Père Maurice Hounmènou au sujet de l’ouvrage « des profondeurs de nos cœurs » : « Nous ne pouvons rien faire hors de l’évangélisation »

Arnaud DOUMANHOUN 12 mars 2020

Formateur à l’Ecole d’Initiation Théologique et pastorale de l’Archidiocèse de Cotonou, le père Maurice Hounmènou décrypte l’ouvrage publié il y a quelques semaines par le cardinal Sarah et Benoît XVI. La polémique sur la participation du pape émérite à ce texte attise la curiosité pour un sujet sensible : le célibat des prêtres. A travers cette interview, il déduit les leçons à retenir par le chrétien.

Pourquoi l’Ecole d’Initiation Théologique et pastorale de l’Archidiocèse de Cotonou a décidé d’organiser cette conférence ?
Cette conférence fait partie des conférences trimestrielles que l’Ecole d’initiation théologique et pastorale de l’Archidiocèse de Cotonou organise tant au profit de ses étudiants que pour des personnes de bonne volonté. Ce n’est que le prolongement des activités académiques et spirituelles que nous organisons. Et cela permet à nos étudiants de se mettre au parfum des nouvelles publications, et de comprendre aussi le sens de l’Eglise et ce à quoi ils sont appelés, surtout vu la vocation qui est la leur et le ministère qu’ils sont appelés à accomplir dans l’église.
Cette fois-ci il a été question de présenter l’ouvrage « des profondeurs de nos cœurs », co-signé par le pape Benoît XVI, et le cardinal Sarah. Dites-nous un peu ce qu’il en a été dit ?
Ce qui est intéressant dans cet ouvrage, c’est surtout la conjonction de réflexions aussi bien du pape émérite que du cardinal Sarah. C’est intéressant de voir que les deux ont une vision de l’Eglise qui est salutaire pour nous, au moins à deux niveaux. Le premier niveau c’est leur ancrage dans les Saintes Ecritures et la compréhension qu’ils ont de la tradition de l’église. Et je crois que, ce qui fait la force de cet ouvrage, c’est le fait qu’il ne se soit pas départi de la Bible, de la tradition ecclésiaste. De façon générale, on retient de cette présentation que nous avons faite aujourd’hui, que le sacerdoce catholique a quelque chose fondamentalement avec le mariage. C’est-à-dire qu’il s’agit de don exclusif des époux, pour ce qui est du mariage et du don exclusif du prêtre pour l’église. Et donc lorsqu’il s’agit d’un don exclusif, les deux personnalités ont voulu montrer qu’il est important qu’il n’y ait pas d’autres choses qui s’interposent dans la relation entre Dieu et l’Eglise, dans la relation entre le prêtre et l’Eglise. Et je crois que c’est ce qui crée vraiment la force de cet ouvrage-là. Et la deuxième chose, c’est surtout cette forme d’instrumentalisation qui avait commencé à s’insérer dans les réflexions. Et on a voulu tout de suite opposer aussi bien le pape Benoît XVI et le Cardinal Sarah. On a voulu les opposer au pape actuel. Surtout que le pape Benoît XVI avait dit qu’il resterait dans le secret, dans le silence, on s’est demandé mais pourquoi il propose une réflexion qui semble être en contradiction avec la pensée du pape. Or le cardinal Sarah a essayé de montrer qu’au fond, ce n’est que l’amour de l’Eglise qui les a poussés à présenter cette réflexion-là. Et donc on voit qu’au fond, d’un pape à l’autre, la réflexion de l’église est toujours une. Et donc l’exhortation pro-synodale du pape François n’a fait que confirmer ces intentions de maintenir la discipline du célibat chaste pour les prêtres et d’inviter le peuple chrétien à prier pour ses pasteurs afin qu’ils répondent au jour le jour à leur vocation.

Que peut-on retenir de cette exhortation pour nous africains ?
Je crois que l’idée phare qu’on peut retenir de cette exhortation pour nous les africains, c’est surtout le défis d’aller toujours de l’avant dans la vérité et dans l’annonce missionnaire. Et quand moi je fais un peu une relation entre cette encyclique, cette exhortation et ce que disait déjà le cardinal Sara, parce que lui profondément africain, il a montré par exemple qu’en Afrique, que le souci d’évangélisation est une réalité primordiale. Et donc, les peuples d’Amazonie ont quelque chose de commun avec les Africains. C’est-à-dire qu’ils vivent une certaine forme de pauvreté et de précarité qui est certainement l’une des conditions d’exercice du ministère ecclésiale. Et je crois que à ce niveau-là, l’exhortation est venue pour montrer au peuple africain que nous ne pouvons rien faire hors de l’évangélisation Et donc notre manière d’approcher l’évangile doit pouvoir tenir compte non pas d’une certaine mentalité progressiste, mais d’une forme d’inculturation, qui, sans remettre en brèche ou sans remettre en crise, nos coutumes et les traditions , laissent plutôt l’évangile, les enraciner, les nourrir de l’intérieur pour que notre vie chrétienne soit une vie qui réponde davantage à ce que le Seigneur attend de nous.

Alors moi, j’ai deux choses essentiellement à dire aux chrétiens. La première c’est que le sens ecclésial doit nous amener à aimer l’Eglise qui reste toujours une Eglise humano-divine. Divine dans ses sacrements, divines dans son fondateur le Christ, mais qu’elle reste humaine dans ses membres avec leurs fragilités, avec leurs déboires. Et en même temps, je voudrais inviter le peuple chrétien à redoubler d’ardeur dans la prière pour ses pasteurs, de façon particulière, mais pour toute l’Eglise de façon générale dans la prière. Ce n’est que dans la prière, ce n’est que dans la réception de la parole de Dieu, ce n’est que dans la fidélité à la tradition de l’Eglise, que nous pouvons faire de notre Eglise, un serment de sainteté pour le monde entier.

Ne pensez-vous pas qu’il y a une aile conservatrice et une autre progressiste ?
Les concepts d’église conservatrice, d’église progressiste ne sont pas des terminologies. Parce que l’Eglise est fidèle, non pas seulement à sa tradition, mais aussi aux Saintes Ecritures. Peut-être souvent on a tendance à déconnecter la tradition de l’Eglise de la parole de Dieu. Or, la tradition se fonde naturellement sur la parole de Dieu. Il nous suffit seulement de nous rappeler la finale de l’évangile selon saint Jean, qui dit que Jésus a accomplie beaucoup d’autres choses qui n’ont pas été écrites. Mais celles-ci ont été mises par écrit, pour qu’elle puisse servir de document pour la foi. Ce qui veut dire que la tradition n’est rien d’autre qu’un prolongement des Saintes Ecritures. Et donc, le but de l’Eglise, c’est que lorsqu’on ne sait pas ce à quoi nous convie le monde d’aujourd’hui, dans ses sensibilités, dans ses réflexions, je dis que même dans ses actualisations, il est toujours important de savoir d’où est ce que nous sommes partis. Et c’est cela qui fondent la réflexion de l’Eglise. En fait l’Eglise a tendance à se demander « mais d’où est ce que nous sommes partis jusque-là ? ». Ce qui ne l’empêche pas de réfléchir aux problèmes contemporains et de voir quelles solutions il faut apporter à ceux qui souffrent. Autrement, il n’y aurait jamais eu de synode sur l’Amazonie. Puisque ces peuples-là à un moment donné avaient l’intention de voir aussi leurs communautés chrétiennes, accompagnées par un prêtre, et la pénurie des prêtres a commencé par faire qu’ils se sont posé la question de savoir « mais on ne peut pas ordonner parmi nous des gens qui sont de bonne moralité et bien d’autres ». Au fond, le débat est fait il y a juste que jusque-là, nous n’avons pas encore trouvé un ancrage. L’église peut faire des ouvertures. Mais en partant d’où ? C’est cela la question fondamentale. Entre temps, le pape a demandé qu’on fasse des études sur la question de diaconesse dans la tradition de l’église. Et puis nous nous sommes rendu compte que les diaconesses n’exerçaient pas le ministère sacerdotal. Il est difficile par exemple d’inventer ou de proposer une réflexion qui n’ait aucun ancrage. Et c’est cela qui fait justement qu’on a souvent l’impression qu’il y a une aile qui est souvent conservatrice parce qu’elle a tendance à rester dans la tradition et l’Ecriture, alors que d’autre disent “non“, le développement aujourd’hui du monde doit amener à inventer de nouveaux horizons. Au fond le débat n’est même pas si mauvais que ça. Il y a juste à trouver la nette corrélation entre la tradition et ce que la modernité propose afin que la parole de Dieu soit toujours dite. Donc il ne s’agit pas que l’Eglise s’adapte au monde. Mais il est important que le monde découvre dans les Saintes Ecritures, la volonté du Seigneur.
Propos recueillis par Arnaud DOUMANHOUN



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