Editorial : Le développement à l’épreuve des libertés publiques

4 novembre 2024

L’Ambassadeur de chine près le Bénin, en fin de séjour, a récemment déclaré qu’il a fallu plus de vingt années de serrage de ceinture aux Chinois, pour commencer à récolter les fruits des réformes courageuses qui ont impulsé le développement de leur pays. Une façon de dire que les Béninois sont sur la bonne voie et doivent persévérer. Ce n’est pas seulement pour signifier que la démocratie est un luxe que les Chinois ne peuvent pas encore entendre au sens où l’entendent les occidentaux, mais c’est surtout pour dire que lorsqu’un peuple se trompe de combat, il peut végéter durablement dans la distraction et les chimères et manquer son rendez-vous avec l’histoire.
Pour comprendre le sens des propos du diplomate chinois, il n’y a qu’à mettre sur la table, le bilan de trente-quatre années de renouveau démocratique au Bénin. Ce bilan tient en une phrase : « Le pays a enregistré d’importants acquis sur le plan des libertés publiques ». Ne cherchez pas les progrès sur d’autres plans. Il n’y en a pratiquement pas. Ou si peu.

Compréhension biaisée
Le fait que la défense des libertés publiques nous soit apparue comme la priorité dans notre nouvelle culture politique, réside essentiellement dans le fait que de nombreux Béninois avaient eu l’impression de vivre, avant 1990, sous un joug. Et la « libération », interprétée comme la délivrance, est intervenue à la faveur de la conférence des Forces vives de la nation. Dès lors, les libertés publiques ont polarisé l’attention. Cependant, il s’agissait moins de droits de l’Homme que de libertés, appréhendées dans le sens de l’irresponsabilité totale. Ici, il est surtout question de la faculté de s’associer pour s’opposer systématiquement, à temps et à contretemps, aux programmes, aux méthodes ainsi qu’aux actes de gouvernement. Y inclus, le droit de protester contre toute décision, de contester tout résultat, de décider d’aller en grève à propos de tout et à tout propos ; de marcher à volonté, d’injurier, de diffamer et d’invectiver les dirigeants à l’envi, de jeter l’opprobre sur la république, d’affronter les Forces de défense et de sécurité si nécessaire et de détourner l’argent public, en toute impunité. Les hommes politiques entendent accomplir toutes ces choses sans être inquiétés, même si le développement s’en trouve hypothéqué par ailleurs. C’est le sens des libertés publiques sous les tropiques. C’est aussi le contenu principal du programme des groupes de l’opposition au pouvoir politique, avec la protection et le soutien tacite d’une communauté internationale hilare, qui rit sous cap de tant de naïveté et d’inconséquence.

Revenir à des valeurs plus conventionnelles
La grande masse des citoyens n’aspire pourtant qu’à jouir d’une liberté plus conventionnelle. Celle de travailler, de gagner de l’argent en étant payée au juste prix puis, d’avoir la latitude de dépenser à sa guise, le fruit de son labeur. Pour de nombreux citoyens dans le monde, c’est cela la vraie liberté. Or, par cette déformation qui entraîne des tensions et des crises sans fin, le train du développement est resté en rade. Car, pendant que les protagonistes des luttes politiciennes se crêpent les chignons, se bagarrant pour les « friandises démocratiques » que constituent les libertés publiques, et que le monde occidental à conçues à l’effet de diviser pour régner, les rapports de force s’accentuent entre l’Afrique et le reste du monde. Il serait peut-être temps que nous nous réveillions. Qui pour dire aux hommes politiques et aux activistes que, lorsque dans la journée, nous avons terminé tous les rounds du combat politique contre nous-mêmes, il n’y a rien le soir pour chauffer les marmites ? Comment pourrait-il en être autrement ? Puisque, seul le travail libère l’homme et lui permet de satisfaire les besoins fondamentaux.
Anicet OKE



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