Cour constitutionnelle : Champ de bataille entre réformistes et conservateurs

Arnaud DOUMANHOUN 13 septembre 2019

Regards croisés. Le juge constitutionnel est à l’épreuve du temps. Après 29 ans de vie démocratique, les sages de la Haute juridiction soumettent à dessein, l’institution dont ils ont la charge à un exercice peu ordinaire : le jugement de leurs pairs. Il ne s’agit pas ici d’un bilan du chemin parcouru, mais d’un débat scientifique sur les réformes entreprises depuis quelques mois, à la Cour constitutionnelle du Bénin par l’équipe que préside le professeur Joseph Djogbénou, qui se veut réformiste. « Certaines décisions du juge constitutionnel béninois ont en effet ébranlé bon nombre de juristes africains dans leur certitude scientifique. Pour d’autres, il s’agit plutôt d’une révolution jurisprudentielle constitutionnelle… ». Un décor planté par le président du Conseil d’administration de l’association africaine des hautes juridictions francophones, Ousmane Batoko à l’ouverture des travaux du colloque international de Cotonou, qui peint à suffisance l’image que présente aujourd’hui cette prestigieuse institution.
Au plan interne, le professeur Joël Aïvo qui avait déjà relevé comme handicap, l’absence d’un constitutionnaliste dans l’équipe de Joseph Djogbénou, s’est très vite illustré, face à la réforme des audiences publiques, dites de mise en état, instaurées par l’actuelle mandature. « La justice constitutionnelle n’est pas la justice judiciaire. La Cour constitutionnelle n’est pas le tribunal de première instance », avait-il dénoncé. Le principe de contradiction avait toujours existé à la Cour. D’ailleurs, dans la mise en œuvre de cette réforme de la nouvelle mandature, en cas d’absence d’une partie à cette audience, la Cour admet encore un mémorandum. Les sachants ne s’accordent pas également sur la réforme de l’audience publique consacrée à la délibération. La Cour constitutionnelle doit-elle se comporter comme une juridiction ordinaire ? En tout cas, l’équipe de Joseph Djogbénou s’est fait sa religion. Lors de son dernier passage sur la télévision nationale, il a clairement fait savoir que le droit ne devrait pas satisfaire le fantasme des juristes.
Ces derniers mois, la mandature actuelle de la Haute juridiction a aussi mis les pieds dans les plats, en ce qui concerne sa jurisprudence. En remettant en cause plusieurs décisions de l’équipe sortante, présidée par le professeur Théodore Holo, le juge constitutionnel a nourri bien d’incertitudes.
C’est donc dans ce contexte empreint de suspicions que les assises de Cotonou se tiennent sur le thème : « la Cour constitutionnelle entre rupture et continuité ». Ce qui suscite à juste titre des interrogations chez Ousmane Batoko : « Je me suis interrogé sur les motifs qui pourraient sous-tendre l’organisation de ce présent colloque, après 15 mois du début de la nouvelle mandature de la Cour. Serait-ce pour se donner bonne conscience des actes posés ou des décisions prises sur lesquelles elle souhaiterait obtenir la validation ou l’onction des pairs ? Serait-ce pour se conforter dans les légitimations publiques ou tout au moins collectives d’une nouvelle approche du dynamisme décisionnel de la juridiction constitutionnelle quelle que soit la nature de la décision ? ».
En réalité, c’est un débat d’école et, il est à craindre que ces assises ne changent rien à la nouvelle dynamique imprimée par l’équipe Djogbénou. Le Bénin est dans la rupture, la Cour constitutionnelle s’est alignée.



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