Bruno Montcho, sociolgue : « Si ce que demandent les partenaires sociaux est accordé, les retombées iront jusqu’au dernier citoyen »

3 septembre 2024

Les membres du gouvernement reprennent avec l’administration après un mois de congés. Dans cet entretien, Docteur Bruno Montcho, sociologue spécialiste de la débrouille et de la déviance, enseignant chercheur à l’université d’Abomey-Calavi à la faculté des sciences humaines et sociales, département de sociologie anthropologie, maître de conférences, a attiré l’attention du gouvernement sur des chantiers de priorité à sa reprise en vue d’impacter le social.

En tant que sociologue, sur quoi peut-on attirer l’attention du gouvernement comme chantier sur le plan social après son retour des congés ?
Merci beaucoup, je pense que le gouvernement est allé se reposer. Ce qui est normal. Après de durs labeurs, il a choisi le bon moment pour revenir à la veille des rentrées. C’est pour dire qu’eux-mêmes, ils savent que la tâche qui les attend est très importante. Je vais d’abord leur souhaiter une bonne reprise et profiter également de la même occasion pour les exhorter à faire le possible pour que tous les acteurs du systèmes éducatifs, les trois ordres, préparent bien la rentrée. Cela peut se faire de la même manière. Mais, pour que cela soit effectif, il faut que le gouvernement essaye d’explorer ou bien de réanimer, si ce n’était pas le cas, de reconsidérer l’accord avec les partenaires sociaux. C’est très important. Autant qu’ils sont, ils ont des choses qu’ils doivent redire au gouvernement. Et sur ce plan, ils vont faire une certaine sélection, au regard des dispositions de la cagnotte que l’Etat a, pour pouvoir permettre à ce que ce qui leur revient de droit, leur soit donné. Cela peut déjà permettre à ce que tout se passe très bien. Si on ne le fait pas, c’est qu’il y aura une cristallisation de l’environnement. Et donc les partenaires sociaux vont commencer les manifestations et cela ne va pas être ce que cela doit être alors que tout ce qui se fait au niveau du gouvernement ne se fait pas pour plomber un système. Pour éviter d’en arriver là, il faut donc écouter les partenaires sociaux aussi bien dans le publique que le privé. Car, le privé est un pape de sécurité par rapport au continuum de la formation au Benin. Du coup, on ne peut pas penser uniquement au public et mettre le privé de côté. Ainsi dès que les partenaires sociaux vont dire ce qui leur revient de droit, le gouvernement ne doit pas tenir compte de sa perception pour agir. Mais, il doit plutôt tenir compte de ses capacités, c’est-à-dire jouer sur l’échéance pour les satisfaire. Maintenant, l’autre chose est qu’il faut forcément qu’à tous les niveaux, que ce soit maternel, primaire, ou secondaire, y compris au niveau de la formation technique et professionnelle, il faut faire tout possible pour doter ces acteurs personnels tels le personnel enseignant sans oublier les Aspirants au métier d’enseignant (AME). Il faut aussi renforcer tout ce qui se fait à leur encontre. Aujourd’hui, tout ce qui est fait pour l’assurance aux AME doit être poursuivi. Et il faut également prendre d’autres AME. Je sais qu’ils ont lancé la plateforme et c’est déjà très bon. Que ceux qui sont disponibles pour faire le travail républicain puissent s’inscrire pour que le ministère en charge sache de quoi il a réellement besoin et reconnaitre ses défis. Il faut également que les affectations sortent à temps. Et d’ailleurs, c’est déjà bien qu’avec ce gouvernement, tout se fait un peu à l’entame de la rentrée. Ce qui permettra à chaque acteur de savoir sa position et prendre des dispositions bien avant le démarrage des activités. Il faut aussi recruter d’autres, surtout dans les domaines où le manque est considérable pour que les établissements qui ne disposent pas d’assez d’enseignants puissent en avoir parce que s’il y a des établissements publiques au Bénin qui ne disposent pas suffisamment d’enseignants, on doit s’imaginer que notre devise a déjà pris un coup parce que tous les apprenants, surtout les candidats aux différents examens, seront soumis aux mêmes épreuves. Il faudra alors leur offrir la même qualité de formation. Si on sait qu’on ne veut pas faire des inégalités plutôt créer la justice sociale, le ministère en charge essaiera de faire un travail de fond. Et je suis convaincu qu’ils ont l’expertise pour le faire mieux. S’ils n’ont pas l’expertise, avec l’aide des partenaires sociaux, cela va bien se dérouler.

S’agissant des partenaires sociaux, dans un passé récent, ils ont manifesté contre la cherté de la vie. De l’autre côté, les membres du gouvernement ont parcouru tout le pays pour faire la reddition de comptes. A quelques jours de la rentrée des classes, les fournitures scolaires coûtent vraiment chères. Comment appréciez-vous cette réalité qui ne fait que durer ?
La réalité, elle est évidente. Je dirai qu’il faut commencer par ce qui leur revient de droit, en ce qui concerne les partenaires sociaux. Si le gouvernement prête une oreille favorable à leurs cris de cœur, cela va désamorcer un peu de l’autre côté parce que les partenaires sociaux sont une représentation d’un certain nombre. Donc, si ce qui revient à cette représentation est accordée, les retombées vont descendre jusqu’au dernier citoyen. Et mieux, je vais également demander au gouvernement qu’après cela, d’avoir un clin d’œil sur les denrées de première nécessité. Ce qu’il faut faire pour pouvoir amoindrir la vie chère, ne serait-ce que pour réduire un peu le coût de ces différents produits qui nous reviennent un peu chers, est très important. Il va falloir peut-être que le gouvernement essaie de voir avec les acteurs du corps du système économique, comment il faut agir et les subventions possibles qu’il faut accorder. Ou encore que quelque chose soit fait de telle sorte que ce ne soit pas uniquement en faveur des fonctionnaires, mais également que ceux qui ne sont pas fonctionnaires puissent en bénéficier. Je pense que cela va désamorcer tout ce qui constitue la plainte des populations. Vous voyez, les fournitures scolaires sont très chères. Par exemple, si les cahiers sont fabriqués ici ou si on essaie d’agir sur la taxation au niveau des structures concernées, je pense que cela va nous revenir moins cher parce que tout se fait ici ou même, ce qui quitte l’extérieur, si on essaie de voir les taxes à l’entrée au cordon douanier, cela va nous permettre d’acheter très moins cher. Et mieux encore, je pense que le gouvernement doit aller très loin pour voir tout ce qui se fait au niveau du secteur privé. Vous voyez, il y a des écoles où beaucoup de déviances se font. En plus des frais d’écolage, différents faux frais existent. J’ai bizarrement connu l’expérience la dernière fois. C’est un candidat qui est admis au BEPC et qui doit faire la 2nde. Vous lui demandez de faire encore test d’entrée en 2nde. Et ce candidat doit payer 3000 pour faire le test. Pour moi, cela ne rime à rien. Vous voyez, ce n’est pas une classe intermédiaire ou la personne n’a pas fait une autre classe et on veut voir quel est son niveau. Voilà des déviances, des éléments qui existent et que le gouvernement a l’obligation de voir au niveau de ces privés. il y en a tellement comme déviances qui s’observent. Et je voudrais que le gouvernement, là où il est, puisse faire tout son nécessaire, sinon l’histoire va le rattraper. Il faut aussi sauver ‘’Éduc Master’’. Il n’a qu’à le faire parce que si on revient à l’ancien système, cela va être fastidieux et l’histoire retiendra ce qui est bon. Si c’est écroulé, l’histoire retiendra aussi que c’est en son temps quand il est à la tête. Lorsqu’on prend ce qui se fait aujourd’hui, avec un clic, un parent peut suivre tout ce qui se passe avec son enfant. Si on laisse ce système parce que les acteurs sont là et veulent que le système s’écroule au profit de leurs intérêts bizarres, on va mettre en péril ce système. Moi je pense que ce n’est pas normal. Il faut continuer pour que ce système ne nous abandonne point.

Depuis 2016, le gouvernement se positionne comme le chantre du ‘’hautement social’’. Mais à côté, les populations se plaignent. Le panier de la ménagère semble toujours vide et la ceinture serrée. Face à cette situation, quelle est votre lecture ?
Bon, celui qui nous a dit de serrer la ceinture n’en a pas mis. Donc pour moi, c’est déjà un problème. Je pense que c’est pour nous dire que pour aller loin, il faut vraiment se ménager, et savoir ce qu’il faut faire. Et moi je ne suis pas contre. Si on veut atteindre un niveau de développement qu’on exige, il y a des sacrifices à faire et il n’y a pas de développement pour quelqu’un qui donne corps au laxisme et à la paresse. Il faut qu’à un moment, on fasse ce qui est et qu’on accompagne maintenant. Si le gouvernement dit cela, il lui revient de remplir ces cahiers de charges ou ce que les autres font pour les accompagner dans le système. Aujourd’hui, l’enseignant est le parent pauvre de ce gouvernement. J’ai l’impression qu’on a déconstruit le métier de l’enseignant au point où on pense qu’être enseignant, cela ne veut rien dire. Il faut qu’il y ait une restructuration de l’image de l’enseignant et cela participe à la formation. Si vous avez dit que l’enseignement général n’a pas de sens, l’enseignement technique est où et quel est l’accès ? L’accès là que l’État permet est-il à la portée de tout le monde ou permet à tout le monde d’y accéder ? Si ce n’est pas le cas, cela veut dire que vous voulez quelque chose et son contraire. On est à l’université, on a déjà donné les résultats du Bac et on a mis en place des dispositifs. Je ne sais pas si on a fait l’évaluation. Vous pensez que quelqu’un qui a fait 3 jours peut être boursier comme il peut ne pas l’être. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas faire telle ou telle filière. Mais voilà qu’on a opté pour l’élitisme. Mais il y a des gens qui ont le Bac avec mention très bien, qui se sont inscrits dans les entités, dans les écoles et qui n’ont pas pu tenir. Et pourtant, c’est déjà un fait pour eux. Et moi j’ai toujours critiqué ceci. Ce n’est pas que forcément j’ai raison, mais il faut évaluer ce qui était fait pour pouvoir permettre ou donner la chance à d’autres qui ne sont pas. Vous pensez que quelqu’un qui est de la série A ne peut pas faire par exemple la FSS encore que celui qui est leur chantre, il a fait la A. Voilà un peu la lecture que j’en fais et je ne dirai pas des incongruités mais des éléments qu’il faut prendre en compte. Il faut réparer. Moi j’ai vu la dernière fois, on a dit médaillé des Olympiades en Suisse. Je me demande ce que cela va donner. Ces enfants seront récupérés où, dans quel laboratoire, pour nous produire quoi pour qu’on sache que c’est la marque de telle promotion ? Des promotions sont passées, mais il ne suffit pas de faire la publicité inutile parce qu’on est allé prendre de médailles, non. Mais, c’est quoi la suite ? Qu’est-ce qui est capitalisé pour l’État et l’accompagnement de ses enfants qui ont réussi à hisser le drapeau du Bénin à ce niveau ? Donc il faut qu’on soit responsable et qu’on ait l’idéal du béninois que nous voulons. Si nous voulons avoir un idéal et s’il y a des valeurs, des enfants qui travaillent ou des génies, on les envoie où et on les suit comment ? Qu’est-ce qui est pour eux ? En quoi on suscite le travail pour les autres qui viennent ? Sinon, le modèle aujourd’hui, ce n’est pas d’aller à l’école. C’est cela qui nous amène dans les déviances de cybercriminalité. Parce que celui qui est allé, qui a le doctorat et qui n’a rien trouvé, vous pensez que le génie ferait là ? Vous me dites d’aller à l’école, voilà que jusque-là, l’aîné est encore sous les parents en train de prendre le petit déjeuner. Vous voyez que cela pose déjà un problème. Donc voilà un peu, je pense que ce gouvernement est responsable et j’attire son attention sur les chantiers qui l’attendent. Ils en ont beaucoup. Mais par rapport à cela qu’ils essaient de voir et de desserrer un peu l’étau qu’ils ont mis autour du système éducatif pour voir ce qu’il peut pour les acteurs. Aujourd’hui, il n’y a plus de grève dans l’enseignement jusque-là. Cela veut dire que si on veut faire, on va bien faire. Si la tête demande de bien faire et accompagne, les acteurs vont suivre, c’est ce qu’il faut et je pense que le gouvernement et son président en sont capables. Dès qu’ils vont commencer, les acteurs vont les suivre.

Le gouvernement, pour prouver les efforts consentis pour le compte du ‘’hautement social’’, mentionne le microcrédit Alafia, le projet ARCH et bien d’autres. Qu’en pensez-vous en terme de soulagement des peines des populations ?
Si je prends le projet ARCH, les réalités sont là. Est-ce que nous l’avons déjà ? Cela veut dire qu’il y a encore du travail à faire. Je pense que c’est un facteur qui a été mis en place depuis un certain temps. Il faut que cela touche à sa fin. Si cela ne finit pas, c’est qu’on ne peut pas évaluer. Si les acteurs n’en bénéficient pas pour le moment, c’est comme si c’est un éléphant blanc. C’est un travail de longue haleine qui a été demandé et je pense que jusque-là, si on n’en a pas encore les résultats, il faut qu’ils continuent. Le côté sanitaire, c’est très important. Vous imaginez les acteurs. On a arrêté les formations des formateurs par exemple dans nos universités. Mais au niveau des autres, les gens font la formation. Celui qui veut former, vous ne lui donnez pas une formation. La formation des formateurs a été arrêtée par exemple dans l’enseignement supérieur. Ce n’est pas normal mais ils veulent former. Le matériel et tout ce qui est là, si cela ne marche pas, mais les gens vont faire comment ? Il faut revoir avec les partenaires sociaux pour voir ce qui est faisable. Et il revient au gouvernement de faire l’arbitrage parce que l’histoire va retenir que c’est en son temps qu’on voit du hautement social. Je vais aussi signaler qu’il y a quand même des éléments qui sont pour le ‘’hautement social’’ mais la population ne perçoit pas. Cela ne se fait pas sentir alors que c’est plus que hautement social. Moi je donne 2 exemples seulement. Le paiement des factures d’électricité en ligne et le paiement du casier judiciaire en ligne connus sous la dématérialisation ou la numérisation des actes. En notre temps, on cotisait pour aller faire tout possible, pour avoir nos actes. Aujourd’hui avec un clic tu as déjà tes actes alors que cela constituait un handicap terrible pour les acteurs. Aujourd’hui même avant de percevoir ton salaire, tu as déjà ta fiche de paye. Auparavant, cela venait dans ta boîte peut-être 4 ou 5 mois après. Ce sont des éléments qu’on ne perçoit pas. Moi j’ai perdu 2 amis à cause des casiers judiciaires parce qu’ils ont pris taxi pour aller prendre leur casier judiciaire et ils ont fait accident. Ils sont décédés. Si c’était aujourd’hui, ils seraient restés dans leur chambre même le dimanche et faire la demande. Ce sont des éléments qui n’ont pas de prix, qu’on ne perçoit pas en terme de coût, mais qui sont tellement importants. Lorsque tu prends le risque de prendre une voie, tu ne sais pas ce qui t’attend devant, ni derrière. Par conséquent, c’est plus que hautement social. Avec les paiements en ligne aujourd’hui, vous n’avez plus besoin d’aller faire de rang dans une banque. Les longues files d’attente dans les banques, vous n’en avez plus besoin. Il suffit d’aller sur le site. Il faut renforcer pour que ces sites soient fluides, pour que l’on ait les éléments et essayer de faire tout possible pour sécuriser parce qu’il y a déjà les amis qui n’attendent que pour pirater. Donc il faut forcément sécuriser et il faut également faire en sorte que celui qui finit sa formation ait son diplôme de manière plus rapide parce que cela empêche nos enfants de voyager aussi et ou de fournir des dossiers pour des bourses ou des entreprises. Et l’autre aspect, on forme des gens mais des structures demandent 5 ans ou 10 ans d’expérience. Mais si quelqu’un ne les a pas utilisés une seule fois est-ce ce qu’ils auront l’expérience ? Du coup, il va falloir que le gouvernement essaie de voir les partenaires sociaux au niveau du privé pour que cela ne soit pas une réalité. Il faut donner la possibilité à la personne une fois et les autres fois. Et voilà un peu les déviances dans tous les corps.

Votre mot de la fin
Je pense que diriger un pays, ce n’est pas facile. Lorsque vous faites bien les choses, vous coupez les intérêts d’un certain nombre d’acteurs, ils vont monter au créneau pour vous vilipender. Que chacun ait à cœur de faire très bien ce qu’il a à faire. Je demande à nos enseignants de différents niveaux, de faire très bien ce que nous avons à faire et d’espérer que l’Etat, parce qu’il ne doit jamais, nous paye ou nous donne ce auquel nous avons droit et essaie d’augmenter. A défaut d’augmenter, de donner ce auquel nous avons droit. Et comme cela, les grincements de dents vont diminuer un peu. Mais si on stigmatise l’enseignant, on chosifie l’enseignant et on le rend Vulnérable, je ne pense pas que cela va donner les fruits. Je souhaite beaucoup de courage à notre chef, beaucoup de santé surtout et que tout se passe avec beaucoup de clairvoyance, d’orientation et bonne reprise aux membres du gouvernement.
Propos recueillis par Fidégnon HOUEDOHOUN



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