Didier Hubert Madafimè, journaliste de l’Ortb à la retraite : « La radio a été le média qui, au début, a conduit les populations à la prise de conscience environnementale »

Moïse DOSSOUMOU 3 mai 2024

Je ne dirais pas que j’ai fait le choix d’être journaliste environnemental ou environnementaliste. En fait, le choix m’a été imposé. Cette question n’a pas été évoquée dans la presse, car au Bénin, on a commencé par s’intéresser à cette question après la création du Ministère de l’environnement et la création du Programme d’Assistance à la Protection de l’Environnement (Pasif). Dès la création de ces deux structures, la question pour les journalistes de l’époque était de savoir quoi faire pour soutenir cette initiative. C’est donc Célestin Mara qui a eu l’idée de créer un Desk Environnement. J’ai commencé par animer avec lui sans conviction, car nous n’avions pas les bonnes références pour faire ce travail. J’ai fait le Droit à l’université et le journalisme. Lui, il a fait un peu l’environnement, ce qui l’a tout de suite intéressé. Le déclic, c’est au moment où je suis allé à Banikoara en 1998. J’ai fait une mission avec plusieurs collègues. Et comme à l’époque, c’était déjà très difficile de vivre à Banikoara. On devrait rester 48 heures, mais on a fait 24 heures, et on est partis à cause de l’hostilité de la nature. Il faisait très chaud, tous les arbres ont été abattus pour le coton. J’ai réalisé un magazine dans lequel je parlais du coton. J’ai essayé de montrer que c’est une culture qui ne protège pas l’environnement. Alors à partir de là, le PASIF, qui accompagnait un peu les journalistes à l’époque, avait organisé un concours médias. Et c’est ce magazine que j’ai envoyé. A l’issue des délibérations, j’ai gagné le premier prix Radio, la meilleure émission radiophonique de l’environnement. Le soir là, on m’a remis un chèque de 500.000 FCFA. Au départ, je ne m’investissais pas pour sauver la planète. J’ai plutôt compris qu’en faisant des magazines, je pouvais améliorer la qualité de ma vie et celle des autres. Et puis, au bout de six mois, j’ai gagné un autre prix qui était organisé par Transparency International. J’ai gagné 700 000 francs.
Ainsi, en six mois, j’étais déjà à 1 200 000. Donc ça m’a poussé à me mettre à travailler comme un fou, à essayer de comprendre un peu ce qui se passait sur le domaine. Il n’y avait pas toutes les facilités que les gens ont aujourd’hui. Trouver un document dans le domaine de l’environnement était encore une petite bataille. Et puis un jour, j’ai suivi une délégation du PNUD pour aller à Songhaï. C’est cette visite de Songhaï qui a provoqué tout ce que je suis devenu. Parce que j’ai fait un magazine sur Songhaï où j’ai montré que le système pratiqué à Songhaï est un système fermé. J’ai montré les déchets d’une production qui deviennent la matière première d’une autre production. Alors quand j’ai fini, j’ai envoyé une cassette au PNUD. Celle-ci a aimé et m’a demandé de multiplier la cassette. Et puis un matin, on m’a appelé pour me demander si je voulais aller en Afrique du Sud pour faire une formation sur le journalisme environnemental. Voilà résumé comment j’en suis arrivé là. Ce n’était pas un choix décidé à l’avance. C’était pratiquement une effraction dans le domaine. C’est ainsi que j’ai participé à la formation à Cape Town en Afrique du Sud en 2001, et j’ai eu la chance de participer au Sommet de la Terre à Johannesburg en 2002. Quand j’ai suivi la première formation, j’ai demandé s’il était possible de créer un réseau africain de journalisme environnemental. Et c’est à ce moment que nous avons obtenu l’autorisation. J’étais avec un Sénégalais. Nous avons commencé à travailler, avec l’aide des gens du PNUD pour l’environnement. C’était ce que nous appelions auparavant, ANEJ (African Network Environnemental Journalist). C’est dans ce réseau que j’ai été formé, parce qu’il y avait la possibilité de voyager, de rencontrer d’autres collègues. J’ai été formé sur le tas, mais avec une volonté farouche de comprendre tout ce qui se passe autour des questions de l’environnement.
Un jour une dame m’a dit qu’il n’y a plus de vers de terre dans le nord, parce que les pesticides utilisés ont neutralisé ces vers de terre. Ensuite, j’ai demandé l’utilité des vers de terre. Et on m’a répondu en disant que les vers de terre permettent d’oxygéner le sol. C’est là que je me suis rendu compte que nous étions des criminels. Quand nous étions enfants, nous mettions le sel sur les vers pour les désintégrer. J’ai compris automatiquement que le journaliste que je suis, a fait un excellent travail pour aider la population à comprendre à quoi ressemble l’environnement. Parce qu’il n’y avait pas cela au début. Après le départ de Celestin Mara du Desk ‘’Planète, Espoir, Environnement, notre défi’’, j’ai créé le Desk et l’émission ‘’Terre d’ici et d’ailleurs que j’ai animée pendant 20 ans. Et en 2020, j’ai été admis à la retraite. C’est Hermann Couadjo Kpokamè qui est l’animateur de cette émission. Donc, je n’avais aucune formation pour prétendre informer dans le domaine de l’environnement ou dans d’autres domaines liés à l’environnement. Je m’y suis retrouvé par hasard.
Ce n’est pas un choix décidé, c’est un choix qui était important pour moi, étant donné qu’au début je ne savais pas l’intérêt de faire des émissions dans l’environnement, ce que cela représentait de le préserver. Je n’ai pas hésité, je travaille toujours dans ce domaine. Même si ce n’est plus la radio, comme j’avais déjà fait de la presse écrite avant d’aller à la radio, j’ai cette facilité pour écrire.
C’est clair, tout le monde aime la nature. Mais on était peut-être un peu en avance sur les autres. Il y a certains qui ne savent pas reconnaître les efforts des autres. Si l’on veut dire la vérité, aujourd’hui la radio a été le média qui, au début, a conduit les populations à la prise de conscience environnementale. On était au début de ce combat. Parce que pendant la révolution, il n’y avait pas d’émissions. Donc, c’est la radio qui a provoqué cette prise de conscience de l’environnement dans le pays. Les gens ne veulent pas dire ça, mais je le dis. Ce sont les journalistes, notamment ceux du Desk Environnement Santé qui ont provoqué la prise de conscience environnementale. Aujourd’hui, de nombreux journalistes parlent de ces questions, mais sans fausse modestie, nous en étions au début.

Quelle est la posture du journaliste face à la crise environnementale ?
J’ai été très content que le thème de la Journée mondiale de la presse, soit consacré au travail des journalistes. Ils veulent que ce soient les journalistes qui réparent ou ceux qui aident à réparer. Car en fait, qu’il s’agisse de la Convention sur les changements climatiques, de l’Accord de Paris sur le climat, de l’ODD, il a toujours été spécifié dans ces textes le travail de sensibilisation, de communication d’information publique pour que les populations comprennent tout ce qui se passe aujourd’hui autour de nous. Si on y regarde un peu à l’échelle du continent africain, c’est pratiquement la même chose. Soit, ils ne comprennent pas ce qui doit être fait, soit ils comprennent et ne veulent pas agir. Sinon, on peut consacrer toute une grille à cette thématique, car elle est vaste. On parle de l’environnement, des changements climatiques, de la santé, l’électrification, etc…Si l’on doit parler aux populations, il n’y a que les journalistes qui peuvent le faire. Les questions de l’environnement sont généralement très complexes.
Quand le ministère du cadre vie a envoyé la loi sur le changement climatique, il m’est revenu que les députés n’ont rien compris. A l’époque, je me suis proposé pour les aider à dégrossir les termes, mais ils n’ont pas voulu. J’ai laissé tomber. On a besoin des journalistes qui savent utiliser les mots simples pour faire passer des messages. Sinon tout le monde est confronté à ce phénomène de changement de climatique, parce que les gens ne comprennent rien des terminologies. Le travail du journaliste ne consiste pas à déposer le micro devant le ministre pour qu’il raconte sa vie. Parce qu’il va toujours magnifier ce qu’il a fait, alors que les choses ne sont pas faites ou bien faites.
A part quelques journalistes environnementalistes, la plupart des journalistes font des compte-rendus sur des sujets assez existentiels. Il faut aller sur le terrain, rencontrer les agriculteurs, les pêcheurs, les vendeuses et les autres et s’enquérir de leur réalité. On ne peut pas rester dans une rédaction et faire quelque chose de potable. Le problème est profond et il faut aller creuser plus loin.
Lorsqu’on avait créé l’AERE, on pensait qu’avec ce creuset, on allait former les autres collègues, on n’a pas été aidé par le ministère de l’environnement. Pour relever les défis liés aux questions environnementales, il faut d’abord que les journalistes soient bien formés. Il n’y a que quelques-uns qui comprennent l’enjeu. En clair, le journaliste a un rôle important à jouer. A ce sujet, la communauté internationale vient de donner le tempo en choisissant comme thème : « Une presse pour la planète ». Cela arrive un peu tard, parce que tout est gâté. Mais il y a un effort à faire dans toutes les rédactions par rapport à cette thématique. Et le gouvernement doit être en mesure d’aider les associations de journalistes afin qu’ils soient bien formés. Le journaliste généraliste est mort, il faut des journalistes spécialisés. Le domaine de l’environnement est si vaste qu’il peut se spécialiser dans des sous-secteurs de l’environnement. Même si le métier ne nourrit pas son homme, cela servira à aider les gouvernants à sensibiliser les populations à la crise environnementale. Donc, la posture du journaliste environnemental est totale.



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