Sri Lanka : le président en fuite, les bureaux du Premier ministre envahis par des manifestants

13 juillet 2022

Le président sri-lankais Gotabaya Rajapaksa, conspué par un fort mouvement populaire, a quitté son pays tôt ce mercredi 13 juillet à bord d’un avion militaire pour se rendre aux Maldives. Le Premier ministre, contesté lui aussi, a été désigné président par intérim par le Parlement.

Quelques heures après la fuite de son président, le Sri Lanka a déclaré l’état d’urgence pour faire face à cette situation exceptionnelle. « Le président ayant quitté le pays, l’urgence a été déclarée pour faire face à la situation dans le pays », a déclaré à l’AFP le porte-parole du Premier ministre, Dinouk Colombage.

Le président du Parlement a annoncé ce mercredi que le Premier ministre avait été désigné président par intérim. « En raison de son absence du pays, le président Rajapaksa m’a dit qu’il avait nommé le Premier ministre pour agir en tant que président, conformément à la Constitution », a déclaré Mahinda Yapa Abeywardana dans une brève allocution télévisée. Selon la procédure habituelle, le Premier ministre exercera ces fonctions jusqu’à l’élection par le Parlement d’un député qui exercera lui-même le pouvoir jusqu’à la fin du mandat en cours, c’est-à-dire novembre 2024.

Ranil Wickremesinghe demande à l’armée et la police de « faire le nécessaire pour rétablir l’ordre »
Mais ce mercredi, des milliers de manifestants ont montré leur opposition et ont pris d’assaut les bureaux du Premier ministre sri-lankais Ranil Wickremesinghe, selon des témoins. La foule a débordé les forces de l’ordre et est entrée dans le bâtiment, brandissant des drapeaux du pays, alors que la police et l’armée avaient tenté de les repousser avec des gaz lacrymogènes et des canons à eau. La foule réclame la démission du Premier ministre en même temps que celle du président. Les manifestants leur avaient d’ailleurs posé un ultimatum à 13h.

Dans une allocution télévisée, Ranil Wickremesinghe a demandé à l’armée et la police de « faire le nécessaire pour rétablir l’ordre ». Les protestataires « veulent m’empêcher de m’acquitter de mes responsabilités de président par intérim », a-t-il ajouté. « Nous ne pouvons pas permettre aux fascistes de prendre le pouvoir. »

Le désormais ex-président sri-lankais Gotabaya Rajapaksa est accusé d’avoir mal géré l’économie, menant à l’incapacité du pays, en manque de devises étrangères, à financer les importations les plus essentielles à une population de 22 millions d’habitants. Colombo a fait défaut sur sa dette extérieure de 51 milliards de dollars en avril et est en pourparlers avec le FMI pour un éventuel renflouement. Le Sri Lanka a presque épuisé ses réserves d’essence. Le gouvernement a ordonné la fermeture des bureaux non essentiels et des écoles afin de réduire les déplacements et d’économiser du carburant.
Sentiments mitigés

Parmi les Sri Lankais, les sentiments sont très partagés après la fuite du président, rapporte notre envoyé spécial à Colombo, Côme Bastin. Pour certains, ce n’est pas vraiment une surprise, car l’ex-président avait déjà tenté de fuir mardi. Pour d’autres, c’est un soulagement car cela confirme qu’il va bien démissionner. Mais certains habitants sont aussi en colère parce qu’ils jugent que Gotabaya et son clan auraient mérité un procès pour leur corruption et leur autoritarisme et vont ainsi y échapper. Surtout, les Sri Lankais savent que le départ du président n’est qu’une première étape vers la formation, très complexe, d’un gouvernement provisoire.

Certains pays sont prêts à aider le Sri Lanka mais pas avec une telle instabilité politique. Il y a des gens qui aimeraient investir au Sri Lanka, mais tant que ces voleurs de Rajapaksa seront au pouvoir, il ne se passera rien.

« C’est une situation très incertaine, car le président a dit qu’il allait démissionner, mais il n’a pas officiellement démissionné, réagit un Sri Lankais, au micro de notre envoyé spécial Sébastien Farcis. Donc, on ne sait plus qui dirige le pays. Ce président n’a jamais été là pour répondre aux demandes de notre mouvement de protestation, et maintenant, il fuit. C’est clair qu’il a peur. C’est la première fois qu’un président fuit le Sri Lanka ainsi. »

Gotabaya Rajapaksa, accompagné de son épouse et d’un garde du corps, a atterri ce mercredi matin aux Maldives où il a été conduit sous escorte policière vers une destination encore inconnue. Le dirigeant de 73 ans, qui a promis de démissionner pour une « transition pacifique du pouvoir », avait quitté un peu plus tôt le Sri Lanka à bord d’un Antonov-32 de l’armée de l’air. Selon des sources aéroportuaires, l’appareil a été retenu pendant plus d’une heure sur le tarmac de l’aéroport dans l’attente d’une autorisation d’atterrir aux Maldives.

Un vaisseau de la marine avait été utilisé pour transférer le chef de l’État samedi du palais présidentiel assiégé par les manifestants au port de Trincomalee, dans le nord-est du pays. Dans cette fuite, le président sri-lankais a laissé derrière lui une valise remplie de documents et 17,85 millions de roupies (49 000 euros) en liquide, désormais sous scellés.

Il avait ensuite rejoint lundi en hélicoptère l’aéroport international de Colombo. Mais mardi, les responsables de l’immigration lui avaient refusé l’accès au salon VIP pour faire viser son passeport, alors que le chef de l’État voulait éviter le terminal ouvert au public, craignant la réaction de la population.

Le chef de l’État et sa femme avaient passé la nuit de lundi à mardi dans une base militaire proche de l’aéroport international après avoir manqué quatre vols qui auraient pu les conduire vers les Émirats arabes unis. Son plus jeune frère Basil, qui a démissionné en avril de son poste de ministre des Finances, a aussi manqué son avion pour Dubaï après une confrontation similaire avec l’immigration.

Le principal parti de l’opposition prêt à prendre le pouvoir
Dans l’attente de la transition, le principal parti d’opposition, le SJB, se prépare à prendre le pouvoir et a entamé des discussions avec les manifestants. Comptant un quart des députés de l’Assemblée, il est la deuxième force derrière la formation des Rajapaksa et est également bien vu par les manifestants, car il a toujours refusé de collaborer avec le président.

Si le Premier ministre démissionne dans les jours qui viennent, comme envisagé par la suite de la démission éventuelle du président, le SJB devrait donc former un nouveau gouvernement, rapporte notre envoyé spécial à Colombo, Sébastien Farcis. « Notre objectif est de former un gouvernement d’union nationale, qui rassemblera l’essentiel des partis, afin de faire sortir le pays de la crise, explique Tissa Attanayake, député de ce parti. Et au bout d’un an, nous appellerons à de nouvelles élections. »

Le député assure que son parti demandera des comptes aux anciens dirigeants : « Nous avons commencé à travailler sur les poursuites que nous pouvons entamer contre les Rajapaksa. Nous allons demander une assistance internationale pour cela, et en attendant, nous faisons tout pour qu’ils ne puissent pas quitter le pays. »
Source : rfi



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