Soeur Henriette Goussikindey à propos de l’égalité des sexes : « L’homme ne peut jamais être égal à la femme et vice-versa »

8 mars 2023

Religieuse de l’institut des soeurs de “Saint Augustin” et artiste plasticienne de profession, Henriette Marie Goussikindey, à l’occasion de l’édition 2023 de la Journée internationale des droits des femmes (JIF 2023), a opiné sur l’égalité des sexes. La religieuse a estimé que l’homme et la femme sont complémentaires pour une société durable et respectable. Elle n’a pas manqué, à cette occasion, de faire part de son expérience dans l’univers de l’art.

Nous allons, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, nous intéresser à votre univers qui vous passionne. Comment parvenez-vous à concilier la vie religieuse et l’art plastique ?
Je dirai juste que c’est ma personne qui répond à ces deux aspects. Bien avant d’intégrer l’institut des soeurs de “Saint Augustin” et faire le vœu pour être appelée religieuse, j’ai eu d’abord une prédisposition innée pour les arts. Une fois arrivée en formation, j’ai été orientée pour mieux parfaire ce talent que le Seigneur m’a donné. Maintenant, être religieuse, c’est un choix de vie, c’est une vocation. J’ai envie d’être utile à l’Eglise à travers mon engagement à l’institut des soeurs de “Saint Augustin “ et aussi à travers ce talent naturel que Dieu m’a donné d’expression artistique. Donc les deux pour moi fusionnent parce que la force d’expression et d’inspiration que je possède me vient de ma vie de prière, de la contemplation, de cette conviction que j’ai, qu’il y a un créateur au-dessus de tout, qui est le maître de l’œuvre et de toute création. Moi, je ne suis que l’apprentie du créateur. Personnellement, je n’ai pas une difficulté à pouvoir vivre ma vie religieuse en tant qu’artiste parce que, de ma vie de prière tous les jours après, je vais à l’atelier pour travailler et pour m’exprimer. Chaque religieuse de mon institut ayant son activité, la mienne, c’est de m’exprimer par l’art, par l’expression artistique et pour moi, c’est non seulement un engagement mais aussi mon apport de communication et de communion.

D’habitude les religieuses, comme une seconde corde à leur arc, s’exercent dans la couture, la réalisation des emballages et autres. Vous semblez marquer la particularité avec l’art du plasticien. Pourquoi cette particularité ?
Au fait, je n’ai pas choisi l’art. L’art est pour moi une prédisposition innée. Je me suis rendue compte dès l’enfance que je pouvais m’exprimer par l’art, par la fabrication des poupées avec qui je communiquais, par aussi l’étalage des couleurs sur n’importe quel support. Cet amour pour l’expression artistique et le bricolage, le dessin et la peinture, me prenait tellement du temps que cet aspect a failli prendre le dessus sur mes études. Je pense aussi que, comme la vie religieuse, l’art est une vocation. Ne devient pas artiste qui veut. Vous avez beau avoir la volonté de pouvoir devenir un artiste mais concrètement, être un artiste et pouvoir l’être dans la durée, c’est une mission, une grâce et un talent. Il faut aussi faire savoir que les sœurs de “Saint Augustin“ œuvrent pour la promotion de la personne humaine. Elles participent au développement psychologique et spirituel de la personne, passant par les jeunes filles. Donc chacune des soeurs a son activité. Aujourd’hui nous avons ici des soeurs professeurs, des médecins, des couturières comme vous l’avez mentionné. Elles sont dans plusieurs domaines où la personne humaine est éduquée et peut recevoir une élévation pour ce qu’elle est en tant qu’être humain, pas seulement appartenant à la religion catholique car nous sommes ouvertes à tous. Nous sommes là pour promouvoir l’être humain et spécialement pour promouvoir la femme et l’être humain en général. Donc c’est chacune dans ses activités et nous l’exercons dans plusieurs domaines que cela soit dans nos écoles ou partout où sommes invitées pour pouvoir répondre à notre mission.

Parlant de la promotion de la femme, nous sommes à la veille de l’édition 2023 de la journée internationale des droits des femmes. Le 8 mars dédié à cette journée est une occasion pour inciter la femme à participer à la vie de la société dans laquelle elle se trouve. Que vous inspire cette journée ?
Parlant des droits de la femme, nous l’avons compris depuis et d’ailleurs, il y a une branche de l’Eglise où la femme a une priorité parce que non seulement elle est gardienne de la vie, elle donne la vie. Elle ne la donne pas seule. Nous ne séparons pas l’homme de la femme mais nous nous penchons plus sur nos expériences ou l’adage qui dit : « quand vous formez une femme, vous formez toute une société ». Quand la femme reçoit, elle transmet automatiquement dans son milieu. Nous accompagnons les couples dans les villages, dans des familles et dans des endroits les plus reculés pour pouvoir leur donner des formations, le savoir être, le savoir vivre et comment se prendre aussi en charge. Revenant toujours aux droits de la femme, je dirai qu’elle a besoin d’être éduquée parce qu’aujourd’hui dans la société, nous nous rendons compte que la femme a démissionné sur plusieurs plans. Sur le plan de l’éducation, elle est celle qui est plus proche de l’enfant. Je m’explique dans ce sens où elle est plus présente que l’homme. L’homme est le père du foyer, souvent c’est lui qui est le plus parti. Mais avec le développement du 3ème millénaire, il existe parfois des femmes qui sont même plus parties que les hommes. Pour ainsi dire qu’elle est l’être très fragile, sa fragilité est plus physique et je pense que c’est cette fragilité qui est plus mise en lumière lorsqu’on réfléchit sur les droits de l’homme notamment sur comment protéger la femme. C’est pour assurer en quelque sorte sa protection. Nous savons aussi dans l’histoire que dès le départ, la femme n’avait pas droit de considération pour autant dans la société. Même dans les sociétés les plus évoluées, elle ne participait pas au vote, elle était reléguée au second rang. Et dans les sociétés africaines, n’en parlons plus, elle ne peut même pas participer à certaines réunions de famille ni avoir droit à la parole. Je pense que le droit de la femme n’est pas pour autant un droit pour dire qu’aujourd’hui, elle est devenue patronne de la société, l’homme n’a plus de sens. Je pense que c’est pour l’équilibre des deux pour la construction d’une société durable, équitable et respectable. Une femme qui se sent dans ses droits contribue et participe pleinement à l’émergence de sa société à commencer d’abord par sa famille. Ses droits s’impliquent aussi dans le droit de la formation. Elle a le droit d’être éduquée, le droit à l’étude, le droit de s’épanouir, de faire ses choix. Notre société souvent ne lui réserve pas assez de place parce que nous avons parfois l’impression qu’elle n’est pas en mesure de pouvoir rendre pleinement comme un homme. Il y a des familles où le papa préfère investir sur le garçon que sur la fille. Et souvent cette idée parce qu’en voyant la fille, on se dit qu’elle appartient à une autre famille. Donc, on préfère investir sur le monsieur qui sera la fondation de l’avenir de notre famille que la fille. Le droit de la femme pour la journée des droits, c’est bon mais je pense que cette journée ne doit pas seulement se limiter à faire la fête, à s’habiller et à danser, non. On a presque tous les jours pour fêter. C’est un moment, selon moi, où il faut conscientiser, d’abord la jeune fille à se prendre au sérieux. Dans nos sociétés d’aujourd’hui, la fille pense que son sort est lié à l’homme qui a l’argent. Quand elle rencontre un monsieur qui a d’argent , elle se dit qu’avec cela, son avenir est assuré. La poche de l’autre ne peut pas assurer mon avenir. Que nos mamans qui sont les aînées concientisent les plus jeunes pour le combat du bien-être de la vie et que chaque jeune fille prenne en compte le trésor et la noblesse qu’elle est. Elle construira à coup sûr, la société de demain qui n’est pas faite que d’hommes mais de femmes aussi.

A l’occasion de cette journée, on parle aussi de l’égalité des sexes. Comment percevez-vous cela en tant que religieuse ?
Certes je suis religieuse, je suis aussi femme. Mais je suis un peu désolée pour cette orientation que certaines femmes prennent au 3ème millénaire. Qu’on le veuille ou non, nous ne sommes pas égaux. C’est parce que nous ne comprenons pas le trésor que nous sommes. Nous sommes mêmes plus que l’homme. Pas plus que l’homme parce que je deviens cheffe de famille et c’est moi qui le commande, non ! Mais nous avons un grand pouvoir. Le pouvoir de la vie. Dieu nous a donné un pouvoir en tant que femme, nous détenons la vie entre nos mains. Un couple où la femme est en début de grossesse, si, malheureusement au courant de cette grossesse, l’homme décédait, l’enfant verra le jour. Mais si la femme venait à mourir, l’enfant ne verra pas le jour. Elle détient un pouvoir, oui ou non ? Elle a aussi le pouvoir et parfois ce pouvoir, nous l’exploitons à tort. Nous avons le pouvoir de donner la vie. C’est une grâce énorme que Dieu nous a donnée. L’homme, malgré toutes les transformations et les évolutions du monde et des technologies, ne peut pas porter une grossesse. Aujourd’hui la femme a le pouvoir de garder et d’élever la vie jusqu’à terme. C’est un pouvoir qu’elle a pour contribuer à la création. Elle crée. Si elle ne veut pas, l’enfant ne verra pas le jour. Si elle ne veut pas, elle ne sera pas mère. Elle a une partie de la vie que Dieu lui a donnée d’être capable de cela. Le pouvoir de la vie, c’est le plus grand pouvoir qui puisse exister sur terre. Je pense aussi que quoiqu’on dise, l’homme et la femme sont complémentaires. L’homme ne peut jamais être égal à la femme et vice-versa. Déjà, sur le plan physiologique, nous sommes différents. Dieu-même qui crée la morphologie féminine, crée d’une manière qu’elle met en elle le berceau de la vie. C’est un bassin. Notre forme diffère. En tant que professeur d’anatomie, la femme n’est pas égale à l’homme sur le plan morphologique. Maintenant sur le plan même psychologique, sur le plan humain, l’égalité des droits, en principe, devant les droits, nous sommes égaux. Mais n’empêche , je pense qu’une femme qui connaît mieux sa place maintiendra bien son foyer, sera utile à la société, gardera son équilibre psychologique, psychique et intellectuel. C’est mon point de vue.

Le thème de la célébration de la journée internationale des droits de la femme de cette année est : « Pour un monde digital inclusif : innovation et technologie pour l’égalité des sexes ». Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai qu’aujourd’hui, on constate malheureusement que chacun cherche à tirer le drap de son côté, cherche ce qui l’arrange et l’avantage. Notre société a des valeurs. Ces valeurs doivent être promues contre vents et marrées. Chaque peuple a en effet ses identités et en tant qu’africaine, nous avons des valeurs qui ne peuvent pas permettre à une femme de vivre la dépravation des moeurs. Aujourd’hui on se dit qu’au nom de la technologie, tout est permis. Mais tout n’est pas bon à faire. Aujourd’hui, qu’on soit européen ou africain, qui aimerait se marier avec une femme dépravée, mal éduquée, qui vit comme elle veut et s’expose sur les réseaux sociaux ? Malgré tout ce que nous formulons, tous, nous aimerions avoir du bon avec nous. Donc je pense que depuis la source, l’éducation doit être soutenue et forgée à telle enseigne que africaine ou européenne, chaque enfant doit aujourd’hui recevoir l’éducation requise pour pouvoir désormais être une lumière pour le monde et pour l’avenir. Nous tous, nous rêvons d’un monde meilleur, d’un avenir où il y aura la compréhension, l’amour et l’évolution. Nous devons contribuer quoiqu’en soit ce que nous sommes et j’invite toujours l’Afrique à ne pas perdre ses valeurs.

Vous êtes une femme qui, par le talent, communiquez avec le monde non seulement à travers votre vocation pieuse mais aussi et surtout à travers votre vie artistique. C’est forcément des aventures. Pouvez-vous dire brièvement ce que ces aventures vous ont permis de découvrir ?
Merci pour la question. En fait c’est vrai, être religieuse artiste et vivre avec les artistes dans un monde qui n’est pas toujours le mien, c’est une expérience particulière. Mais cette expérience est rehaussée par ce que je veux en étant là où je suis. Pour moi, c’est très important et ce que je veux en étant dans ce monde artistique, c’est d’abord pour communiquer, partager ma passion et mon talent. C est vrai que dans l’évangile, le talent reçu, nous n’avons aucun droit de le cacher pour nous-mêmes ou de l’enfermer jalousement et de dire que les autres restent là-bas. Le talent, quand Dieu le donne, c’est pour donner et pour partager. C’était d’abord mon premier pas. Et pour cela, je remercie d’abord mes supérieures parce que si elles ne m’ont pas encouragée et motivée, je n’allais pas être à ce niveau. Elles m’ont motivée et m’ont offert beaucoup d’opportunités. Elles continuent de m’en offrir. D’abord premièrement, c’était pour partager ce que je sais faire. Je sais qu’au début, je suis partie d’une prédisposition ininnée c’est-à-dire autodidacte en arrêt. J’ai bénéficié d’une formation en art. Et comme j’ai l’habitude de le dire, c’est par expérience. On ne force pas un artiste. On accompagne l’artiste. On aide l’artiste à pouvoir mieux percevoir la richesse fondamentale qui est en lui et pouvoir les exploiter. Maintenant, on l’accompagne en l’aidant à user de toutes les potentialités que regorge ce talent qu’il porte. C’est comme vous portez un trésor, vous savez qu’il pèse. On vous dit : « non, il y a tellement de moyens pour le porter plus allègrement et légèrement ». Donc en quelque sorte, cela a été mon aspiration dès le départ tout comme mon institut. Je travaille avec des gens qui n’ont rien avec la religion catholique, qui ne sont même pas chrétiens. Et moi, de l’éducation reçue déjà de ma famille jusqu’à mes études, je ne fais la différence entre aucun être humain. Tout homme à une valeur et une valeur inestimable. Donc ce qui nous unissait, c’était plus notre capacité, notre volonté de travailler et d’aller de l’avant. Jai beaucoup aimé. C’est une expérience qui m’a fait beaucoup de bien aussi. Les artistes, plusieurs me l’ont dit, je ne fais de différence, que ce soit un homme ou une femme, jeune et plus âgé, eux tous méritent mon respect et ma collaboration. En plus, dans la société, quand vous travaillez avec d’autres personnes, cela vous permet de découvrir que nous sommes si différents et maintenant notre différence devrait toujours constituer une richesse. Même en famille, on voit qu’il y en a qui sont nés jumeaux et ne se ressemblent pas. Donc il y a la différence parfois de compréhension, il y a la non acceptation, peut-être ca peut venir des autres. Cet aspect où chacun lutte pour pouvoir se donner un nom dans la société, constitue autant de situations. Mais moi, ce qui me reste comme exemple et qui continue de faire ma force d’esprit, c’est que chacun des artistes avec qui j ai collaboré constitue pour moi un frère, une soeur et que les relations durent.

Vous avez exploré d’autres horizons tels que le Canada, le Cameroun et d’autres pays. Est-ce que c’est par l’art ou par la vie religieuse ?
Oui, j’ai parcouru tout ces pays par l’art. Pour ma vie religieuse, c’est au Bénin que j’ai suivi ma formation au noviciat des soeurs de “Saint Augustin”. Mais quand je suis allée au Cameroun, j’ai fait l’institut des arts à Mbalmayo pendant 4 ans. Après, j’ai postulé pour une résidence au Canada. La résidence m’a ouvert les portes après quelques mois et j’ai pu faire une formation en gravure. Tout cela, c’est l’art qui m’a fait rencontrer des personnes. L’expérience unique de la pluralité, de la différence, de conviction, de personne, de religion et de nationalité était déjà pour moi naturelle. Cela a fait que j’ai rencontré plusieurs personnes avec qui j’ai vécu, avec qui j’ai sympathisé. eIles sont demeurées mes amis qui n’ont aucun lien avec la religion et nous sommes restés amis et soudés par l’art. Aujourd’hui , dans mes formations, mes recherches, quand parfois je suis butée à certaines difficultés, je communique spontanément avec mes collègues, ceux que j’ai rencontrés. On a si bien vécu qu’aujourd’hui, si l’expérience ou l’opportunité m’est encore donnée, j’aurais souhaité les revoir tous sans exception. C’est aussi un peu une expérience hors de ma vie habituelle. Si je prends le cas du Cameroun, je n’ai pas vécu en communauté religieuse, c’est une communauté laïque mais je me suis adaptée. Je m’adapte partout où je passe et j’ai eu des invitations aussi, par exemple, je donne le cas du Burkina Faso où on s’est retrouvé dans un lieu qui n’a rien de religieux mais on était unis par l’art. Je m’étais retrouvée avec des musulmans, avec des femmes de différentes nationalités où on a été invités pour pouvoir participer aux ateliers. Quand moi, j’arrive en participant aux ateliers, je ne joue pas les religieuses, c’est la sœur qui est arrivée, pas du tout. Je suis la même personne avec les autres, puisque nous sommes unis par un point commun et ce point commun n’a pas de couleur, ni d’odeur , ni de religion. L’art n’a pas de religion. Cela nous unit plus et je pense que c’est cela qui facilite mon dialogue avec le milieu artistique.

Vous enseignez aussi à l’université ?
L’expérience à l’université est une expérience extraordinaire. Je le dis parce que la formation des artistes est comme un accompagnement. Quand vous avez devant vous un jeune qui s’est inscrit, après le Bac, à une formation artistique, il n’est pas là parce qu’il a un terrain vierge sur le plan créativité. Il a quelque chose en lui. Vous devez à travers les cours que vous lui donnez, dans l’éveil que vous mettez en lui, vous devez l’aider à réveiller le côté artistique en lui y compris ses potentialités. Quand vous rencontrez sur votre chemin un professeur en mesure de vous dire : « vous avez du talent mais pourquoi vous n’en faites rien depuis ? » Il faut stimuler l’esprit de créativité. C’est cette stimulation que j’ai la chance de recevoir dans ma formation que je communique à mon entourage. Pour moi, Il n’y a pas de vilain tableau, il n’y a pas de mauvaise expression artistique. L’artiste ou le jeune étudiant qui s’exprime à travers un support, exprime son histoire, son état d’âme . Si vous l’orientez, vous pouvez réveiller en lui beaucoup de choses. C’est cette orientation qui fait que, dans la formation qu’on donne, ce qui est très important, c’est de donner la formation sur la base des techniques, de la création artistique et de ce qu’il y a à recevoir. Dans cette base, on prend ce qu’il y a comme la technique, la méthodologie de la créativité, comment aborder un thème, comment le créer, comment connaître les couleurs, les contrastes des couleurs, comment les couleurs peuvent aller de pair. C’est comme un ouvrier apprenti qui va au champ et vous lui remettez la houe. Il a la houe mais il n’a pas encore la récolte. La récolte viendra de lui. Il doit labourer jusqu’à ce que la récolte sorte. Voir mon étudiant sur le plan international participer aux expositions et montrer quelque chose de cohérent, c’est ma satisfaction la plus absolue. Cela me revigore et cela m’encourage . Je me dis que je n’ai pas perdu mon temps.

Vous n’avez pas connu ces expériences sans difficultés, n’est-ce pas ?
C’est vrai, ces expériences, je ne les ai pas vécues sans difficultés. J’avoue qu’au départ, il y a eu des difficultés qui sont liées à ce que je fais. D’abord, par rapport au milieu artistique, quand je venais de rentrer après mes études, postuler pour les expositions, je ne suis pas connue et déjà ma première difficulté, c’est que, pour certains, je suis une religieuse qui n’a pas renié ma tenue. Cela frustre certaines personnes. Selon elles, je ne fais pas partie des personnes qui peuvent adhérer à leur milieu. Et aussi, d’autres personnes n’ont pas confiance en mes capacités. Je me rappelle très bien un cas, comme si c’était hier, où j’ai déposé mes dossiers pour une exposition. Le directeur n’a même pas ouvert l’enveloppe de mes dossiers et je peux l’entendre dire : « une religieuse, elle a quoi à nous montrer, une image de la Vierge ? ». Déjà je me suis sentie frustrée. J’ai reçu cela comme un coup. Mais moi, je suis une femme de défi. Parfois, je vais dans des ateliers où on ne me connait pas, quand les gens viennent, ils trouvent une religieuse et on lui donne de matériels pour travailler, ils disent : « qu’est-ce que celle-là est venue faire ? ». Beaucoup se demandent : « elle est venue faire quoi ? ». Moi, je prends cela comme un défi parce que quand j’entends dire cela, j’aime montrer que je suis capable de faire mieux que tous ceux qui pensent que c’est une femme en tenue qui ne peut rien apporter dans le milieu artistique. Le milieu artistique est un vaste milieu. De ma manière de travailler partant du réel et du réalisme, usant de plusieurs techniques jusqu’à l’abstrait, j’ai toujours mon mot à dire. J’ai toujours mon expression pour pouvoir donner vie à des questionnements, que cela soit sur n’importe quel support, mural, sur une toile ou avec les petites statues, structures, même la céramique que j’ai expérimentée au Cameroun. Tout support est pour moi très enrichissant et j’ai mon mot à dire. C’est des réalités mais je n’en veux à personne. Je me suis dit tous ceux qui m’ont dit non ou qui m’ont fermé leurs portes ont mis en moi la volonté et, s’il faut dire, le désir de me battre pour pouvoir m’affirmer. Peut-être si on m’avait accueilli avec les bras ouverts dès le départ en art, je ne sais pas si j’irais loin. Pour moi déjà aussi en tant que femme dans le milieu artistique entre griffes, si on ne voit pas de quoi elle est capable, on l’a sous-estimée au premier regard même si elle n’est pas religieuse. Je vais jusqu’à entendre dire des parents des artistes que je connais bien que : « non mon enfant ne va pas faire cela. C’est quand on manque de tout faire qu’on va se réfugier dans l’art. Je pense bien que l’expérience de l’exposition récente au palais a montré que n’est pas artiste qui veut et là, le domaine artistique n’est pas un lieu de refuge. C’est un lieu où il faut avoir même plus qu’une tête pour mieux s’expliquer.

Envisagez-vous assurer votre succession ou pérenniser cet héritage ?
Parlant de succession, c’est vrai nul ne peut se vanter de se raccrocher à ce qu’il sait faire ni vivre éternellement. Nous sommes tous de passage. Et comme j’aime le dire, tout passe et moi avec. Donc je crois que cela soit sur le plan de ma famille religieuse ou que cela soit dans la société à laquelle j’appartiens aujourd’hui ou depuis que j’ai commencé cette expérience, j’ai toujours valorisé l’idée de partager, de communiquer et d’initier. Initier les autres arts, aujourd’hui les jeunes filles que j’avais gardées il y a deux ans, elles ont exposé au palais. C’est avec fierté que j’ai vu leurs œuvres. Elles ont commencé par moi, aujourd’hui je suis fière de les voir. Je peux dire que je n’ai pas vécu inutilement. Le chemin reste à faire jusqu’au jour où Dieu dira son dernier mot mais dans mon institut, il y a encore des jeunes sœurs qui emboîtent mes pas. On ne fait pas de quelqu’un un artiste de l’art. C’est d’abord un don mais si la personne a un don ou quelques prédispositions, on peut l’aider à pouvoir mûrir. Cela constitue un combat continuel tant que le Seigneur me donnera la force. Je continuerai ce combat de partage parce que l’art, depuis des millénaires, a toujours contribué à l’équilibre psychologique, humain, affectif et spirituel de l’homme. De plus, je peux aussi dire qu’on a plusieurs jeunes filles dans la maison des soeurs de “Saint Augustin” et comme l’esprit de notre institut, c’est de promouvoir et d’éduquer la femme, donc la jeune fille, j’ai commencé d’abord à partager mon talent. De mon retour de la formation au Cameroun, je me suis rendue compte qu’au Bénin, il y a très peu de femmes. Quand je suis revenue, j’ai entendu parler d’une ou deux qui sont dans le domaine ; pas beaucoup. Quand vous vous retrouvez dans un atelier de créativité, il y a à peine une ou deux femmes. Et ce n’est pas possible parce que la réserve artistique est autrement rendue par la femme que par l’homme. Il serait aussi bien que la femme, si elle a des talents, elle puisse les partager. C’est ce qui m’a amenée, en étant motivée par mes supérieures, à créer des ateliers de formation. Ces ateliers m’ont permis de déceler quelques talents qui aujourd’hui, continuent de travailler et de peindre maintenant en lien avec les autres. Cela m’a aussi permis de connaître les autres et de les accepter dans leurs différences.

Un appel à lancer ?
Je vous remercie et je dis merci au journal Fraternité d’être venu jusqu’à moi pour nous donner l’occasion de dire tout haut ce que nous portons en nous et faire parvenir notre voix au-delà de notre milieu immédiat. Si j’ai un appel à lancer c’est aussi inviter tous ceux qui font l’art et qui n’arrivent pas à en vivre à ne pas encore se décourager. C’est vrai, on ne peut pas avoir une fortune en main et aller quémander de l’argent pour manger. Ce que nous avons, ce n’est que de cela que nous pouvons vivre. Donc j’invite tous les béninois sans différence à pouvoir s’intéresser à cette expression artistique qui va au-delà d’une simple structure de carrés colorés comme les tableaux. Cela rejoint l’homme à l’accueil avant même que le propriétaire de la maison ne vous accueille. C’est pour cela que dans les halls des sociétés et des maisons, mettons l’art pour pouvoir donner une âme à nos milieux de vie, pour pourvoir valoriser notre être et apprendre aussi la quiétude à l’être humain. Nous en avons aussi besoin pour notre équilibre. Il y a tellement de tristesse dans la vie d’aujourd’hui qu’on a besoin de l’expression artistique pour mieux sourire.

Votre mot de la fin
Je remercie les autorités actuelles. Aujourd’hui moi, je suis bien heureuse car en ces dernières années au Bénin l’art a commencé à rajeunir, à refleurir et à revivre. Donc C’est motivant. On se dit qu’on n’a pas fait un mauvais choix parce qu’il y a 10 ou 20 ans, l’artiste au Bénin, c’est comme un quémandeur. Mais aujourd’hui, par expérience aussi, beaucoup veulent apprendre l’art, beaucoup veulent s’inscrire dans l’art. C’est bon de voir l’art contribuer au développement et accompagner l’être humain de la naissance à la mort. On ne peut rien faire sans l’art et nos identités, l’histoire a révélé que l’art est le carrefour de tout. La religion s’est basée sur l’art pour évangéliser. Le monde d’aujourd’hui même nos traditions sont basés sur l’art, nous ne pouvons pas vivre et nous passer de l’art.
Propos recueillis par Fidégnon HOUEDOHOUN



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