Entretien avec le Fâ boconon Adjibodô Egbidilo : « Prendre le Fâ, c’est se connaître en profondeur… »

De son vrai nom Alexandre Egbidilo, Boconon Adjibodô est originaire d’Agonlin Covê. Son travail pour la pérennisation des valeurs traditionnelles béninoises et son amour pour le Vodoun l’ont amené à adopter ce culte et à œuvrer pour son évolution. C’est dans ce cadre qu’il nous accorde cette interview afin de découvrir ce qu’est réellement un Fâ Boconon, ses domaines d’activités et son rôle principal dans la promotion des valeurs endogènes.

Quelle différence faites-vous entre un Boconon et un Fâ Boconon ?
Pour commencer, je vais parler des simples ‘’Boconon’’ (chant). Auparavant les ancêtres disaient qu’une personne qui a pris le Fâ est Boconon, donc si un homme ou une femme prend le Fâ il ou elle est Boconon. Mais quand on dit Fâ boconon, c’est quelqu’un qui a non seulement pris le Fâ, mais a aussi la capacité d’initier d’autres. Il peut faire l’offrande aux gens, il peut aussi laver leur Fâ, prendre le Fâ aux personnes et même ‘’tuer’’ le Fâ. C’est également ce genre de personne qui doit savoir présenter l’allégorie du Fâ de toutes les divinités que ce soit celui de Lègba, Lissa, Tohossou, Dan, Sakpata, Heviosso, Ogou, Hoxo et autres divinités. Si le Fâ initie quelqu’un, la personne doit savoir le traiter proprement dans tous les sens du terme. Cette personne doit connaître les plantes. C’est cette dernière qu’on nomme Fâ boconon. Il y a encore une autre catégorie qu’on appelle les Boconon consulteurs du Fâ. Quand ils consultent, ils n’expliquent pas ce qu’il y a à faire. Ils ne l’exécutent pas non plus pour la personne. Mais, ils informent juste. D’autres ne savent pas consulter le Fâ mais exécutent les choses à faire pour la personne qui est partie consulter ailleurs.

Quelles sont les divinités qui entrent en jeu le plus souvent ?
Les premiers vodouns avec lesquels un Fâ-Boconon communique, ce sont : Lègba, Dio, Kiti, Heviosso, Tohossou, Sakpata, Dan, Lèdo et Kpadossokia. Nous travaillons habituellement avec ces divinités. Parfois, nous faisons aussi recours à d’autres divinités. Il faut signaler que nous ne travaillons pas avec les vodouns tels que Thron, Aguê et Gambada. Nous qui sommes Fâ-Boconon, quand on nous appelle hounnon, on répond parce que d’abord nous sommes mères des autres divinités car, elles sont nées après les divinités de la terre. Elles sont les enfants des divinités de la terre.

Quels sont les différents types de Fâ qui existent ?
Je dirai deux. Il y a Anago Fâ et Fon Fâ (Fâ des Fon). C’est la consultation qui est juste différente. Sinon, ce sont les mêmes dérivés. Maintenant, en ce qui concerne la base sur laquelle nous faisons les consultations, je peux dire que c’est sur la base de toute chose qu’on le fait. Par exemple, avec l’arbre, on consulte le Fâ. Avec la corde, on consulte aussi le Fâ. Si une femme est enceinte, avec la consultation, on peut savoir avant la naissance de l’enfant, sur quel pied il doit venir au monde. Pendant qu’il grandit, des consultations sont faites en son nom. Mais à un moment donné, on lui prend son Fâ. Si c’est un garçon, il doit aller en brousse pour prendre son Fâ. Si c’est une fille, elle va prendre le Fâ des plantes. Si la personne est vivante et qu’elle travaille déjà, avant d’aller au boulot, elle doit consulter le Fâ pour elle-même. Le Fâ est consulté pour chaque situation ou évènement de la vie qu’on célèbre.

Pourquoi faut-il prendre le Fâ ?
[Chant]Prendre le Fâ, c’est se connaître, connaître ses interdits, savoir ce qu’il ne faut pas faire, manger et comment se comporter, parce que certaines nourritures ou certaines choses que tu manges ne sont pas bonnes pour toi, ni pour ton âme. Quand tu prends le Fâ, c’est pour que tu saches comment te comporter pour ta survie sur terre. Le Fâ ne se prend qu’une fois dans la vie et les interdits sont à connaitre ainsi que la divinité y afférente.

Quelles sont les conditions pour prendre son Fâ ?
Chez nous à Agonlin, si la personne est à son étape de pouvoir prendre le Fâ, il doit aller dans la brousse pour connaître son ancêtre et revenir connaître le Migan de son ancêtre. Aussi, il doit passer par les 4 étapes nécessaires pour cela. Mais, si la personne n’a pas l’âge de prendre le Fâ mais s’il rencontre toute sortes de problèmes, on lui coupe le Fâ et s’il grandit et les problèmes qu’il rencontraient s’apaisent, il ira maintenant en brousse prendre le Fâ proprement dit. Si c’est une femme et elle est enceinte, elle ne prendra pas le Fâ. Mais quand on va consulter le Fâ et si le Fâ recommande de le prendre avant l’accouchement, elle le prendra.

Certaines personnes prennent le Fâ et au lieu d’avoir la paix dans leur vie, c’est plutôt la porte ouverte à tout ce qui est malédiction. Qu’avez-vous à répondre à ça ?
Ce sont les problèmes qui amènent chez le consultant du Fâ. Si tu prends le Fâ mais que tes problèmes ne cessent pas, ça peut être à cause de toi-même ou du Boconon qui t’a pris le Fâ. Deuxièmement, ça peut être aussi à cause du manque de conscience ou de la non application des conseils liés au Fâ. Tu prends le Fâ et tu penses que tout sera réglé en même temps ? Non il faut forcément que tu prennes soin du Fâ, que tu exécutes les interdis et fasses les offrandes. Le Fâ n’est pas une statuette. Il faut forcément en prendre soin.

Le coût de la consultation varie d’un boconon à un autre. Que faut-il faire pour assainir le milieu ?
On pourrait recenser les boconon pour faire la consultation du Fâ. Auparavant, on faisait la consultation à 100 F. Au fil des années, c’est passé à 500 F. A présent, c’est 1000 F voire 2000 F certaines fois. Mais c’est possible de faire la consultation chez nous à Agonlin à moindre coût. On a une association des prêtres de Fâ de la région Agonlin et c’est moi qui en suis le Secrétaire. Nous avons des règles. Le minimum que tu peux utiliser pour consulter le Fâ est de 500 F, 1000 F ou 2000 F. Tu peux donner plus, le Boconon ne refusera pas. Mais, tu ne peux pas demander pourquoi il consulte le Fâ à tel ou tel montant.

Certaines personnes pensent que les Boconon de la ville ne font pas réellement la consultation comme ceux des zones reculées. Votre avis ?
Beaucoup de Boconon surtout ceux du côté de la ville de Cotonou et autres préfèrent l’argent au travail bien fait. Moi je suis né à Agonlin. Mais tous mes clients qui me connaissent savent que je ne néglige pas mon travail et que je ne mets pas l’argent devant. Un Boconon qui n’a pas appris chez les vrais pratiquants mais qui écoute juste les audios, n’a pas la maîtrise et ce sont ces genres de Boconon qui se font passer pour de vrais Boconon. Justement, c’est ceux qui font que les gens ne croient plus aux vrais boconon…

Qu’est ce qui justifie le fait que certains sont réticents par rapport à la consultation du Fâ ?
Ce n’est pas à cause du catholicisme que les gens fuient le Fâ mais, c’est plutôt à cause de l’imposture de plusieurs Boconon.

Quels sont les problèmes que vous rencontrez dans la consultation du Fâ ?
Les souffrances qui sont dans le Fâ sont trop nombreuses. On ne peut pas tout dire et cette souffrance est souvent spirituelle. Pour dire vrai, c’est beaucoup trop. Par exemple si des personnes viennent te voir pour consulter le Fâ suite à des événements bouleversants et qu’après cela tu expliques ce qui doit se savoir, on commence dès lors à t’en vouloir. C’est comme ça que commencent les tentations, les problèmes spirituels. Car forcément, on te tente pour voir quel genre de personne tu es. Les maladies peuvent survenir, la mort dans ta famille pour voir si tu mérites le Fâ car, le Fâ est une affaire de patience, de sagesse, et surtout de bonté. Et donc si tu es Boconon et que tu fais tout dans les règles de l’art, tu seras beaucoup tenté.

Votre mot de la fin ?
(Chant) Ce que j’ai à dire pour finir, c’est qu’on adore le Fâ. Le Fâ ne ment pas. C’est le Boconon qui peut mentir. Si quelqu’un met devant le fait que les Boconon mentent trop et n’adorent pas le vrai Fâ, il se leurre car, tous les Boconon ne sont pas les mêmes. Les vrais te diront ce qui s’est passé dans ta vie, ce qui se passe et se passera dans l’avenir...
Propos recueillis par : Marina HOUNNOU(Coll.) et Océane SEKLOKA (Stag).