Noureini Tidjani-Serpos sur la restitution des biens culturels : « Le Bénin est prêt à accueillir les 26 œuvres et celles à venir »

Arnaud DOUMANHOUN 21 août 2019

Les 26 œuvres culturelles en attente d’être restitués par la France au Bénin se font toujours attendre. Cependant, le comité chargé du processus travaille d’arrache pieds pour qu’il en soit ainsi. Au cours de sa conférence de presse hier, le Président dudit comité, le Professeur Nouréini Tidjani-Serpos a renseigné sur l’état de la coopération entre la France et le Bénin en ce qui concerne la restitution des biens culturels. Il a surtout martelé que le Bénin est prêt à accueillir les 26 œuvres et celles à venir.

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L’objectif est d’informer le public sur le travail du comité, de renseigner sur l’état de la coopération entre la France et le Bénin pour voir l’état de la coopération muséale et patrimoniale entre les deux pays. C’est aussi de montrer de manière claire et nette que le Bénin est prêt à accueillir les 26 œuvres et celles à venir. Si par hasard vous apprenez quelque part que le Bénin n’est pas encore prêt, nous qui sommes du comité chargé du retour de ces œuvres, nous vous disons catégoriquement que le Bénin est prêt. Les esprits de notre pays sont prédisposés au retour sur la terre béninoise des 26 œuvres que le Président Macron nous a promis dans un premier temps. Notre comité n’est pas mis sur pieds uniquement pour les 26 œuvres. Il s’agit dans le futur de continuer dans un cadre amical et fraternel à demander à la France le retour et la restitution de nos œuvres. Mais tout de suite, les 26 œuvres nous intéressent énormément.
Ce comité a été installé officiellement le mardi 18 septembre 2019. Nous allons bientôt faire le rapport au Chef de l’Etat pour lui dire tout ce qui a été fait. Tout d’abord, nous allons parler de la structuration préalable du comité. Quand vous mettez en place un comité, il y a un règlement intérieur et tout un chronogramme à mettre en place, les discussions pour lancer le débat sur le retour des œuvres. Il faut également mettre en place une feuille de route, informer du contenu sur les attributions du comité et s’assurer que la coopération muséale et patrimoniale entre la France et le Bénin se met doucement en place. Il faut établir une modalité de réalisation d’un inventaire et mettre en place un partenariat et une forme de négociation.
D’entrée de jeu, nous nous sommes dit que les relations entre la France et le Bénin ont été depuis toujours sereines. C’est sur cette base de sérénité, d’amitié et de coopération que nous allons travailler avec les autorités françaises. Que ce soit avec l’Ambassade ici au Bénin ou avec les autorités françaises que nous recevons, c’était clair que les termes et les modalités sont « Partenariat » et « Négociation ». Le comité a donc conseillé le Gouvernement dans le cadre des négociations sur la restitution des biens culturels et plus généralement sur la question de la coopération muséale et patrimoniale entre la France et le Bénin. Nous avons demandé que ce soit quelque chose de calme et de lisible.
A partir de ce moment, le comité a participé aux séances de travail avec la partie française à Cotonou. Chaque fois qu’il y a une délégation du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, du ministère français de la culture et du Musée du Caire Jacques Chirac, nous étions toujours là pour discuter et essayer de voir les voies et moyens d’avancer. Nous avons été à Paris pour assister à des colloques sur la restitution des œuvres. Quand il y a des occasions de discussions, nous demandions à nos ministres des affaires étrangères et de la culture d’être toujours présents. Il en est de même de notre ambassadeur à Paris. Il faut ajouter que le Comité a également conseillé le Gouvernement en ce qui concerne le Projet de déclaration d’intention qui sera signé prochainement entre la France et le Bénin. Ce projet de déclaration a pour but d’encadrer la restitution des 26 œuvres annoncées ainsi que des restitutions futures. Le comité insiste beaucoup sur les 26 œuvres mais nous pensons que le Bénin devrait aller au-delà et penser à la restitution des œuvres futures.
Le comité a également continué de réfléchir et de définir le cadre muséal de coopération patrimoniale. Si vous faites attention, depuis notre indépendance, la plupart de nos muséographes, muséologues, bibliothécaires, archivistes et autres sont tous pratiquement partis à la retraite. Nous n’avons fait aucun effort de renouvellement. Donc, nous avons pensé à comment faire pour qu’il y ait échanges d’expériences, pour que de nouveaux professionnels émergent dans la Nation, pour que le savoir-faire, les inventaires, les dispositifs législatifs puissent émerger à nouveau. Nous allons œuvrer pour que dans le domaine de la muséologie et de la muséographie, dans le domaine des spécialistes d’expositions, de circulations d’œuvres, de formation et de financements, notre pays puisse à nouveau émerger et avoir des spécialistes.
Le comité a aussi travaillé dans le domaine juridique parce que vous ne pouvez pas prendre les biens culturels comme cela. C’est protégé par des lois, même si ce sont des lois injustes. Il faut donc avoir des spécialistes des conventions comme Unidroit, de l’Unesco, etc. qui maîtrisent ces lois pour aider le pays à reprendre les biens culturels volés ou illicitement exportés.
Par exemple, en ce qui concerne Unidroit, le comité a fait le travail de sorte que ça soit envoyé en Conseil des ministres. Le texte se trouve actuellement à l’Assemblée nationale pour étude et avis. C’est après cela que le Chef de l’Etat peut saisir le Gouvernement italien pour demander qu’il soit ratifié. C’est un travail délicat. Vous ne pouvez pas aller sur la place publique pour dire que les textes sont envoyés au Gouvernement, que c’est en cours d’étude au parlement, etc. C’est un travail véritablement de fourmi mais ça avance.
Le comité a aussi participé à des réunions notamment des rencontres de la Cedeao sur le retour des biens culturels. Le comité a aussi participé à l’atelier de l’Union Africaine sur la loi type sur la protection du patrimoine. Il faut souligner que dans ce cas précis, le Bénin a joué un rôle pionnier. Le Chef de l’Etat a pris le lead et a fait en sorte que les éléments pour le retour des biens culturels pour le Bénin soient très en avance. Nous avons eu plusieurs propositions des Etats de la sous-région. Des Etats membres comme le Sénégal nous ont demandé de tout mettre dans le même panier et avancer. Nous avons dit que nous étions totalement solidaires du reste de l’Afrique. Mais pour une fois que nous avons le leadership, nous allons le garder. Nous avons demandé aux autres de suivre notre exemple. Nous sommes prêts à aider mais nous ne sommes pas prêts à attendre que les autres nous rejoignent. Ici, que ce soit au niveau de la Cedeao ou de l’Union Africaine, le Bénin est très en avance. Ça fait toujours plaisir de le savoir. Nous pouvons aujourd’hui partager des expériences dans le domaine de la protection du patrimoine et de la valorisation de la culture, de l’action concertée et de la mise en commun des ressources pour développer des infrastructures et des industries culturelles.
Vous savez que les œuvres d’art qui sont parties étaient avant la propriété de nos chefs traditionnels. Ils estiment qu’il est temps de les ramener. Quand ils se réunissent, ils souhaiteraient avoir leur assemblée. Ils veulent une sorte de sénat, un endroit où les questions concernant la Nation puissent être débattues. Donc, le comité doit bientôt faire le tour de la nation pour rencontrer ces autorités traditionnelles sur la question de la restitution des biens culturels. Et cela doit se faire dans les semaines à venir.
Nous sommes également en train de préparer en direction du Président de la République de recommandations fortes. Ce n’est pas parce que nous avons eu de l’avance sur les autres pays que nous allons dire que nous avons déjà gagné la bataille. Ce serait une erreur. Et le comité a eu l’impression, notamment avec les dernières élections, que la lutte pour le retour des œuvre était devenu une sorte de bataille secondaire. Nous allons bientôt rencontrer le Chef de l’Etat pour lui dire que ce serait une erreur. Je crois que la bataille est gagnée sur le plan médiatique, mais pas sur le plan du vrai retour des œuvres d’art. Il faut que la bataille continue.
Vous vous souvenez que, après la rencontre du Chef de l’Etat avec le Président français, il y a eu la mise sur pied de la commission ‘’Savoir ça’’. Cette commission a pu remettre le vendredi 23 novembre 2018 des recommandations très fortes. De ce rapport, il est clair que le Bénin est prêt à accueillir les œuvres d’art. Dans le rapport, il était prévu que nous allions recevoir 11 œuvres. Mais le président Macron a fait passer le nombre d’œuvre de 11 à 26. N’oubliez pas que c’est à Lagos qu’il avait fait son stage de l’Ena et qu’il venait régulièrement au Bénin. Il a dit que la restitution doit se faire immédiatement. Et c’est pour cela que nous devons faire très attention, lorsque les rumeurs disent qu’il faut des dispositions avant d’accueillir les œuvres. Dans ce domaine, on n’attend jamais. Il faut prendre d’abord avant de demander un peu plus. Il est extrêmement important de savoir que les rumeurs nuisent. A Paris, nous n’avons pas que des amis. Il y a des gens qui ne veulent pas que les œuvres bougent. Alors si nous divulguons ces rumeurs à travers les médias, cela ne va pas nous arranger.
Le Gouvernement du Bénin attend donc de recevoir la communication officielle des 26 œuvres d’art. Le comité a énormément apprécié le fair play du Président Macron. Il l’a fait savoir au Gouvernement. Le Chef de l’Etat Talon a écrit au président Macron pour le remercier. J’ai adoré la dernière partie de la lettre qui dit : « Nous vous attendons toujours plus. Mais allons d’abord dire Merci pour ce qui a été promis ». Cet esprit d’ouverture et de sincérité nous a ragaillardis au niveau du comité et nous avons continué à travailler.
Très bientôt, nous allons signer une convention, et cela va nous permettre d’aller encore plus loin. Lorsque notre ministre des affaires étrangères ira prochainement à Paris, il va signer une lettre d’intorsion qui permettra d’aller encore plus loin. Mais ce qui est sûr, je suis le Président d’un comité qui a faim et qui a soif. Avons-nous des attentes particulières ? La réponse est claire : C’est Oui. Est-ce que nous voulons que ces œuvres arrivent tout de suite ? Notre réponse est catégoriquement Oui. Ces œuvres étaient quelque part avant qu’elles ne partent. Qu’on ne nous dise plus que les termites vont les manger, si elles arrivent chez nous. Si les termites et les mites ne les ont pas mangés au moment où le Général Dodds les emportait, ce n’est pas maintenant qu’elles seront détériorées. Le comité a sa façon de souffler sur les œuvres pour que les termites et les mites ne s’approchent pas.
Donc, cette première restitution est importante. Mais il faut surtout que vous nous aidiez à expliquer. Les œuvres qui arrivent ne sont pas des œuvres d’Abomey ou de Bohicon. Le Bénin se bat pour que les œuvres qui arrivent soient des œuvres nationales. Ce sont des œuvres qui vont circuler dans la nation. C’est extrêmement important. Il faut que ce soit clair que ce qui arrive est à nous tous. Et nous devrions être très fiers de cela. Et quand ces œuvres seront là, nous ferons en sorte que ces œuvres puissent circuler à travers le pays, même s’il n’y a pas encore une infrastructure pour l’abriter. Je veux que les enfants de Djougou, de Malanville puissent voir ces œuvres, même si elles seront protégées par des militaires. Je veux que ça aille à Bassila, Bantè… il faut que les enfants et les jeunes sachent que c’est leur propriété. Ce n’est la propriété d’aucune région. Ainsi, nous allons bâtir le sens de l’identité nationale et que ça circule. Et quand ça va arriver à Cotonou, je veux être le premier à enlever la poussière sur ces œuvres. Il ne faut pas seulement une propriété d’Abomey. C’est un patrimoine national. Il faut que nous puissions avoir cette force de l’unité. Lorsqu’elles arriveront dans la région de Kétou, je souhaiterais que les frères de cette localité ne disent qu’elles appartiennent aux Fons. Il faut qu’ils disent c’est une œuvre nationale. Il faut qu’on puisse aider et créer ce sentiment de fierté.
Mais nous souhaitons que, parmi les 26 œuvres, il y ait Ogou, le dieu du Fer. Parce que ce dieu n’est pas n’importe lequel. Ce n’est pas seulement le dieu des chasseurs et des guerriers. Dans notre culture, le fer, c’est la créativité. C’est avec le fer que le cultivateur crée, laboure les champs, coupe les arbres, élague. C’est un dieu de la créativité et c’est le dieu des poètes. Donc, dans nos demandes, je souffle toujours que Macron ajoute ce dieu aux 26 œuvres. C’est un dieu de la créativité, de la force et de l’énergie. Peut-être que la 27ème œuvre devrait être ce dieu du fer.



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