Universités nationales du Bénin : Double inscription, franchises universitaires et mesures sociales, les prémices d’une année académique agitée

Ambroise ZINSOU, Arnaud DOUMANHOUN, Géraud AGOÏ 21 novembre 2013

L’Université d’Abomey-Calavi est secouée depuis quelques temps et pour le compte de la rentrée académique 2013-2014 par une crise née du paiement de la double inscription. Une situation délétère suscitée par le décret N°2008-802 du 31 décembre 2008 alors introuvable et qui réapparaît après des jours de tension.

Inscription gratuite ou payante ?
L’inscription sur les différents Campus universitaires du Bénin est-elle gratuite ou payante ? Difficile de répondre aujourd’hui à cette interrogation. En effet, par décret N°2008-802 du 31 décembre 2008 portant prise en charge par l’Etat des frais d’inscription des étudiants béninois non boursiers, non secourus, non salariés dans les Universités nationales du Bénin pour compter de la rentrée 2008-2009 ; « Les étudiants béninois non boursiers, non secourus ou non salariés inscrits dans les Facultés, Instituts ou Ecoles des Universités nationales du Bénin au titre d’une année académique, bénéficient d’une prise en charge par l’Etat des frais d’inscription ». Hormis les références administratives douteuses de ce décret quant à la forme, il suscite aussi beaucoup d’interprétations sur le fond. Depuis la rentrée scolaire 2008-2009, les inscriptions ont été effectivement gratuites pour tous les étudiants dans les Facultés. Il en est de même pour les étudiants non salariés et dont le baccalauréat était vieux de plusieurs années et non de l’année civile en cours. La double inscription, aujourd’hui objet à polémique était également gratuite pour tout étudiant, ancien comme nouveau qui en manifeste le désir. Il a fallu 5 ans d’application de ce fameux décret pour que le rectorat décide de ce que la deuxième inscription dans les Facultés soit payante, ce qui a fait monter d’un cran. Si tant est que le décret avait prévu une seule inscription et valable pour un seul établissement comme le stipule son article 3, pourquoi avait-t-on laissé les étudiants faire une double inscription ? Mieux, l’article 7 du décret dispose que :« Tout étudiant béninois, inscrit dans un cycle normal et ayant eu la prise en charge des frais d’inscription suspendue à la suite d’un redoublement bénéficie de cette prise en charge lorsqu’il passe en année supérieure ». Au regard de tout ceci, on se demande si le décret « caché » depuis plusieurs années et qui a été sorti après les mouvements de protestation de ces derniers jours ne vient pas régler un problème ponctuel pour en créer d’autres ? Seuls les jours à venir pourront nous édifier.

Orienter autrement la lutte estudiantine
La lutte estudiantine reste un moyen légal utilisé par les associations organisées des différents Campus universitaires pour réclamer leurs droits. Cette lutte alors bien organisée par des responsables étudiants de l’Université nationale du Bénin a désormais laissé place à des actes de vandalisme et de voyoucratie. Des casses par ici, des véhicules brûlés par là, des forces de l’ordre prises à partie sont entre autres les moyens dont usent les étudiants de nos jours lors des mouvements de revendication. Le bruit ne fait pas du bien et le bien ne fait pas de bruit non plus. Aujourd’hui les différents Campus universitaires du Bénin sont confrontés à un problème criant de manque de salles de cours et d’amphithéâtres. Et s’il faut casser le peu qui existe, c’est une manière de se tirer des balles dans les pattes. Le souci majeur des étudiants, doit être comment faire pour entretenir et protéger les infrastructures dans nos différentes universités du Bénin. Les premiers bénéficiaires de ces infrastructures, ce sont d’abord les étudiants. Donc, un simple mouvement de protestation ne doit pas conduire à des actes ignobles de la part des étudiants qui sont appelés à être les cadres de demain. Rien de concret ne s’obtient dans la violence. Il revient aux responsables étudiants de s’inspirer des luttes sans violences menées par d’éminents responsables d’alors et dont les retombées positives sont devenues aujourd’hui des acquis.

Privilégier le dialogue
Pour mener une bonne lutte et l’emporter, il faut nécessairement une synergie d’actions. Ce qui fait appel à des mouvements uniformes et concertés de toutes les organisations d’étudiants. Ainsi, les mouvements de protestation auront du poids et seront pris au sérieux par les différents responsables. En principe, les responsables étudiants, de concert avec les autorités rectorales, doivent avoir un creuset de concertation au sein duquel ils vont se voir de façon périodique afin de discuter des sujets objet de polémique et de rechercher ensemble des solutions. Et c’est quand les différentes parties ne vont pas accorder leurs violons qu’il faut recourir à la protestation qui devrait être le dernier recours. Et ceci doit se faire après une large concertation et doit recueillir l’avis favorable de tous. Mais lorsque les mouvements se font de façon éparse et que les responsables étudiants ne maîtrisent pas aussi les contours des revendications, la lutte devient inutile et perd tout son sens. Pour preuve, le décret N°2008-802 du 31 décembre 2008 aujourd’hui querellé, et responsables étudiants et autorités rectorales n’avaient aucune idée du contenu de ce décret, source de tension ces derniers jours sur le Campus universitaire d’Abomey-Calavi. Alors, il serait impérieux que les responsables étudiants s’approprient d’abord les revendications avant d’aller à la protestation qui doit être le dernier recours après avoir privilégié le dialogue.

Affrontements entre forces de l’ordre et étudiants dans les universités publiques
Quand la question des franchises universitaire déchaîne les passions

Il est un secret de polichinelle que pour un oui ou un non, les recteurs des universités publiques du Bénin font recours aux forces de l’ordre publiques, pour, disent-ils, rétablir l’ordre et garantir la sécurité des personnes et des biens. ‘’ En cas d’un mouvement de protestation, des étudiants posent des actes de vandalisme. Ils détruisent les infrastructures érigées à grands frais et agressent leurs camarades qui ne se retrouvent pas dans ce mouvement’’, telle est la bien triste célèbre phrase qui circulent sur les lèvres de nombre d’autorités rectorales depuis plusieurs années déjà. Même le vent de la démocratisation qui a soufflé sur ces universités publiques, n’a pas emporté les violents affrontements entre forces de l’ordre et étudiants dans les universités publiques du Bénin. En réalité, avec le temps, l’on se rend compte que la descente des forces de l’ordre publiques crée plus d’actes de vandalisme qu’elle n’empêche. Mieux, cette descente souvent musclée des forces de sécurité publique laisse derrière elle, plusieurs cas de blessés graves et même de corps sans vie (le cas d’un policier à l’Uac). Et pour cause. A tort ou à raison, les étudiants considèrent la présence des hommes en uniforme sur le campus comme une violation de leur territoire.
Cette conception les amène bien souvent à s’organiser pour défendre ce territoire. L’objectif visé par le rectorat n’est donc plus atteint, les étudiants ne reculent presque souvent pas devant la horde de policiers qui débarquent sur le campus. Ces derniers, ne pouvant pas supporter l’affront et ayant reçu mandat pour rétablir l’ordre le font de la pire des manières. Les conséquences sont souvent dramatiques. Hélas, les autorités rectorales et au-delà ministérielles n’ont pas encore compris qu’il faut revoir l’approche.

Victor Topanou, professeur de droit à l’Université d’Abomey Calavi
« Le principe des franchises… est la non violation du campus par les forces de l’ordre »

Qu’entend-on par violation des franchises universitaires ?
Le principe de la franchise universitaire veut dire ni plus ni moins que le service d’ordre et de police sur le campus doit être assuré exclusivement par les services du rectorat ou de la présidence de l’université en fonction de la structure chargée d’organiser l’université. Autrement dit, l’université n’est pas comme une place publique de la ville où par exemple lorsqu’il y a trouble, on fait automatiquement appel aux forces de l’ordre. Le principe de la franchise une fois de plus revient à consacrer, la non violation du campus universitaire par les forces de l’ordre. En conséquence de quoi, l’ordre et les services de police doivent être garantis par des services spécifiques de l’université. Ça, c’est le principe. Maintenant, il peut arriver qu’il y ait des troubles qui dépassent les capacités d’organisation des services d’ordre et de police de l’université, ce n’est qu’à ce moment et à ce moment seulement que le rectorat peut faire appel aux forces de l’ordre, mais dans ces conditions, c’est le recteur qui réquisitionne les forces de l’ordre avec un texte bien clair sur les missions qu’on leur attribue etc. Sinon, fondamentalement, ce n’est pas la présence des militaires sur le campus qui est combattue. Elle n’est combattue que lorsqu’elle est faite sans la demande de l’université.

Donc, seule la responsabilité du rectorat est engagée lorsque les forces publiques posent des exactions à l’Université.
Toutes les fois où l’université demande, ce n’est plus une violation des franchises et donc le problème qui est ici est de savoir si le rectorat a lui même organisé ses forces de l’ordre et de police pour garantir la sécurité sur le campus. Mais s’ils ne le font pas et que de façon systématique, ils sont obligés de faire appel à la police ou aux forces de l’ordre publiques, évidemment, il y a un problème. Donc la responsabilité du rectorat se situe dans sa capacité ou non à organiser lui-même ses forces d’ordre et de police sur le campus. C’est de ça qu’il s’agit fondamentalement. Vous comprenez que quand le rectorat est obligé chaque fois de faire appel aux gendarmes, ceux-ci n’ont pas demandé à venir, donc la responsabilité première incombe au recteur et au recteur tout seul. Les forces de l’ordre peuvent venir rétablir l’ordre chaque fois que c’est sur demande du recteur. C’est pourquoi, on doit s’adresser au recteur pour lui dire, mais quand-est ce que vous ferez respecter la franchise universitaire, autrement dit, quand-est ce que vous-même, vous mettrez en place les services d’ordre et de police spéciaux de l’université pour qu’on ne soit plus obligé de faire venir les forces publiques. C’est en fait le vrai débat. Il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur les militaires ou les policiers. Ils ne sont pas allés d’eux-mêmes. En tout cas, pour ce que je sais, ils ne peuvent pas rentrer sur l’université sans la demande du recteur. Parce que même si d’eux-mêmes, ils veulent venir, ils ne peuvent pas. C’est ça le deuxième sens des franchises. Il faut nécessairement que ce soit le recteur, et même avant qu’ils n’aillent, il faut nécessairement qu’ils aient le texte de la réquisition.

Mais à l’université, il existe des services d’ordre tels que la police universitaire ?
Mais apparemment, on n’y fait pas appel. C’est à ça que le recteur devait fait appel en premier. Peut-être qu’il est conscient qu’ils ne sont pas efficaces. Peut-être qu’il est conscient qu’il ne leur est pas donné les moyens nécessaires pour faire le travail, qu’il n’a pas veillé à leur organisation, c’est ça les vraies questions qui auraient dû être posées en amont pour éviter ce qui se passe aujourd’hui.

Peut-on donc dire que la Cour constitutionnelle à raison, en déclarant qu’il n’y a pas violation des franchises universitaires quand le rectorat fait recours aux forces de sécurité publiques pour rétablir l’ordre ?
Je pense que la Cour constitutionnelle a pris des ailes depuis quelques années et s’intéresse à des questions qui ne relèvent même pas de sa compétence. Il faut dire que constater la violation de la franchise ne relève pas directement de la violation des droits de l’homme. Elle devait déclarer son incompétence et renvoyer les étudiants qui l’ont saisie vers les juridictions compétentes. Je pense notamment à la chambre administrative de la Cour suprême. Malheureusement, vous savez, je fais partie de ceux qui pensent que notre Cour constitutionnelle, depuis quelques années, perd en crédibilité en voulant toucher à tout et à rien. Donc, ça fait partie à mon sens d’une décision regrettable.

Extrait de la décision Dcc 12-138 du 28 juin 2012 au sujet de la violation des franchises universitaires

La Cour Constitutionnelle,
Saisie d’une requête du 04 décembre 2009 enregistrée à son Secrétariat le 07 décembre 2009 sous le numéro 2176/ 182 /REC, par laquelle Messieurs Alexis Donald ACAKPO, Fidèle E. HOUINSOU et André Yaovi ASSE respectivement président de la Fédération Nationale des Etudiants du Bénin (FNEB), de l’Union Nationale des Etudiants du Bénin (UNEB) et de l’Union Nationale des Scolaires et Etudiants du Bénin (UNSEB) portent plainte pour violation des franchises universitaires ; ….

Après en avoir délibéré,
Considérant que cependant, ladite requête faisant état d’atteinte aux droits de la personne humaine, notamment la liberté de circuler, d’expression et d’enseigner, il y a lieu pour la Cour de se saisir d’office, et ce, en vertu de l’article 121 alinéa 2 de la Constitution ;
Considérant qu’aux termes de l’article 23 de la Constitution : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion et d’expression dans le respect de l’ordre public établi par la loi et les règlements. L’exercice du culte et l’expression des croyances s’effectuent dans le respect de la laïcité de l’Etat.
Les institutions, les communautés religieuses ou philosophiques ont le droit de se développer sans entraves. Elles ne sont pas soumises à la tutelle de l’Etat. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome. » ; qu’il résulte des éléments du dossier que si les franchises universitaires sont édictées pour le respect des libertés individuelles et collectives des différents acteurs de l’Université, il reste que l’exercice desdites libertés ne doit pas porter atteinte à l’ordre public ; qu’en cas de trouble à l’ordre public, l’autorité en charge de l’Université a le pouvoir de requérir la force publique pour faire rétablir la paix et la sécurité ; que dans le cas d’espèce, le Recteur de l’Université d’Abomey-Calavi a fait appel aux agents des forces de l’ordre pour faire cesser les scènes de terreur, de jets d’œufs pourris, des chicottes sur les lieux de délivrance des cartes d’étudiant ; qu’en agissant comme il l’a fait, le Recteur de l’Université d’Abomey-Calavi n’a pas violé les franchises universitaires ; qu’il y a donc lieu pour la Cour de dire et juger qu’il n’y a pas violation de la Constitution ;

DECIDE :
Article 2 : La Cour se prononce d’office en vertu de l’article 121 alinéa 2 de la Constitution.

Article 3 : Il n’y a pas violation de la Constitution.

Ont siégé à Cotonou, le vingt huit juin deux mille douze,

Monsieur Robert S. M. DOSSOU Président
Madame Marcelline C. GBEHA AFOUDA Vice-président
Messieurs Bernard Dossou DEGBOE Membre
Théodore HOLO Membre
Zimé Yérima KORA-YAROU Membre
Madame Clémence YIMBERE DANSOU Membre
Monsieur Jacob ZINSOUNON Membre

Le Rapporteur, Le Président,

Zimé Yérima KORA-YAROU Robert S. M. DOSSOU

De la nécessité de repenser la mesure

Le gouvernement, à la veille de la rentrée académique 2008-2009, a pris une décision de grande ampleur. Dorénavant, les frais d’inscription dans les Universités nationales sont gratuits pour les étudiants non boursiers, non secourus non salariés et sont à la charge de l’Etat Béninois. Cette décision accueillie avec beaucoup de ferveur dans le rang des étudiants va très vite montrer ses limites et entraîner des difficultés. ‘‘La mesure sociale’’ au dire du gouvernement, vise à donner aux bacheliers les plus démunis, la chance de franchir les portes d’une Université et donc, de bénéficier d’une formation d’élite. Seulement, la cartographie des universités du Bénin à la date de l’annonce de la décision est très pauvre. En clair, nos Universités, alors au nombre de deux, ne disposaient que de petites capacités d’accueil et presque pas d’infrastructures. Aucune disposition n’a été prise pour préparer nos universités à leurs responsabilités futures et aucune mesure n’a non plus suivi pour porter les actions à la hauteur des nouveaux challenges. Après deux années d’expérimentation, les Universités se sont retrouvées confrontées aux problèmes tels que : l’accroissement des groupes pédagogiques, le manque d’amphithéâtres, et de professeurs, de laboratoires et de matériels. L’autre problème, c’est que les subventions du gouvernement, proportionnelles au nombre d’étudiant inscrit sont payées en partie. Ce qui aggrave les difficultés d’acquisition des matériels didactiques, de préparation des évaluations (feuilles de composition, personnel de surveillance …), de réactifs de labo, les livres, les salaires des professeurs vacataires. La formation d’une élite a un coût, reconnaissent les professionnels de l’enseignement supérieur. La mesure de prise en charge ne permettra pas un enseignement de qualité, surtout à l’ère où les Universités se sont engagées dans le système Lmd. Même les Universités les plus prestigieuses au monde fonctionnent sur le système d’octroi de bourse d’étude. Sans remettre en cause la volonté du gouvernement de donner une éducation d’élite à la jeunesse, il urge de revoir la mesure. Il faut penser à construire d’autres Universités et à les équiper en matériels et infrastructures mais aussi en personnel enseignant qualifié. Il faut aussi versement en intégralité des subventions pour permettre le fonctionnement administratif de ces hauts lieux de savoir. Mais tout porte à croire que le bout du tunnel n’est pas pour demain.



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