En vérité : La polémique des 10%

Moïse DOSSOUMOU 19 mai 2020

C’est la porte ouverte à toutes les interprétations. Le fameux critère des 10% récemment introduit dans le code électoral déchaîne les passions. Aux temps forts du vote de cette loi, des voix, et pas des moindres, s’étaient élevées pour attirer l’attention du législateur sur la délicatesse de cette réforme. Mais rien n’y fit. Déclarée conforme à la Constitution, la loi n°2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral en République du Bénin a été promulguée. Ces dispositions sont testées pour la première fois à l’occasion des municipales et communales du dimanche dernier, 17 mai 2020. Si en amont, certains partis politiques désireux de prendre part à ce scrutin ont été écartés parce que n’ayant pas réussi à réunir certaines conditions légales, en aval, d’autres ayant régulièrement participé à ces élections courent le grand risque d’être évincés au moment de la répartition des sièges. Ce scénario qui se profile à l’horizon est l’objet de mille et un commentaires.
L’alinéa 1er de l’article 184 est sans équivoque. « Seules les listes ayant recueilli au moins 10% des suffrages valablement exprimés au plan national sont éligibles à l’attribution des sièges ». Sans ambiguïté, le législateur a conditionné l’octroi des postes en compétition uniquement aux partis ayant obtenu un minimum de 10% des voix valables au plan national. Certes, pour des élections communales, la circonscription électorale se limite à l’arrondissement. Mais la spécificité béninoise adossée à la réforme du système partisan veut qu’avant de prétendre à occuper des sièges au sein des organes délibérants au niveau communal, les partis doivent avoir réussi au préalable à engranger autant de voix supérieures ou égales à 10% à l’échelle de tout le pays. Sachant bien qu’ils se livrent à un jeu dangereux, des creusets politiques, qui n’ont pas nécessairement participé à l’étude et au vote de la loi, se sont jetés à l’eau, pendant que d’autres se sont rétractés.
Dans son alinéa 1er, l’article 187 du même code électoral se fait un peu plus précis. « Les sièges sont attribués aux candidats d’après l’ordre de présentation sur chaque liste. Il est attribué à la liste qui a obtenu la majorité absolue ou à défaut 40% au moins des suffrages exprimés, un nombre de sièges égal à la majorité absolue des sièges à pourvoir ». A ce niveau, le débat ne se pose pas tant que ça. Ce qui retient l’attention, c’est le critère éliminatoire des 10% arrimé à des élections de proximité. Juge du contentieux des élections municipales et communales, la Chambre administrative de la Cour suprême s’est fort heureusement prononcée sur le sujet trois mois avant les consultations électorales du dimanche dernier. L’arrêt n°2020-01/CA/ECM du 18 février 2020 de ladite Cour fournit de la matière au personnel politique, aux juristes et à l’opinion.
Pour le juge administratif siégeant en qualité de juge électoral, « …il résulte… de la loi électorale que dans le processus d’attribution des sièges , la Cena se doit de tenir compte non seulement des suffrages obtenus par les partis politiques ou listes de candidatures admis à l’obtention des sièges mais également des suffrages obtenus par ceux qui en sont exclus du fait qu’ils n’ont pas recueilli au moins 10% des suffrages valablement exprimés au plan national ». La compétence d’annuler ou d’écarter des suffrages exprimés est ainsi retirée à la Cena. Puisque le juge électoral est d’avis que des partis peuvent être exclus de la répartition des sièges, bien qu’ayant obtenu des suffrages valablement exprimés, cela va sans dire que ces suffrages qui ne sauraient être invalidés profiteraient à d’autres partis jugés aptes à la répartition des sièges. En attendant que la Commission électorale nationale autonome (Cena) à qui le législateur a refilé la patate chaude se prononce, les réactions des citoyens vont à bon droit dans tous les sens.



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