Ousmane Alédji sur le retour des biens culturels au Bénin : « …le plus grand projet de développement culturel qu’un Etat africain ait entrepris … »

Isac A. YAÏ 29 octobre 2021

D’ici le 15 novembre au plus tard, le Bénin réceptionnera une partie de ses biens culturels emportés par les colons comme butins de guerre. Ainsi, sur demande du gouvernement béninois, le Président français a accepté le retour au Bénin de ces objets d’art. Tout grouille désormais dans les hautes instances diplomatiques pour la réception de ces objets de valeur inestimable. A travers cet entretien, Ousmane Alédji, acteur culturel averti du Bénin parle de l’importance du retour au Bénin de ces objets.

Que pensez-vous de la décision prise par le Président Macron de restituer 26 objets culturels au Bénin ?
Je vous remercie pour la question. Pour moi, le fait culturel de l’année 2018, c’est incontestablement l’aboutissement de la demande béninoise. C’est un succès remarquable de notre diplomatie, conduite par le Ministre Agbénonci, sous l’autorité et l’implication active du chef de l’Etat lui-même. Cela mérite d’être fortement salué, me semble-t-il. Au Bénin, nous ne célébrons pas assez nos réussites. C’est mon avis.

Vous parlez de réussite… n’est-ce pas une question de perception ?
Pas du tout ! L’évidence s’impose à tous. Voyons... Est-il vrai que le gouvernement du Bénin a adressé une demande de restitution de nos biens culturels à l’Etat français ? Oui. Est-il vrai que la France a répondu favorablement à cette demande ? Oui. Est-il vrai enfin que 26 objets réclamés par le Bénin sont en route pour le Bénin ? Oui. C’est une réussite. Celui qui ne le reconnaît pas est de mauvaise foi. Tolérable mais grotesque !

Dites-nous, M Alédji, qu’est-ce qui a poussé le Président béninois à demander la restitution de ces objets ?
Son PAG (Programme d’Actions du Gouvernement). Cela s’appelle de la cohérence. Le développement du Bénin passe par la prise en charge et la dynamisation de son secteur touristique. Le Chef de l’Etat l’a martelé lors de la présentation du Programme d’Actions du Gouvernement. En réclamant le retour de notre patrimoine national, le chef de l’Etat a lancé l’exécution de son Pag. Je vais me répéter : cette demande du Bénin procède de la mise en œuvre du plus grand projet de développement culturel que nous ayons connu depuis 1960.

Il semble qu’à ses débuts en 1972, la Révolution aurait fait mieux.
Faux. Totalement faux ! Les discours révolutionnaires étaient, il est vrai, très culturels. Ils servaient ‘’à mobiliser les laborieuses masses populaires de nos villes et de nos campagnes’’. On s’inspirait à peine de Sékou Touré et de ce que faisait la Guinée. C’est tout. S’il y avait eu une véritable politique culturelle avant le renouveau démocratique, notre pays serait à un autre niveau de développement.

Revenons au sujet de notre entretien, si vous voulez bien M Alédji. Vous attendiez-vous à une réponse favorable à la demande béninoise ?
Du Président Macron, j’en ai déjà dit du bien, beaucoup trop. Je pense. Mais qu’à cela ne tienne. Quand il s’est engagé à Ouagadougou pour restituer les biens culturels de l’Afrique à l’Afrique, peu de gens l’ont cru en effet. Là, il vient de leur donner une preuve de sa détermination. En plus de son engagement politique, il a désormais des arguments scientifiques et historiques qui lui permettent d’aller au bout de sa promesse. Moi, je l’ai cru.

La restitution de ces objets est une bonne chose. Mais est-ce que les infrastructures existent pour accueillir ces objets afin de les conserver dans de bonnes conditions ?
Absolument ! Ce que nous n’avons pas encore, nous allons le construire. Ce qui n’est pas disponible sur le terrain, nous irons le chercher. Les compétences sont là qui chôment d’ailleurs ; certaines vont être renforcées au besoin.

Vous êtes très optimiste non, M. Alédji ?
Et pourquoi pas !

Croyez-vous vraiment que notre pays est prêt à relever ce défi ?
Je préfère ça.

Quoi ?
Je préfère quand vous posez la question en thème d’un défi à relever. Et je vous réponds que le Bénin, notre pays sera prêt. Le chef de l’Etat a suffisamment donné la preuve de sa détermination à révéler notre pays au monde. Ne nous mentons pas. Il y a un état des lieux pas très flatteur, connu de tous. S’il n’y avait pas ce vide infrastructurel que vous sous entendez, pourquoi allons-nous élaborer autant de projets. Plus de 1000 milliards de Francs d’investissement dans le secteur du tourisme et de la culture. Vous ne trouverez pas mieux en Afrique au sud du Sahara. Le Bénin ne le fait pas parce qu’il est riche, mais parce qu’il y croit. Si cela ne suffit pas à vous convaincre, que faut-il alors ?

Faut-il attendre l’arrivée de ces objets avant d’aller à la recherche de tout ce qui manque actuellement pour les conserver dans de bonnes conditions ?
Il faut du temps pour bâtir. Toutes les études sont terminées. Les différents marchés ont été déjà attribués. On attend que les plans architecturaux soient validés pour la phase active de la construction de ces infrastructures. On n’a donc pas attendu l’arrivée de ces objets avant de construire. Si on avait attendu, ce serait maintenant qu’on penserait à tous ces projets. Peu de Béninois savent que le chef de l’Etat a mis aussi en place un comité d’experts composé de personnalités du monde de la culture béninoise dont messieurs Tidjani Serpos, Alain Godonou... La mission de ce comité est de proposer au chef de l’Etat les mécanismes par lesquels cette restitution pourrait être facilitée. Tout est donc harmonisé. Si nous travaillons bien et que les bonnes énergies nous accompagnent, les Béninois seront fiers de voir que ce qui a été promis, a été réalisé.

Quelles sont les dispositions prises pour éviter que ces objets, une fois au Bénin, ne soient volés ou emportés par des incendies ?
Votre question sous-entend que dans les pays où ils sont indûment gardés, il n’y a pas de voleurs. Les incendies là-bas emportent parfois toute une ville. Vous avez entendu parler de l’incendie de Paradis au Etats Unis. Les vols dans ces pays sont des vols sophistiqués, technologiquement avancés. Moi, je ne me laisse insulter par personne. Et je réponds à tous les mépris. Les Africains ne devraient plus se laisser insulter.

Vous avez l’air choqué.
Je le suis. Vous avez répété des gens qui passent leur temps à nous insulter. L’Africain est un inconscient , l’Africain est incapable de ceci , incapable de cela… Quand vous laissez des gens qui vous ont volés vous dire qu’ils vous ont volés pour que vous ne vous fassiez pas voler entre vous…, vous les laissez vous insulter. Ils vous prennent pour des pieds. Il faut leur dire d’arrêter ça.

N’empêche que ce débat a sa raison d’être, M. Alédji.
C’est un faux débat. Croyez-moi. Il faut prendre le discours des petits snobes et des sceptiques pour ce qu’il est. Pas plus ! Contradictions ? Oui. Mais là, j’ai le sentiment qu’on fait le procès du gouvernement et de son chef sur un sujet qui devrait mobiliser chaque citoyen de ce pays. Moi, je suis sur ce front depuis plus de 20 ans. Je n’ai pas attendu le gouvernement. Pourquoi vous n’y êtes pas, vous, par exemple, vos collègues, tout Béninois lambda…

Vous n’espérez pas des applaudissements M Alédji ?
Pourquoi pas ? Quand c’est une bonne action et que c’est dans l’intérêt de notre pays… Pourquoi pas ? Ça a jamais tué qui d’applaudir le succès de l’autre ? Mais, c’est un problème ici.

L’esprit critique bien béninois, veut des garanties.
Vous me faites rire. Je l’entends très bien. Les garanties, l’Etat les a données. Mieux, nos interlocuteurs français nous ont pris au sérieux et ont répondu favorablement à notre requête. Mieux encore, le modèle béninois a inspiré d’autres pays africains et européens qui entament à leur tour un processus similaire au nôtre. De quelles garanties avons-nous encore besoin ?

Il n’y a donc aucune inquiétude à avoir quant à la conservation des objets ?
L’Europe, malgré son niveau de développement, est sujet aussi à des vols les plus inimaginables. Des gens cassent les choses là-bas aussi. Là-bas aussi, les gens laissent des choses se détériorer. L’Afrique n’a donc pas le monopole de l’incivisme et de la négligence. Nous travaillons tous à être meilleurs, eux comme nous ; chacun à son rythme, avec ses moyens. Et qu’on arrête de nous rabâcher les oreilles avec des insultes et des faux procès que l’on fait à l’Africain.

Comment se fera le transport de ces objets pour éviter qu’ils ne soient abîmés ?
On a des spécialistes pour ça. Il y a des gens qui ont consacré une bonne partie de leur vie et toutes leurs études pour savoir comment conserver ou comment transporter telle ou telle chose. Je vous le répète, il n’y a aucune crainte à avoir.

Ma question va encore vous choquer, M Alédji…
(Rires) Tant que vous le faites exprès, ce n’est pas grave.

Quel est l’intérêt pour le Bénin, pour le béninois lambda de voir ces objets revenir sur notre sol ?
Chaque objet a une valeur inestimable. Valeur artistique, valeur cultuelle et spirituelle, valeur historique et politique, valeur scientifique, valeur touristique. Bref ! Je répète, la réclamation de ces biens, marque le début de la mise en œuvre d’un vaste projet de développement, notamment, le PAG. Parce que derrière, il y a la construction de plusieurs infrastructures contemporaines, la formation des jeunes conservateurs et gestionnaires de patrimoines, le recrutement de plusieurs centaines de diplômés sans emploi qui réduira même modestement, le taux de chômage des jeunes. Ensuite, l’installation des objets dans des espaces modernes adaptés et l’élaboration de contenus culturels et scientifiques complémentaires en font des espaces de recherches pour nos jeunes étudiants. Ensuite, il faudra une programmation artistique pour rendre tous ces lieux dynamiques, lieux d’expressions artistiques donc il faudra également ouvrir ces lieux aux touristes… Tout ça génère une économie directe (les tickets d’entrée) et une économie indirecte (transports, hôtels, bars, restaurants, marchés…). Bref, il y a une dynamique artistique, culturelle, économique, sociale et intellectuelle incommensurable. Des millions d’articles et des centaines de livres seront écrits sur ces objets et leurs environnements passés et actuels. Des milliers de reportages photos, de films documentaires. Nos images vont circuler partout. Cela accélère l’épanouissement et le mieux-être du Béninois. Ça n’a pas de prix tout ça. Voilà résumé pourquoi nous nous battons. Intérêt disiez-vous, il est incommensurable.

C’est heureux que ces objets nous soient restitués. Mais comment peut-on être rassuré qu’ils sont effectivement des originaux et non des copies ?
(Sourire) La France garde ces objets depuis plusieurs siècles. Elle ne s’est pas engagée à nous les rendre parce que nos Etats ont grossi des muscles et la menacent de je ne sais quelles diableries. Non. La France sait ce qu’elle a à faire. Son Président vient de nous donner la preuve de sa bonne foi. Nous n’avons pas à leur prêter ces intentions-là.

Le Président Macron s’est engagé à restituer 26 objets d’abord. Avez-vous une idée précise du nombre total d’objets à restituer ?
Les estimations varient. Il y a d’autres qui sont optimistes et qui vont au-delà de 7.000. Il y a d’autres qui sont un peu plus modestes et qui tournent autour de 5.000 à 5.500 objets. Il y a un travail d’inventaire à faire.

M. Aledji, le code français n’a pas prévu la restitution des objets d’art rentrés dans le patrimoine français, la mission Savoy-Sarr a préconisé un dépôt à long terme avec bail renouvelable comme disposition juridique en attendant qu’un nouveau code ne soit voté par l’Assemblée nationale française. Que peut-on comprendre par dépôt à long terme avec bail renouvelable ?
Ce sont des mécanismes intermédiaires. En attendant de modifier la loi française. Mon avis c’est que, ce sont les Hommes qui font les lois et ces lois sont faites pour les Hommes. Donc, comme je le disais, la France sait ce qu’elle a à faire. Nous n’avons aucune leçon à leur donner. Le plus important, c’est qu’on nous restitue ce qui nous appartient. C’est aussi simple que ça. Si nous avons quelque chose à faire, c’est d’anticiper sur l’élaboration de contenus complémentaires pour que ce ne soit pas seulement des objets revenus de la France qui soient exposés dans les musées.

Toutes ces démarches coûteront combien à l’Etat béninois ?
Difficile à dire. Tout coûte cher, même le pardon. Donc, au-delà de nos réticences et des bavardages malheureux, nous ne perdons rien à conduire ce projet jusqu’au bout. Rien, comparé à ce que notre pays y gagne.

Le Président Macron a dit qu’il accepte toute forme de circulation des objets d’art que ce soit par restitution, échanges, dépôts, ou exposition afin que la jeunesse africaine ait accès à son histoire sur son propre continent et non en Europe seulement. Approuvez-vous cette méthode ?
D’où le respect que le Président Macron m’inspire. Aucun d’entre nous n’a oublié son illustre prédécesseur qui a dit que les Africains ne sont jamais rentrés dans l’histoire. Avec le Président Macron, ça a commencé avec un clash puis ça s’est resserré. C’est différent. C’est heureux de constater qu’après l’engagement de Ouagadougou, les actes ont suivi.

Peut-on dire que la France est en train de vouloir développer une nouvelle politique diplomatique avec ses anciennes colonies ?
Les enjeux géostratégiques obligent toutes les puissances à se déployer. L’Allemagne qui était renfermée sur elle-même après la deuxième guerre mondiale, s’ouvre au monde et installe des instituts Goethe de plus en plus en Afrique. Même chose avec la Russie désormais en Centrafrique, l’Inde, la Chine… Nous avons même vu la 1ère ministre britannique danser au Kenya. Ce n’est ni anodin, ni gratuit. Toutes les puissances vont à la conquête des marchés nouveaux sans considération de pré-carrés. Si pendant ce temps, la France ne change pas sa politique, c’est elle qui va perdre du terrain. Elle le sait et elle sait ce qu’elle a à faire.

L’Afrique francophone a-t-elle une chance de mieux se porter avec cette nouvelle démarche du président Macron ?
Le sort de l’Afrique francophone n’est pas lié forcément à l’humeur d’un Président français. Cependant, parmi les interlocuteurs privilégiés de l’Afrique, il y a l’Etat français. Nous, africains, nous n’avons pas pour seule destination, la France. Le monde est très vaste. Les Russes sont en Centrafrique... Ils n’y vont pas pour faire du tourisme et ils ne vont pas s’en arrêter à la seule Centrafrique.

Est-ce que vous voulez dire que la France-Afrique est effectivement derrière nous ?
Non. Je n’ai pas dit ça. Je dis qu’il ne dépend plus que de nous-mêmes de nous faire materner ou pas. A titre personnel, j’admets pour pacte sacré, irrémédiable et irréversible, mes rapports avec la langue française. A mes yeux, la langue française n’est pas qu’un outil dont on use pour le commerce, c’est aussi un ferment qui nous lie davantage à la France. Nos cultures sont apparentées puisque la langue irrigue l’ensemble de nos créations, jusqu’à nos racines. De la même façon que nous ne pouvons pas nous débarrasser de la langue française, de cette même façon nous ne pouvons pas nous débarrasser de la France. Et l’inverse est aussi vrai. C’est ce qui fait que les pays membres de l’ancienne Communauté Française d’Afrique ont pour partenaire prioritaire et privilégié, la France. Elle est considérée, avec raison, comme un parent très proche. Mais les désirs, les envies et les rêves de développement des Etats africains ne peuvent dépendre d’elle. Elle le sait et nous le savons aussi. A partir de ce moment, France-Afrique ou pas, chacun fait ce qu’il a à faire. Normalement ! Je dis bien normalement.

Si vous avez un message à lancer aux dirigeants des pays de l’Afrique francophone, que diriez-vous ?
Je leur dirai de s’inspirer de l’exemple béninois. Le Chef de l’Etat et son ministre des affaires étrangères ont obtenu un résultat absolument remarquable.

Un mot pour clore cet entretien.
Sur le sujet, je suis ravi d’entendre quelques opinions évoluer dans le bon sens. Ceux qui n’y croyaient pas, ont commencé déjà par y croire. Plus on avancera, plus on aura des gens convaincus que cette demande du Bénin procède du plus grand projet de développement de notre pays. Que Dieu nous garde en pleine forme pour la suite...

Propos recueillis par Isac A. YAÏ



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