En vérité : La passion du Cfa

Moïse DOSSOUMOU 12 novembre 2019

Ballon d’essai ? Adepte du panafricanisme ? Simple réflexion ? Difficile pour l’heure de situer Patrice Talon quant à ses récentes déclarations sur le sort qui sera réservé au franc Cfa sur le continent. Jeudi dernier, face à la presse internationale à Cotonou, le chef de l’Etat s’est montré résolument engagé dans la promotion de la monnaie de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Sans langue de bois, il adoube la réforme et prévient déjà de la fin imminente de la domiciliation des réserves d’échanges du franc Cfa au niveau du trésor français. « Je peux vous dire que c’est déjà acté. La France va aussi se retirer des structures de gouvernance de la monnaie », lâche t-il, sûr de lui avant d’indiquer que toutes les parties sont décidées à « mettre fin à ce modèle qui en fait, techniquement n’était pas un problème ».
Piquée au vif, Paris monte au créneau dès le lendemain. « Ce n’est pas à la France de faire des propositions ou d’imposer quoi que ce soit. Nous sommes là pour garantir un maximum de stabilité économique… Si une majorité des Etats membres de la zone franc cfa veut avancer vers une réforme ambitieuse, nous répondrons oui », réplique Bruno Le Maire, ministre français de l’économie. Sans autre forme de procès, Patrice Talon qui s’est voulu direct annonce qu’à l’avènement de la nouvelle monnaie, « les réserves seront gérées dans les diverses banques centrales américaines, chinoises, japonaises, canadiennes et autres. La Banque centrale des pays de l’Uemoa va gérer la totalité de ses réserves de devises et va les répartir auprès de ses diverses banques partenaires dans le monde ». Cela sonne comme une révolution. Longtemps restés sous protectorat économique français, les pays ayant le Cfa en commun veulent prendre le large.
Si Patrice Talon semble donner le ton et prendre plus ou moins le lead sur ce sujet qui déchaîne des passions, Kémi Séba président de l’Ong Urgences panafricanistes, qui fait parler de lui depuis quelque temps, se veut mitigé quant à cet élan volontariste. « Le président béninois n’a fait que répéter les conclusions de la Cedeao visant à abandonner collectivement et progressivement le taux de change fixe du franc cfa adossé à l’Euro pour aller vers une monnaie Eco au taux de change flexible, arrimée cette fois à un panier à devises ». Evidemment, Patrice Talon ne peut se prononcer publiquement sur la question si en amont des décisions n’avaient déjà été prises au plan communautaire. Bon élève de la Cedeao, le Bénin ne saurait se soustraire à la dynamique du moment même si le rythme adopté n’est pas le même partout. Ouattara et Macky Sall sont moins pressés d’abandonner le Cfa tandis que Buhari et Nana Akufo Addo ont déjà le regard tourné vers la monnaie unique.
2020 initialement prévu pour donner naissance à l’Eco ne sera visiblement pas le bon moment. « Les critères de convergence, l’harmonisation de tout ce qui techniquement concourt à l’entrée de tous ces pays dans la même monnaie posent encore quelques problèmes de calendrier ». Sans se faire prier, le Bénin à travers son premier citoyen se démarque et affiche ses ambitions. Ne voulant pas que son pays soit confondu à la masse, Patrice Talon sort du lot, décidé à écrire l’histoire. Cette posture est-elle la meilleure ? Contrairement au passé, Porto-Novo a-t-il fait l’option de se faire davantage entendre sur les grands sujets contemporains ? Si tel est le cas, à l’interne, comment le gouvernement compte-t-il partager ses nouvelles passions et ambitions avec les populations ? Cette posture est-elle en phase avec les rêves et préoccupations des Béninois ? Au fond, ce n’est pas mauvais que le Bénin sorte de l’ornière sur le plan diplomatique. Il faut simplement que ses dirigeants s’y prennent avec la manière et le langage appropriés.



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