Abdias Codjo Orisha, spécialiste des questions de sécurité et défense à propos du terrorisme : « Il faut porter des coups dans les sanctuaires de l’ennemi... »

6 juillet 2022

Spécialiste des questions de relations internationales, mais aussi de défense et de sécurité, Abdias Codjo Orisha livre ici sa lecture des attaques terroristes perpétrées depuis plusieurs mois contre le Bénin. La dernière en date remonte seulement au lundi 4 juillet dernier où deux militaires pris dans une embuscade ont perdu la vie. Ces agressions meurtrières devenues répétitives mettent en péril la paix nationale et appellent à des actions pertinentes et hardies pour un retour à la normale. Notre invité analyse le phénomène et énonce quelques pistes de solutions.

Alors que tout semblait calme sur le terrain, le Bénin a enregistré deux attaques ces derniers temps. Pensez-vous que la réponse militaire opposée à la terreur n’est pas suffisamment dissuasive ?
Il faut souligner que le gouvernement fait beaucoup d’efforts dans la lutte contre le terrorisme, mais compte tenu du contexte sécuritaire, il est difficile d’apprécier réellement l’impact de ces efforts. Aujourd’hui, le minimum qu’il faut souhaiter est que l’état-Major des armées puisse se mettre dans une posture offensive. Dans ce cas, les RETEX (Retour d’Expérience) du Mali seront d’une très grande utilité. En effet, nos armées ont longtemps été cantonnées au rôle de Forces de défense du territoire. Dans ce cas, vous comprenez bien que leur posture soit le plus souvent défensive. Or, on le sait, depuis Sun Tzu, que si l’invincibilité se trouve dans la défense, la possibilité de victoire se trouve dans l’attaque. C’est à ce titre que les armées de la sous région doivent davantage mutualiser leurs efforts en matière de renseignements, et d’interopérabilité tactique. Il faut donc désormais porter des coups dans les sanctuaires de l’ennemi et ne point lui donner de repos. Et une fois encore, malgré les exercices de lutte contre le terrorisme que nos armées mènent régulièrement, il faudra intégrer les RETEX maliens qui ont même créé une école de guerre pour implémenter les expériences acquises sur le terrain lors des opérations de contre guérilla futures.

Peut-on craindre que toute la partie septentrionale du pays soit prise dans l’étau du terrorisme ?
Le problème du terrorisme, ce n’est pas le moment où le premier enlèvement ou la première fusillade est commis que le mal vient de naître. Aujourd’hui, la population doit être éveillée et coopérer avec les Forces de défense et de sécurité sur l’ensemble du territoire. La région septentrionale plus encore, puisque nous sommes dans une situation ou l’ennemi a déjà eu le temps de sonder le terrain et de le connaitre. Et il a l’avantage de la surprise. Ainsi, est ce que le Bénin dans sa partie septentrionale est pris dans l’étau du terrorisme ? Je vous dirai oui, et avant même que le premier acte de ce genre qui a eu lieu dans le Parc de la Pendjari en 2019 ne soit commis. En outre, Vous avez au Nord (Niger) et au Nord Ouest (Burkina-Faso) du Bénin deux grands groupes qui sévissent : le JNIM affilié à Al quaida dont l’une des brigades les plus meurtrières, Ansarul Islam, issue d’une scission avec la Katiba Macina sévit au Burkina Faso ; Et vous avez l’EIGS affilié à l’Etat Islamique et dont le chef Adnane Abou Walid al-Sahraou a été tué par l’armée Française en 2021.
Ces deux groupes qui se sont combattus, il y a encore quelques mois, ont signé un accord récemment pour mieux se concentrer sur leur sale besogne. A ce titre, EIGS s’implante peu à peu dans le Sud Ouest nigérien et peut ainsi réaliser une jonction avec ISWAP issu de Boko Haram. Mais le pire est qu’à Sokoto presque voisin du Bénin par l’Etat fédéral de Kebbi, subsiste déjà un autre groupe issu lui aussi d’une scission avec Boko Haram depuis 2012, son nom est Ansaru, Il ne faut pas le confondre avec Ansaru al Islam, celui dont la base est au Burkina. Alors, nous sommes pris en étau.

Quels intérêts peut bien représenter le Bénin pour les organisations terroristes ?
Longtemps, on a eu tort de croire que le Bénin ne serait d’aucun d’intérêt pour les groupes terroristes. La principale raison vient du fait que le Burkina-Faso était considéré comme une base arrière logistique pour les djihadistes tout au moins avant l’opération Séguéré de fin novembre 2016 dans le Soum (Burkina Faso). Or, on ne peut déstabiliser une base arrière logistique.... Sauf que deux événements vont changer la donne. La pression mise sur les groupes djihadistes au Mali, mais surtout le changement de cap de Malam Dicko, le chef d’Ansarul AL islam outré par la répression menée par les forces de défense burkinabé dans certains milieux Peulhs... Nous vivons donc en partie une extension du domaine de la lutte contre le terrorisme qu’on peut coupler avec l’ambition très marquée de l’EIGS, qui, soulignons le, est un mouvement revivaliste, de créer un Califat Islamique qui prendrait en compte l’ensemble du Golfe Guinée à commencer par leur bastion originel, le Mali. Ainsi le Bénin, en plus de leur servir par le biais du parc W et de la Pendjari de sanctuaire, de réserve de nourriture, etc, est également une bonne transition vers la côte au même titre que les autres Etats côtiers de l’espace CEDEAO.

Outre la réponse militaire, que peut faire le Bénin pour venir à bout de ce phénomène ?
Le terrorisme trouve un terreau fertile sur la misère et l’injustice. Mais en amont, il ne faut jamais oublier que la base du terrorisme est d’abord idéologique. A ce titre, je salue l’action du gouvernement qui mène depuis peu des campagnes de sensibilisation, mais, je voudrais bien leur rappeler que c’est insuffisant.
J’entends souvent dire que si on élimine les problèmes structurels propres aux Etats, il faut entendre par problèmes structurels : corruption, chômage surtout et éducation, que le mal pourrait disparaître. C’est vrai, mais pas totalement. L’extrémisme violent tel que connu aujourd’hui dans la région s’assoit d’abord sur des fondements idéologiques. Je disais tout à l’heure que l’EIGS par exemple est un mouvement revivaliste. Leur objectif est la création d’un califat. C’est pourquoi, parallèlement à la résolution des problèmes structurels propres à chaque Etat, il faut mutualiser la lutte contre le terrorisme au niveau régional et africain.
Parce que sans ça, nos Etats vont se cantonner à la gestion de retombées d’aventurismes géopolitiques qui viennent se fertiliser sur des problèmes structurels. Ce qui veut dire qu’au-delà de l’action militaire, des programmes sociaux, il faudra désormais être proactif dans la lutte contre le terrorisme. Et le Bénin et même la CEDEAO ne peuvent aller seuls. Il faut une politique et une diplomatie continentale un peu plus agressive.
A ce propos, certains conflits à l’instar de celui en Ukraine sont des facteurs qui risquent davantage de compliquer la lutte contre le terrorisme. Vous vous demandez sans doute pourquoi ? A cause des armes qui y sont déversées et des mercenaires de chaque camp qui y combattent. Il ne faut donc jamais oublier que les premières armes qui ont servi au Mali et en Syrie provenaient de la Libye et que le JNIM, dont le parent lointain est le GSPC, a été formé par des combattants venus d’Afghanistan ou encore que DAECH est née de l’invasion de l’Irak.

A votre avis, pendant combien de temps encore serons-nous confrontés à cette réalité macabre ?
En fait, la lutte ne fait que commencer... Et comme je l’ai dit au tout début, il faut se montrer plus agressif contre le terrorisme, savoir intégrer les populations dans la lutte, dans ce dernier cas, nos forces armées l’ont compris. En 2018 par exemple, l’exercice ’’Ma Kon-Hin’’ à Segbana portait non seulement sur la tactique des opérations antiterroristes, mais aussi sur le partage de renseignements entre les militaires et la population. Afin d’éviter que le Bénin ne devienne un autre Mali ou Burkina, il faudra être plus agressif avec le risque d’un pic des agressions sur un temps et offrir une solution de sortie efficace pour les djihadistes qui voudraient abandonner les armes. Combien de temps cela pourrait prendre, je n’en ai aucune idée.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU



Dans la même rubrique