Arthur Balle, à propos de la réaction du Président de l’Unamab sur l’ordonnance rendue par la Cour d’appel : « Michel Adjaka a commis un parjure »

Patrice SOKEGBE 15 juillet 2016

Suite à l’appréciation faite par Michel Adjaka, président de l’Union nationale des magistrats du Bénin, de l’ordonnance rendue par la Cour d’appel qui annule les mandats d’arrêt émis à l’encontre des membres du Conor et du bureau exécutif de la Fbf, l’ex bâtonnier, Me Arthur Balle est sorti de sa réserve. Il estime que le président de l’Unamab use maladroitement de sa liberté d’expression et qu’il est plutôt astreint à une certaine réserve. L’avocat dans les lignes qui suivent assène ses vérités au magistrat et s’insurge contre ses méthodes.

Le Président de l’Unamab a dénoncé un braquage judiciaire suite à la décision de la Cour d’Appel qui a décerné un mandat d’arrêt international contre les membres de la Fbf et du CoNor. Quelle lecture faites-vous de cette analyse ?
Je m’insurge. Car, le mot ‘’braquage’’ est tellement fort et oblige à voir en terme de forme et de fond, ce qui peut être accepté dans l’article que j’ai lu. On n’a pas vu un fac-similé qui soit une déclaration de Michel Adjaka. Dans la forme, Michel Adjaka, Magistrat n’est pas autorisé à parler, parce qu’une affaire en justice, notamment en matière d’instruction, conserve le caractère confidentiel. C’est même secret. Donc, il n’est pas autorisé à parler d’une affaire qui est pendante devant la justice. Dans le fond, il s’agit d’une décision qui a été rendue par le Président de la Cour d’Appel. Monsieur Adjaka est Magistrat en première instance. Et c’est la Cour d’Appel qui a annulé la décision, c’est-à-dire des magistrats plus gradés que lui. A partir du moment où ce sont des plus gradés que lui, il est encore deux fois plus astreint à la réserve de principe à laquelle l’oblige la loi, la réserve de bon comportement, la réserve de courtoisie, de reconnaissance qu’il y a une hiérarchie dans la magistrature, la réserve que la Cour suprême est au-dessus de la Cour d’Appel et que celle-ci est au-dessus du Tribunal de première instance. Et, il n’est pas à la Cour suprême pour parler d’une décision qui a été rendue par la Cour d’Appel.
Alors, nous ne devrions pas faire par médias interposés, un procès. Sinon, à quoi servirait alors un procès ? Je m’insurge et je crois même que c’est une injure à la justice qu’un magistrat parle de braquage judiciaire. Savez-vous comment cela se passe dans le serment des magistrats ? La loi portant statut de la magistrature en République du Bénin en son article 9 stipule que le Magistrat prête le serment qui suit : « je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution et des lois, de garder le secret des délibérations et des votes, de ne donner aucune consultation à titre privé, de ne prendre aucune position publique sur les questions relevant de la compétence de la Cour ou du tribunal et de me conduire en tout temps en digne et loyal magistrat ». Au regard de cet article, que vient de faire le magistrat Michel Adjaka ? Ce qu’il vient de faire, c’est tout simplement un parjure, parce qu’il n’a pas respecté son serment. Le magistrat est tenu à la réserve et surtout de ne pas prendre des positions publiques sur une affaire en cours.

Est-ce à dire qu’en parlant de braquage judiciaire, Michel Adjaka est dans le fond du dossier ?
Il a injurié des magistrats plus gradés que lui. A moins qu’il explique que le braquage dont il parle est un braquage fait par d’autres qui ne sont pas magistrats. Et il dira sous quelle forme. Mais quand il dit ‘’judiciaire’’, c’est que c’est relatif à la justice. Je comprends qu’en disant ‘’braquage judiciaire’’, il veut signifier que le code de la justice a été détourné de manière indue par des personnes qui sont des braqueurs. Le seul braqueur que je trouve dans le contexte qui est celui de cette décision, c’est l’auteur ou les auteurs de la décision rendue. Parce que je n’ai pas vu le document ailleurs que dans le journal.

En tant que Président de l’Union nationale des Magistrats du Bénin, ce statut ne lui permet-il pas de dire un mot sur certains dossiers judiciaires ?
C’est grave, parce que ou le magistrat a oublié son serment ou celui que l’on prend comme représentant des magistrats n’en a pas l’étoffe. Le syndicat de la magistrature est une institution. Vous ne prenez pas la parole, parce que ça vous démange, pour aller contre le texte qui vous a institué. Et surtout, si vous le faites, il faut encore que ce soit à bon escient. Il est Président de l’Unamab, parce qu’il est d’abord magistrat. Donc, les actes qu’il pose sont pour préserver les magistrats de tout ce qui peut nuire à l’exercice convenable de leur ministère. Voilà qu’il prend partie pour un magistrat contre d’autres magistrats. Et ça me gêne en tant qu’avocat. Parce que ce n’est pas la première fois qu’il fait de la parole en public, de l’absence de réserve, sa manière de faire du syndicalisme. On n’en a pas besoin.
Comme je vous l’ai dit tantôt, il est Magistrat avant d’être président de l’Unamab. Et dans son obligation de réserve, il doit, pendant que la procédure suit son cours, précisément se taire. Parce qu’il y a plusieurs raisons. La hiérarchie d’abord, ensuite la réserve. Mais il y en a encore de façon expresse qui sont indiqués dans le code de procédure pénale qui stipule en son article 626 « La requête en récusation ne dessaisit pas le magistrat dont la récusation est proposée. Le président de la Cour d’Appel et de la Cour suprême peuvent, après avis du Procureur Général, ordonner qu’il soit sursit à la continuation de l’information ou des débats ou au prononcé du jugement ». Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que dans l’ordonnance rendue par la Cour d’Appel qui fait l’objet des propos injurieux à l’endroit des magistrats ou de la magistrature de Monsieur Michel Adjaka, il y a une volonté de demander au juge d’instruction de s’abstenir de poser des actes, parce qu’il est désormais sous une procédure de récusation. Tant que cette procédure n’est pas arrivée à terme, je pense que ce n’est pas des choses qui durent, il vaut mieux qu’il ne pose pas d’acte. Parce qu’on ne veut pas qu’on mêle aux décisions rendues des sentiments non juridiques. On ne veut que le droit pour conduire les procédures. Les questions qui font qu’on ne veut pas voir un magistrat continuer une procédure, il faut les régler d’abord avant de l’autoriser à continuer. C’est exactement ce qui est dit ici et ce qui a été fait par le Président de la Cour d’Appel dans l’ordonnance qui suspend de continuation le juge d’instruction à Porto-Novo. Donc, c’est bien en se fondant sur des textes que la décision a été rendue. J’ai lu ici que le Magistrat Adjaka aurait dit : « ça n’a jamais existé dans aucun pays du monde. Il faut vivre pour voir des choses inédites ». Ce qui est inédit n’est pas anti-juridique, ça peut être inédit parce que vous ne connaissez pas. Mais quand c’est du droit, c’est valable, mais je ne veux pas faire ce débat parce qu’il y aura toujours des personnes pour dire ‘’Non, ce qui est dit, ce n’est pas comme ça, c’est une autre façon de voir les choses ‘’, et voilà pourquoi je m’en tiens à l’essentiel à savoir que si l’on pense au serment et si l’on prend l’obligation de réserves.

Vous avez qualifié les propos de Michel Adjaka de parjure. On a l’impression qu’on assiste à une guéguerre entre les magistrats et les avocats.
On y assistera si les avocats se comportent de la même manière que le Président de l’Unamab. Mais nous avons assez d’éthique de conduite pour considérer qu’il y a plusieurs manières de régler un différend. Il n’y a pas d’affrontement. Moi, je le fais en tant qu’avocat qui considère qu’il commence par avoir une escalade et que c’est trop grave de dire braquage judiciaire. Un magistrat qui dit qu’il y a un braquage judiciaire, c’est dire qu’il y a des faits qu’il impute à une ou des personnes. Et comme il a habitué le peuple béninois à ce genre de propos, Michel Adjaka doit savoir que la procédure est la garantie du sérieux d’une justice. Et que du point de vue de la procédure, il y a des questions qui ne sont pas encore débattues. Si on parlait de procédure, on se demanderait pourquoi on est allé au mandat d’arrêt. Ce n’est pas de cela que je veux vous entretenir. Je veux vous entretenir sur ce que Michel Adjaka a dit par rapport à une cause qui n’est pas la sienne. Elle oppose la Fbf et le CoNor à d’autres membres de la Fédération. Certains ont osé dire : ‘‘vous n’êtes pas compétents’’. Il y a problème. Il ne devrait pas y avoir problème. Parce que, dans les arguments de chacun, il y a des éléments que le juge d’instruction peut tirer. Vous savez bien que c’est toujours contradictoire. On se rend compte qu’on est en train de dévoyer la fonction de magistrat, parce que Monsieur Adjaka aime s’exprimer devant les médias. Mais ce n’est pas cela son serment. Et personne, même pas les magistrats, ne lui disent d’arrêter ce fait. Ils se taisent tous. Mais nous, nous n’allons pas nous taire. Ce n’est pas lui qui a fait la République. Il ne va pas continuer à agir sans respect pour l’éthique de sa profession. Nous allons la lui enseigner, parce que nous connaissons l’éthique de la profession que nous respectons.
Il y a aussi une éthique pour la justice perçue comme une institution dans laquelle il y a des personnes dont l’enquête de moralité est irréprochable et dont les compétences sont chaque fois éprouvées pour assurer qu’avant de rendre une décision, toutes les questions qui ont été soulevées sont des questions de droit valables. Voilà ce qui fait le respect que l’on a pour un magistrat.
Il va jusqu’à dire qu’il prend à témoin les populations sur d’éventuelles dérives du gouvernement. Savez-vous pourquoi les populations respectent le juge ? Elles le craignent plus qu’elles le respectent. On craint aussi les magistrats qu’on ne les respecte. On les craint à cause de cette faculté qu’ils ont d’arracher la liberté d’aller et de venir des citoyens. Voilà le nœud du silence ou de la crainte des citoyens vis-à-vis des magistrats. Dans la procédure dont on parle dans ce dossier, il y a eu des mandats d’arrêt qui ont été décernés. Le juge est libre d’en arriver là. C’est quand on fait appel que l’on dit pourquoi ceci n’a pas été bien fait ou mal fait. Mais en entendant que lesdits mandats vont être infirmés, on dit qu’il y a un braquage judiciaire parce que tout simplement un magistrat de la Cour d’appel hiérarchiquement plus élevé que le tribunal auquel appartient Monsieur Adjaka a dit quelque chose qui ne lui convient pas. Vous croyez que parce que quelqu’un est président d’un syndicat que sa parole est une parole d’évangile ? Il faut arrêter ça. Dans les rangs des magistrats, vous verrez des personnes qui pensent l’inverse.

Michel Adjaka estime que l’ordonnance du juge de la Cour d’appel n’a pas d’effet suspensif sur les mandats d’arrêt. A-t-il raison ou pas ?
Je ne veux pas répondre directement à cette affirmation péremptoire parce que je dois m’assurer de certaines choses. Du point de vue de la procédure, il y a une légalité procédurale et un humanisme processuel, c’est-à-dire qu’on ne fait pas de la procédure sans penser à l’humain qui est au centre de la cause dont il s’agit. Vous savez qu’à un moment donné, il n’existait pas un juge de la détention et des libertés. Aujourd’hui, il en existe parce que la liberté est ce qu’il y a de plus cher et que pour arracher à un citoyen ce qui lui est cher, il faut s’assurer que les étapes qui méritent qu’on la lui arrache sont franchies. L’existence d’un juge de la détention et des libertés, c’est-à-dire du juge qui vérifie la justesse de la détention, est justifiée par le fait que la loi a prévu un ensemble d’étapes ou de vérification à laquelle il se livre avant d’ordonner l’un ou l’autre. Toujours dans l’évolution de la procédure et l’humanisme processuel, on recherche à soutenir que la règle, c’est la liberté, la détention est l’exception. En clair, il ne devrait pas y avoir autant de personnes dans les maisons d’arrêt et pour si longtemps. Dans le code de procédure pénale notamment, si l’on vous montre les dispositions qui indiquent que les juges et plus souvent les juges d’instruction violent la loi parce qu’ils ont des prescriptions relativement assez strictes par rapport à la détention des personnes, vous comprendrez que les juges sont des citoyens comme tout le monde et que en tant que tel, ils n’ont pas à prendre la détention d’un citoyen comme l’objectif à atteindre. Ce n’est pas ça la justice. Elle n’a jamais demandé cela. La justice demande avant d’appliquer une sanction, qu’on soit sûr que les faits qu’on reproche à la personne sont fondés et que tout ce qui a été fait en termes de procédure est juste. Et donc, partant, il y a des spécialistes magistrats qui connaissent mieux la procédure pénale parce qu’ils ont cherché à comprendre. Le juge qui a pris la décision de détenir des personnes est libre de le faire. Lorsqu’un juge de la Cour d’appel rend une décision, c’est-à-dire la structure hiérarchiquement au-dessus du juge d’instruction, Monsieur Adjaka, juge près le tribunal, citoyen comme tout le monde, astreint à ses devoirs de juge doit d’abord la fermer et ne pas opposer l’un à l’autre en parlant de braquage judiciaire. Ça, c’est se prendre pour la Cour suprême, c’est-à-dire pour l’autorité ou le pouvoir judiciaire au Bénin.

A votre avis, pourquoi les citoyens concernés par le mandat d’arrêt ne se sont pas présentés devant le juge ?
Il me semble qu’au Bénin, tout le monde est lié d’une façon ou d’une autre. Je crois que les intéressés ne se sont pas présentés pour des raisons diverses. Evidemment, il faut les faire comparaître puisqu’il faut qu’on arrive à comprendre si les plaintes déposées par l’un ou l’autre sont fondées sur les chefs d’accusation. Par contre, je sais qu’un mandat de comparution plutôt qu’un mandat d’arrêt aurait peut-être eu les mêmes effets. Je ne sais pas s’il y en a eu avant le mandat d’arrêt.

Que pensez-vous de ce dossier où la Fifa refuse que les juges nationaux interviennent dans ses affaires ?
La question est intéressante, et mon avis peut être celui de n’importe quel autre citoyen qui sait ce qu’est la justice et l’architecture de la justice dans un pays. Il y a eu déjà un arrêt de la Cour suprême rendu en 2012 dans des conditions à peu près semblables à celles qui se posent aujourd’hui. J’ai entendu dans ce dossier qu’il y a un problème d’ordre public. Je trouve que ce qui passe en ce moment est que l’ordre public judiciaire est troublé par Monsieur Adjaka. C’est lui qui est en train de troubler l’ordre judiciaire. Il n’a qu’à attendre pour faire ses observations. Il a la liberté d’expression, mais il a une liberté d’expression qui le démange à l’excès. La décision de la Cour suprême qui a été rendue en 2012 a expressément dit : « tribunaux béninois, vous n’êtes pas compétents ». Et apparemment, c’est ce qui est opposé par ceux qui sont aujourd’hui introuvables, c’est ce qui est opposé à la décision de les poursuivre en justice. C’est exactement ce qui se passe en contentieux du droit des affaires où les dossiers dans ce domaine ne sont plus jugés par la Cour suprême. Notre pays a décidé que ce serait désormais la Cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan qui est compétente. Les questions de compétence sont des questions essentielles qui dans la procédure sont des questions qu’on examine en premier. Après avoir parlé de la recevabilité, on parle de compétence.
Nous avocats à la différence des magistrats, lorsque nous sommes en face d’une décision que nous estimons pas juste, nous n’avons qu’un seul recours, nous faisons appel et nous attendons, parce que c’est ce que notre serment nous a appris. Mais si Monsieur Adjaka, magistrat s’adresse au public dans ce contexte-là, je dis que c’est lui qui est en train de perturber l’ordre public de la République ou à tout le moins l’ordre public judiciaire.
Transcription : Patrice SOKEGBE



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