Pourquoi financer les partis politiques avec l’argent du contribuable ?

29 janvier 2021

Un parti politique a pour rôle de contribuer à l’animation de la vie politique et pour objectif la conquête et l’exercice du pouvoir. Il participe à la professionnalisation de la vie politique en sélectionnant et en préparant les élites politiques aspirant à gouverner. Pour accéder ou se maintenir au pouvoir, les partis doivent disposer d’une certaine capacité financière pour entre autres la conquête du pouvoir en dehors et au sein même du parti ; la formation des adhérents ; l’animation de la vie publique ; la campagne électorale, etc. La politique coûte cher dans bien de pays. Selon un rapport du Netherland Institute for Multiparty Democracy, « un candidat aux élections législatives au Bénin dépense en moyenne 40.300.000 FCFA » . Pour la présidentielle de 2015 au Nigéria, pour être candidat aux primaires au sein de son parti , le Président Buhari a dû payer le formulaire de candidature à 27.5 million de naira . Officiellement, pour la couverture médiatique de sa campagne l’ex-président Goodluck Jonathan a dépensé plus de 8 milliards de naira et le président Buhari un peu moins de 3 milliards de naira.
Dans beaucoup de pays, il n’y a pas de réglementation sur le financement public des partis et les membres qui cotisent sont peu nombreux. Au contraire, en Afrique notamment, il est attendu des acteurs politiques de rétribuer votes et adhésions au profit du parti. Ainsi, du fait de cotisations marginales des adhérents, la survie financière du parti repose sur une poignée de personnes. Lorsque pour une élection majeure l’argent n’est pas disponible au sein du parti, le financement privé à travers le soutien de bailleurs extérieurs au parti est la solution. Ces derniers jouent de ce fait, un rôle prépondérant dans la stratégie de conquête du pouvoir mais aussi par la suite dans la gestion du pouvoir. Sans ces ‘’faiseurs de rois’’, certains candidats ne pourraient pas accéder à la magistrature suprême. Une fois élus, ils peuvent devenir si tributaires de leurs ‘’sauveurs’’ que la gouvernance en pâtie dans la mesure où postes politiques et marchés publics constituent la ‘’contrepartie’’. La forte dépendance de la vie politique à l’argent crée en outre un déséquilibre entre les différents acteurs politiques. Seuls ceux ayant de l’argent sont visibles ou à même d’engager des activités à l’endroit du peuple. Cela participe également à l’affaiblissement du parti au profit d’individus internes ou externes au parti. L’argent prime sur la compétence et la qualité des acteurs. En outre, les questions de corruption politique et de contrôle des dépenses des acteurs politiques dans la conquête du pouvoir se posent avec acuité. De plus, les ‘’petits’’ partis sont défavorisés face aux ‘’grands’’ et ceux de l’opposition face à ceux au pouvoir.

La volonté de rationaliser les coûts de la vie politique pousse à légiférer en faveur d’un financement public des partis. Ce dernier vient comme un mécanisme pour sauver les partis, garantir leur contribution de qualité à la démocratie et réduire la mauvaise gouvernance. Il est ainsi alloué aux partis avec des critères bien définis tels que la participation aux élections, la justification des dépenses, le nombre d’élus, etc. Au Bénin, le financement public est réservé aux partis ayant des élus avec une enveloppe de 3 milliards de FCFA par an (40% au prorata du nombre de députés et 60% au prorata du nombre de conseillers communaux). En 2020, les aides publiques en France de 66 millions d’euros étaient destinées au financement des partis et groupements en fonction de leurs résultats aux élections législatives d’une part et d’autre part au financement des partis et groupements représentés au Parlement. En Belgique, le financement public est réservé aux partis politiques représentés dans les deux assemblées. Il est toutefois difficile de connaître la clé de répartition dudit financement au sein du parti (activités centrales et communes, activités des candidats aux élections, etc).
Dans certains pays, le financement public n’est pas toujours bien perçu car certains citoyens estiment que les moyens limités dont dispose l’Etat doivent être mis dans des secteurs prioritaires tels que l’éducation, la santé, le développement plutôt que dans le financement des partis politiques pour diverses raisons : le financement public peut être détourné et être octroyé uniquement aux partis proches du pouvoir ; en cas d’élections exclusives seule une partie des acteurs sera élue et pourra bénéficier de l’aide publique ; le financement public est source de clientélisme politique, etc.
Dans son article « Scandaleux, les fonds publics que se partagent les partis politiques », Nelson Zimi a dénoncé le financement public des partis en Côte d’Ivoire en 2017 de 6,5 milliards de FCFA en estimant qu’ils sont « sans valeurs démocratiques ajoutées » et que l’argent était destiné « à une bande de fainéants qui ne se battent pas pour les citoyens ». Les financer selon lui reviendrait à un « racket en bande organisée ». Un autre aspect des réserves émises par certaines analyses sur le financement public des partis est le fait que l’argent du contribuable sert à financer des partis qu’il ne soutient pas politiquement ou idéologiquement. Au Ghana, le projet de loi sur le financement des partis introduit depuis 2008 n’est toujours pas passé car perçu notamment par les opposants comme une arme dangereuse. Au Mali, la société civile dénonce le fait que malgré que de « 2001 à 2018, les partis politiques de la majorité et de l’opposition ont reçu plus de 27 milliards de FCFA », des coups d’Etat sont survenus en 2012 et 2020 pour mauvaise gouvernance. Selon la société civile, c’est l’échec des partis dès lors que les élus sont issus de leurs rangs.
Il est important de retenir que le financement public des partis politiques répond à une logique de consolidation de la démocratie toutefois dans les pays notamment africains où les institutions sont faibles et les lois faiblement appliquées ou instrumentalisées, il est fondamental de mettre en place un système transparent avec des mécanismes de reddition des comptes et de sanction. Il est également important de respecter l’esprit de l’aide publique en évitant tout abus ou manipulation. Enfin, les montants alloués doivent rester raisonnables au risque de porter préjudice aux secteurs prioritaires et au contribuable.

Nadia NATA



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