 10 janvier passe, c’est en ce moment que d’autres l’organisent dans d’autres communes. Le bienfait est que tout le monde reconnaît aujourd’hui la religion traditionnelle, puisque le Vodun, c’est en même temps une religion, une culture, c’est notre spiritualité. Le Vodun n’est plus la fête du Bénin seul, mais une fête internationale. Les gens viennent d’un peu partout y assister parce qu’ils ont en partage le Vodun.

En tant que dignitaire, comment vous réagissez aujourd’hui par rapport aux discours péjoratifs au sujet du Vodun ?
Je crois qu’on est en train de dépasser ce discours. On dit vulgairement chez nous « Tu te laves et tu mets ton pagne accroché au mur et quelqu’un vient l’arracher. Si tu te mets à sa poursuite tout nu on t’assimilera aussi au fou ». On a dépassé ces genres de discours. Depuis 1996 à 1998, l’Unesco a considéré le Vodun comme une religion à part entière, c’est-à-dire, égale aux religions importées. Ce qui fait que le Vodun s’assied à la même table que toutes les autres religions. Le Vodun n’est plus traité comme par le passé.
Si nous nous aimons nous-mêmes au sein de nos propres religions, quel intérêt avons-nous à ne pas aimer l’autre dans sa religion ? Est-ce nous les garants assermentés de chaque religion qui ne donnons pas bien les enseignements à nos disciples, où ce sont eux qui ne veulent pas comprendre ? Le Vodun fait partie des grandes religions invitées pour le Parlement des religions du monde. Ceux qui ne sont pas mûrs peuvent continuer les discours péjoratifs sur le Vodun. Si vous retournez à des décennies en arrière par rapport à aujourd’hui ces discours sont dépassés.

Les députés ont désormais constitutionnalisé la chefferie traditionnelle. Quelle est la pertinence de cette réforme dans un contexte où on assiste à la création de nouvelles chefferies et royautés ?
Je vais inviter chacun de vous à recourir à son arbre généalogique. L’homme n’est pas sorti du néant. Il est sorti d’un peuple, d’une aire culturelle donnée. Peut-être que votre arrière-grand-père était un chef de collectivité. Vous savez qu’à un moment donné les rois ont voulu agrandir leurs royaumes ou leurs empires en engloutissant d’autres. Si aujourd’hui la conscience revient est-ce que je ne peux pas réhabiliter ce qui est mien, cette chefferie qui avait été persécutée et anéantie ? Nous reconnaissons que tous les royaumes n’avaient pas la même taille. A l’école, de combien de royaumes du nord on vous a parlés ? Vous connaissez beaucoup plus Abomey. Si je vous demande de me parler du roi Houffon, que pouvez-vous me dire à propos ? Alors que c’était l’un des royaumes très puissants qui a commencé par travailler avec les Européens, qui avait défié les rois d’Abomey. Si l’un de ses descendants décide de réhabiliter son arrière-grand-père le roi Houffon, vous allez dire que c’est une création anarchique.
Nous devons faire une analyse profonde des choses. La personne ne peut pas se lever du jour au lendemain et se proclamer roi. Donc nous devons féliciter le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif d’avoir accepté la volonté des garants de la tradition. Il y a, en effet, bien longtemps que nous parlons de la reconnaissance officielle de la chefferie traditionnelle. Tout comme au Ghana, Nigeria, Côte-d’Ivoire, au Cameroun… Ne pas inscrire dans les lignes de la Constitution du pays c’est être en porte à faux avec soi. On pourra en arriver aux chefs traditionnels de 1er, 2e et même de 3e degrés.

Sa majesté n’est-il pas gêné que là où il n’y avait pas un royaume, qu’on en trouve aujourd’hui en 2020, avec un roi bien installé ?
Si aujourd’hui la personne fait recours à son arbre généalogique et découvre qu’il est descendant d’un roi, est-ce qu’il ne pourrait pas réhabiliter le royaume de celui-ci, même si dans le temps le royaume le plus puissant avait pris tout mon territoire ? Nous ne sommes plus à ces temps où le terrorisme faisait loi. Quand on parle du cas du roi Houffon, on se réfère directement à Savi dans Ouidah, là où il y avait même les premiers Forts. Mais avec cette lutte des rois d’Abomey, on a fini par mettre la main sur Savi. Tout a alors été détruit. Plus de vestige sauf la forêt sacrée ‘’Yènuzun’’. Si aujourd’hui on réhabilite son palais vous allez y trouver une anarchie ? Il est important de lui reconnaître sa force dans le temps. Ce n’est pas seulement au Bénin que les gens se réveillent. Ce n’est plus le temps où il faut museler les gens.

Après la reconnaissance officielle de la chefferie traditionnelle dans la Constitution, quelle sera la suite ?
La reconnaissance ne suffit pas. Depuis plus d’une dizaine d’années il y a au Bénin un creuset d’organisation des rois et chefs traditionnels. Il nous suffit de revenir nous organiser. Il y a même un creuset pour cela. Je vous ai donné le cas du Cameroun où il y des chefs de 1er, 2e et de 3e degrés. Nous allons y arriver. L’organisation interne est la chose la plus souhaitée. Moi je suis fier de cette reconnaissance. Il nous revient de montrer le sérieux dont nous sommes capables depuis des lustres.

De 1960 à ce jour, le Vodun a-t-il contribué au développement du Bénin ?
Le Vodun, c’est l’organisation de la vie toute entière, c’est la science. En tant que tel, il faut se questionner sur son ancêtre mythique. Si votre ancêtre mythique n’est pas un arbre, c’est un oiseau, des rivières ou des océans. Moi je suis ‘’Roi des mers et océans’’ parce que ce sont mes ancêtres mythiques. La panthère c’est l’ancêtre mythique de plus d’une personnes. A Ouidah, lorsque vous prenez le peuple Houéda, son ancêtre mythique est le ‘’Dangbé", le python que vous ne pouvez pas tuer, maltraiter ou manger. De même au nord, les charognards ne sont pas maltraités. Les ancêtres mythiques, dans la flore ou la faune ne font pas du mal à ceux qui sont de leur aire culturelle.
Depuis la nuit des temps le Vodun a réglementé la vie de toute chose sur terre. Sauf dans les zones urbaines où rien n’est respecté, on ne laboure pas tout le temps. Il y a un jour franc où vous devez vous reposer. La pêche en haute mer, tous les huit jours appelés ‘’Zogbodokan’’ vous ne pouvez pas y aller. A travers tout le pays il y a des marigots, des rivières où on demande de ne pas aller à tel moment, ne pas y pêcher tel jour sous peine d’un mauvais sort. Mais aujourd’hui les gens enfreignent ces lois. En quittant Pahou pour Hêvié, il y a un fleuve appelé "Awhanga". Si quelqu’un a volé et il rentre dans la pirogue, cette dernière n’hésitera pas à chavirer s’il ne dit pas la vérité. Awhanga dont on parle est un Vodun. Les grands malfaiteurs n’ont-ils pas peur du Vodun ? Aujourd’hui, lorsqu’on va amener un voleur chez un vodun, il demande plutôt à aller en prison. Parce que la sanction à ce niveau est sévère. Le Vodun aide toujours au développement socioéconomique d’un pays. De même que nous observons des jours de repos, il le faut aussi pour permettre aux êtres de bien se développer, de se multiplier. Birago Diop a dit « Les morts ne sont pas morts » et dans tout ce que nous faisons, nous nous référons à eux pour guider nos pas. Le Vodun aide le pays à bien se développer économiquement et socialement. Quand des gens nient leurs forfaits quand on les amène dans un temple de couvent, ils sont tenus de tout avouer. Des fois la foudre abat ceux qui veulent du mal pour leurs prochains. Aujourd’hui, la loi interdit pas mal de choses sinon quand la foudre agit ainsi, on réveille la victime pour qu’il se confesse, révéler la cause de sa mort.

Souvent quand l’Insae publie les statistiques par religion, les Vodunsi au Bénin sont très peu nombreux, 3% de la population voire moins...
Le pays était à 100% traditionnel. A l’arrivée des colons, avec l’évangélisation ils ont commencé par diminuer. Jusqu’à un passé récent on était à 65% de la population. Au moment où on devait inaugurer l’Eglise de l’Immaculée conception de Ouidah aujourd’hui Basilique mineure, les gens disaient que le Dahomey est le bastion du syncrétisme religieux. Celui qui va là-bas, que ce soit chez les catholiques, les protestants et les musulmans, quand il revient à la maison, il enlève ce manteau de chrétien ou musulman et redescend dans sa tradition. Si aujourd’hui on reconnaît que le Vodun existe, on lui reconnaît une fête nationale, et nous sommes à plus de 11 millions de Béninois, si on vous dit 3% sont Vodunsi c’est erroné. Je dis je doute fort, je conteste ce pourcentage. Vous-mêmes vous ne devez pas accepter dans la mesure où aujourd’hui le Vodun n’est plus craint comme au moment où on était en train de travailler avec une myopie intellectuelle.

La croix chez les chrétiens, le croissant orné d’étoile chez les musulmans…A quand un symbole pour le Vodun ?
Nous n’avons pas créé le Vodun. Quand vous allez au fond du Vodun il y a une multitude de symboles. Le Sakpata a son symbole. Le Tohosu a ses symboles. L’océan a ses symboles. L’Iroko est un symbole. Sortez de ce palais et allez voir les symboles sur les murs. Quand vous sortez du Bénin et allez dans les Caraïbes ces symboles sont conservés.

Ne peut-on pas malgré cette multitude, retenir un symbole pour le Vodun en général. Certains proposent le ‘’Assin’’.
Ne vous perdez pas. Je dis ne vous perdez pas. Le Bénin tout comme l’Afrique est multi culturel. Il ne faut pas prendre un symbole pour engloutir les autres. Il faut faire la lecture des choses. Le géant ‘’Assin’’ devant le musée du Fort portugais représente les esclaves qui étaient morts de façon mystérieuse, ou qu’on a jetés en mer sans cérémonie funéraire en bonne et due forme et dont les âmes sont en train d’errer. Et tout autour de ce ‘’Assin’’ vous allez voir ce que faisaient ces esclaves, les menuisiers, les forgerons... L’unicité de symbole ne nous arrange pas. Moi je ne peux pas être de l’eau et accepter que le symbole de Sakpata coiffe nous tous. C’est se rendre soi-même malade et s’attirer la foudre des esprits.

N’est-il pas temps de révolutionner le Vodoun en le dotant par exemple d’écoles comme les séminaires où les jeunes peuvent être à la fois initiés et instruits ?
Pourquoi parler de ‘’révolutionner’’ ? Il faut cesser d’être la copie conforme de l’Occident. N’avons-nous pas une forme d’éducation chez nous ? Une forme d’écriture chez nous ? Moi je sais que quand je prends deux sortes de colas le ‘’vi’’ + le ‘’Ahowé’’, dans une disposition donnée j’en connais la signification. Quand j’ajoute le ‘’atakun’’ j’en connais aussi le sens. Pourquoi dire ‘’révolutionner’’ ? Non. Ce snobisme fait que nous continuons d’être à la traîne. Les missionnaires qui avaient créé des écoles, c’était à quelles fins ? Pour nous détourner de nos valeurs ancestrales et adopter leurs religions à eux. Avec les protestants, les musulmans est-ce que ce n’est pas la même chose ? Nous avons notre forme d’écriture et d’éducation. Aujourd’hui on dit pourquoi il faut envoyer les jeunes dans les couvents pour se faire former. Vous qui êtes là, si on vous demande de fabriquer un panier, vous pouvez le faire ? Tresser la corde à puiser, vous pouvez ? C’est dans la tradition que l’on le fait et cela se transmet d’une certaine manière. Raison pour laquelle aujourd’hui nous sommes en train de soutenir l’Exécutif pour l’adoption de la formation professionnelle. Le style allemand vous dit qu’il faut un ouvrier bien qualifié qu’un intellectuel ayant de gros diplômes. Recourez un peu au passé pour voir qui sont ceux qui étaient les grands inventeurs de ce monde. Ce sont ceux qui ne sont pas allés à l’école comme vous mais qui ont inventé pas mal de choses mais pollués par les maîtres, les européens, les américains. Parce qu’entendre le nom d’un africain sur une invention veut dire qu’ils sont déjà très avancés. Un calcul astronomique, pendant que les maitres ne peuvent pas donner la réponse, un esclave le donne. L’Afrique est nanti en tout. Le calendrier que nous utilisons aujourd’hui, n’est-il pas africain ?

Le gouvernement a entre autres un projet dénommé la ‘’Route des couvents Vodun’’. Qu’en pensez-vous ?
« Celui qui ne peut pas dormir sous la rosée ne peut jamais se rendre fou ». Si le président Talon a déclaré que l’Afrique est de culture Vodun il y a de quoi mettre progressivement en place certain nombre de choses. Il y a des couvents Vodun qui étaient dans chaque localité. C’est vrai qu’il y a leur prolifération tout comme pour les églises. Le gouvernement a choisi certaines communes pilotes. Donc ces espaces seront retravaillés, réhabilités pour être bien présentables. Ce qui favorisera le tourisme mémoriel avec le retour au bercail de ceux qui du fait de l’histoire se sont trouvés dans l’Outre Atlantique comme esclaves. Aujourd’hui, le Vodun est la chose la plus chère au monde que tout le monde court pour venir voir au Bénin. Ce n’est plus les autres religions. Nous venons de vous dire que le Vodun c’est la science, l’organisation tout entière de la vie. Vous allez là pour obtenir des grâces, comment vous allez vous conduire. Nous, nous sommes fiers et nous devons accompagner ce mouvement de la Route des couvents. Parce qu’il permet de reconnaître que le Vodun existe bel et bien, affirmer en acte la reconnaissance de la chefferie traditionnelle dans les lignes de la constitution et d’affirmer cette déclaration de Talon pour dire que ce n’est pas dans l’abstrait, le vide. De plus, ce projet permet aux garants de prendre conscience de leurs choses, d’effacer le mythe d’infériorité par rapport aux autres religions.

Sa Majesté a-t-il des projets ou en pilote-t-il déjà pour la valorisation du Vodun ?
Des projets, ça existe ! Des projets qui permettent aux gouvernants de mieux saisir la chose traditionnelle. Nous avons trois orientations : l’orientation musulmane, chrétienne et traditionnelle. C’est reconnu par l’Etat qu’il existe ces grandes religions au Bénin. Les autres ont des dizaines de jours fériés et chômés. Nous sommes fiers du seul jour du 10 janvier. Tous les ans, et chaque fois que les Vodun l’exigent il y a toujours des cérémonies que nous faisons. Les 10 janvier c’est pour marquer à la face du monde que personne ne peut évoluer dans ce monde sans le Vodun.
Il y a eu des critiques de la part des autres, et de la part de nos devanciers intellectuels pour dire : ils font seulement le Vodun, ils ne vont pas aller à l’école. Les enfants consacrés au Vodun sont recalés dans pas mal de choses. Mais une réalité est certaine : quand ils ont des problèmes ils courent vers nous pour chercher des solutions. Partant de là, en plus de nos connaissances traditionnelles, on peut ajouter les connaissances modernes. L’école traditionnelle Vodun nous en avons ici, dont des gens se sont inspirés pour en créer dans le Zou. Les enfants sont présentés au Cep depuis des décennies et nous avons souvent 100% de réussite. Si on prend un enfant de cette école et un autre de la même classe que lui mais de l’école classique, l’enfant de l’école traditionnelle Vodun est déjà actif contrairement à celui de l’école classique. Il peut peut-être fabriquer un panier alors que l’autre ne peut pas. Il connaît peut-être la valeur des feuilles médicinales plus que l’autre.
Nos frères et sœurs descendants d’esclaves doivent revenir connaître leurs sources et origines. Ce n’est pas nous qui l’avons créé mais nous avons hérité cette œuvre qui avait véritablement pris corps en 1984-1985 avec le jumelage de Ouidah à la ville de Prishart dans l’Etat de l’Alabama aux Etats-Unis, donc avec le maire John Smith. Les gens sont venus et ont commencé par fouiller le sol béninois. Suite à cela il y a eu le Festival international des arts et cultures Vodun ‘’Ouidah 92’’. Nos frères viennent dans la période d’août et de janvier. Malheureusement, à cause de cette pandémie ils ne peuvent pas venir dans le courant de ce mois d’août. Cela leur permet de connaître le Vodun sous un signe autre que celui péjoratif qu’on lui a attribué.
Un autre projet vise à faire connaître toutes les places historiques et spirituelles. Dans chaque commune il y en a qui ne sont pas connues de tous. Un autre projet vise à organiser chaque année des conférences et colloques pour faire connaître le Vodun à ceux qui, même à l’intérieur du pays, ne le connaissent pas. Nous avons aussi un projet pour faire jouir aux afro descendants leurs droits humains. Par exemple, si les policiers ont des voiles au visage, que ces voiles se déchirent et que les bavures et injustices contre nos frères et sœurs de la Diaspora cessent.

Quel Bénin Sa Majesté souhaite dans les 60 prochaines années ?
Il faut partir de l’instant. Est-ce que véritablement nous sommes indépendants ? C’est vrai, des gouvernements se sont succédé, tout n’est pas mauvais. Mais tel que les choses se passent sous le régime actuel, nous ne sommes pas loin d’être sur la voie véritable d’indépendance. Il faut voir les décisions prises, la prise de position sur certaines situations...
Comptons sur nos propres forces. Cela passe par la reconnaissance du Vodun dans tous ses méandres et vous allez voir que s’il n’y a pas de déviance dans un futur proche le Bénin sera le pays miroir de la vie tout entière. Car on reconnaît le Bénin par rapport au Vodun. Nous avons des forces sur lesquelles il faut compter. Nous n’avons pas besoin d’eux pour nous développer. Même s’ils nous avaient englouti, il y a une prise de conscience à travers certaines actions.
Tel que ça se passe maintenant je crois que nous sommes sur les rails. Au Ghana aujourd’hui la prise de position du président fait dire que ce pays est sur les rails. De même au Bénin nous sommes sur de bons rails.
Votre message aux Béninois
Nos premiers mots c’est de remercier très vivement le pouvoir législatif, exécutif, judiciaire et le quatrième pouvoir qu’est la presse et surtout la clairvoyance du premier magistrat Patrice Talon pour nous mettre sur la voie d’indépendance, sur la voix du « comptons sur nos propres forces ». Le président qui est là n’a pas inventé des hommes nouveaux pour le Bénin. N’est-ce pas les anciens hommes politiques qui sont là et qui réfléchissent aux réformes ? Nos activités quotidiennes convergent vers la paix. Pour qu’il y ait la paix nous faisons des consultations périodiques pour savoir que faire pour la paix, le bien-être physique, économique et mental de tous.

Propos recueillis par : Marina HOUNNOU (Coll.)



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