Révision de la constitution et/ou amendement du code électoral : les députés entre dilemme et épée de Damoclès

20 février 2024

L’actualité politique sous régionale marquée par la décision du Conseil Constitutionnel sénégalais invalidant, à la requête des députés de l’opposition, l’annulation de la convocation du corps électoral et reportant de facto la présidentielle de février 2024, a relevé d’un cran le regard de la communauté internationale sur la saga qui se jouera à l’hémicycle de Porto-Novo. C’est vrai qu’il ne s’agit ni du même contexte, ni des mêmes enjeux, mais il reste indiscutable que c’est plus à un jeu de quitte ou double qu’à un exercice de leur prérogative de retoucher la constitution ou le code électoral que les députés béninois sont convoqués. De quelque camp qu’ils soient, tous y jouent leur avenir politique.

Jusqu’en 2019, le tabou de son intouchabilité n’avait jamais été violé, depuis près de trente ans qu’elle était mise à l’épreuve. Par une loi du 07 novembre de cette année-là, la constitution béninoise a été modifiée par la huitième législature, mais sans renoncer à la limitation à deux mandats de cinq ans, du maximum possible à un citoyen béninois. Certes en corsant davantage cette limitation avec la formule « de sa vie ». Qui peut le plus pouvant le moins, la même législature a modifié le code électoral par une loi du 15 novembre 2019, déclarée conforme à la constitution qui venait à peine révisée. Avec une facilité qui n’avait alors d’égale que l’appartenance de tous les parlementaires à la même majorité présidentielle d’une part ; et la perspective de réélection du président Patrice Talon en 2021, d’autre part.

Suspense chez les députés de l’opposition
Aujourd’hui, les choses ont changé. Le parlement n’est plus “monocolore” comme le qualifiait l’opposition désormais forte de 28 députés. La perspective d’une candidature en 2026 du même président en exercice est quasi-nulle, dans l’impossibilité d’un troisième mandat. Mais tel qu’au Sénégal, c’est la date du terme du mandat présidentiel qui veut être remise en cause, à la différence ici qu’il ne s’agit pas de la repousser, mais plutôt de la rapprocher. De même que celle de la tenue des élections législatives. Comme ferait un disc-joker avec ses boutons
d’équaliseur acoustique. On se serait attendus, vu leur opposition aux modifications de 2019, que les députés de l’opposition soient auteurs d’une proposition de révision qui ramènerait l’arsenal législatif au statu quo ante. Mais c’est le député Assan Seybou du Br qui a pris la main pour la manœuvre, suivi d’une forte campagne de l’Upr, sur le terrain pour promouvoir le bien-fondé de la proposition de leur collègue de l’autre parti de la majorité, face à des voix discordantes du même parti qui jugent la révision sans importance pour les populations. Les Démocrates quant à eux, se sont limités à des propositions d’amendements au Code électoral en réponse aux directives de la Cour constitutionnelle ordonnées début janvier 2024 en réponse à un recours introduit par un citoyen. Il pèse cependant dans leurs rangs, comme lors du vote du budget de l’Etat où un des leurs et pas des moindres, Basile Ahossi, à l’encontre de tout mandat impératif, avait accordé son vote favorable à la loi de finances gestion 2024, contrairement au choix de son parti LD. Il y règne une forte atmosphère de méfiance quant au risque que les secrets du vote secret ne viennent fracturer leur unité face à la rage de vaincre de leurs adversaires. Le facteur X dont le nom se murmure et qui leur semble déterminant dans les motivations de leurs collègues la majorité, c’est Olivier Boko. Qu’adviendrait-il de leur sort dans les mois à venir si le vote de la plénière penchait finalement en faveur la proposition du député Assan Seybou ? Une équation à mille inconnues.

Les députés de la mouvance à quitte ou double
En faisant précéder par leur vote la préséance de la présidentielle sur les deux autres élections contrairement à l’état actuel des textes et en bougeant le curseur de la date des élections législatives constitutionnalisée depuis 2019, et donc en modifiant la constitution, les députés du Br et de l’Upr auraient ainsi, avec forcément quelques soutiens de l’opposition comme ne ils n’ont de cesse de le rappeler, clarifié le profil des parrains de 2026 : ils seraient ceux issus des élections de 2026. Qui leur dit que d’ici à là, ils seraient qualifiés pour retrouver leurs noms sur les listes électorales ? Qui leur dit que même dans l’affirmative, ils seraient encore en capacité de bénéficier du vote des électeurs après dix années de rupture ? Seraient-ils bien inspirés de se dépourvoir aujourd’hui de la seule carte qui pourrait garantir sinon leur longévité, tout au moins de retour au parlement ? Autant de questions qui paraissent insolubles dans un contexte où le chef de l’Etat s’est empressé de dire de la façon la plus claire et la plus audible, qu’il n’est demandeur de rien ; qu’une présidentielle avant ou après, ça lui est égal ; le tout, dans un contexte où le patron de l’Upr Joseph Djogbénou a encore les pages de sa vie politique à écrire ; où le soir tombe sur celle de son homologue du Br Abdoulaye Bio Tchané ; et où une troisième voix pourrait bien s’imposer à équidistance de tous les partis représentés à l’assemblée nationale. Encore une fois, l’ombre du même facteur X, Olivier Boko, dont le nom revient sans cesse dans cette guerre des longs couteaux, ne cessera de peser dans le débat en vue des retouches à apporter aux lois régissant la dévolution des pouvoirs présidentiel, législatif et locaux au Bénin. La classe politique béninoise semble certes bien plus intelligente que celle du Sénégal en vidant ledit débat près de deux ans avant 2026 en accord avec la borne de six mois avant fixée par le pacte additionnel de la CEDEAO, mais cette anticipation est trop distante de cet horizon pour les rassurer qu’ils y voient vraiment clair.
Une contribution de Ange TOSSOU



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