Covid-19 et l’Agriculture : « Il y a matière à craindre une forme de thésaurisation des terres », dixit Dr Béranger Avohouémè

Fulbert ADJIMEHOSSOU 18 juin 2020

Aucun secteur n’est épargné par les conséquences de la Covid-19. Dr Béranger Avohouémè, Socio-anthropologue du foncier rural, chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi analyse les perturbations potentielles. Le Directeur de l’Institut Terre d’Afrique (ITA) craint une forme de thésaurisation des terres.

Dr Béranger Avohouémè, a-t-on aujourd’hui une idée de l’impact de la Covid-19 sur le secteur agricole ?
Les premières observations faites sur le terrain offrent un aperçu, encore imparfait, de la situation globale en termes d’impact de la Covid-19 sur le secteur agricole, sachant qu’il y a des effets qui vont se ressentir au bout d’un certain temps. Parlant du secteur agricole, il faut s’intéresser aux activités de culture agricole, d’élevage et de la pêche sans oublier l’aspect lié au management du secteur dont la coordination est assurée par le ministère. Toutefois, les observations restituées ici portent uniquement sur les activités de culture, de commercialisation et de gouvernance du secteur. En effet, à l’instar de toutes les administrations, le ministère en charge de l’agriculture, les organisations paysannes et de producteurs agricoles ont tourné au ralenti depuis la mise en vigueur des mesures préventives visant à endiguer la propagation du nouveau coronavirus. Le ralentissement de l’administration de l’agriculture peut porter un coup dur à la mise en œuvre du volet agricole du PAG dans lequel 5 sur 45 projets consacrés à l’agriculture pour relancer la croissance économique.
Au plan de l’accès sécurisé à la terre, d’après les statistiques de la régie de la propriété foncière et des hypothèques de Cotonou, on note qu’entre mars et mai 2020, il y a eu décroissance du nombre de dossiers de transfert de propriété foncière reçus par l’administration du domaine et du foncier. Cette tendance baissière s’observe un peu partout notamment dans les quinze localités ayant fait partie du cordon sanitaire. Cela démontre qu’il y a eu des difficultés d’accès aux différentes prestations foncières. Outre ces blocages, il y a également le gel du fait des délibérations au niveau des cours et tribunaux. L’interdiction des réunions de plusieurs personnes n’a pas permis de tenir avec sérénité certaines séances délibératives. Ainsi, plusieurs dossiers de conflits fonciers qui auraient pu être résolus, sont cependant toujours en instance à la justice. Ces facteurs peuvent affecter l’accès des populations au foncier en milieu rural qu’urbain. Or les inégalités socio-foncières ne sont pas de nature à favoriser une performance agricole. Comme après la crise alimentaire de 2008, les terres vont être sur-sollicitées et cela peut durcir la compétition foncière. Des phénomènes « d’accaparement de terres » sont à redouter à l’avenir. Les couches vulnérables s’en trouveront davantage marginalisées notamment les femmes et les jeunes. Parlant de jeunes, il est observé ci et là des problèmes de main d’œuvre agricole dans les champs en raison des restrictions de la mobilité humaine. Ainsi, les activités champêtres sont quelque peu perturbées. Or quand on se réfère au poids de l’agriculture dans l’économie locale dans certaines parties du pays, on pourrait s’imaginer les dégâts éventuels occasionnés par la pandémie. C’est le cas de l’Atlantique dont plusieurs communes ont fait partie du cordon sanitaire. La production de l’ananas est l’activité agricole principale dans ce département où on dénombre plus de 82 % des producteurs recensés. Le rôle de ce produit dans l’économie nationale n’est pas négligeable : il contribue à environ 1,2 % du PIB, et 4,3 % du PIB agricole (MAEP, 2015). La chaîne de la transformation et de l’exportation de l’ananas a été secouée. Partant de l’idée selon laquelle, l’agriculture est le moteur de croissance le plus efficace pour développer l’économie et lutter contre la pauvreté, on peut aisément évaluer les contrecoups subis par l’économie béninoise du fait de la survenue de cette pandémie. Dans certains villages au centre et au Nord du pays, les activités de prospection des marchés pour la vente du maïs et celle du soja sont compromises. Outre les difficultés d’accès aux exploitations agricoles, il y a également les problèmes d’écoulement des marchandises dans les marchés locaux. On note une inflation des prix des denrées alimentaires. C’est le cas de la farine de manioc (gari), dont le prix a pratiquement doublé en quelques jours. Quand on se rappelle que ce sont les hausses spectaculaires des prix alimentaires entre 2007 et 2008 qui ont fait éclater des émeutes dans 48 pays, il y a matière à travailler pour que le pire ne survienne. C’est dans le même ordre d’idée que la secrétaire exécutive de la Commission Economique des Nations-Unies pour l’Afrique (CEA), Vera Songwe alerte sur les risques de pénuries dans les secteurs alimentaires.

Au regard de la limitation des activités champêtres, vous craignez une cession des terres par les producteurs. Pourquoi ?
Si la tendance à la cession des terres persiste et continue d’alimenter une spéculation foncière, le pays va se confronter à une flambée des « sans terres ». On va assister à un statu quo où la grande majorité des agriculteurs resteraient cantonnés sur de très petites exploitations enfermée dans des statuts de salariés agricoles sans terre, peu qualifiés et saisonniers. Cette situation pourrait ne plus être acceptable socialement et tenable politiquement. C’est d’ores et déjà un sujet de sécurité et de paix civile. Outre cela, il y a matière à craindre une forme de thésaurisation des terres pendant que la plupart des bras valides sortent de l’agriculture pour se ruer vers les villes en quête de travail. C’est ce qui explique en partie le phénomène de Zémidjan. Les petits exploitants dominent l’agriculture béninoise et plus d’attention devrait être portée à améliorer leur productivité et leur rentabilité. Beaucoup sont acheteurs nets de denrées alimentaires, et l’augmentation de leur productivité contribue directement à la croissance des revenus agricoles et à la sécurité alimentaire. D’après une étude, les ménages qui dépendent de l’agriculture comme source unique de revenus, ceux pour qui l’agriculture est une des sources de revenus, les travailleurs journaliers et les ménages qui dépendent de l’aide sont généralement plus en proie à l’insécurité alimentaire. Les ménages en insécurité alimentaire sont souvent les plus pauvres. Environ 74% des ménages en insécurité alimentaire appartiennent aux groupes des ménages les plus pauvres de la population. Ils consacrent plus de 65 % de leur budget à leurs dépenses alimentaires. Les ménages en insécurité alimentaire vivent généralement dans des conditions sanitaires et d’habitat plus précaires que les ménages en sécurité alimentaire. Environ 34 % des ménages en insécurité alimentaire n’ont pas accès à une source d’eau potable et 93 % n’ont pas accès à des toilettes hygiéniques.

Quelles mesures peut-on prendre pour accompagner les producteurs à la base ?
Il est important de mettre le focus sur une approche holistique afin d’augmenter la productivité des petits exploitants. Ceci dépend du climat et des facteurs de production (terres agricoles, eau et main-d’œuvre). Les intrants agricoles (engrais, irrigation, semences et biens d’équipement) ainsi que les compétences des agriculteurs déterminent également la productivité agricole. Il faut mettre en application la politique de prévention des terres agricoles au détriment de leur mise en valeur. Tout ceci passe par la promotion de l’économie locale pour permettre une réduction de la pauvreté rurale ; la réduction des inégalités de genre ; le renforcement de la protection sociale, surtout vis-à-vis des petits exploitants et personnes âgées ; le renforcement des infrastructures de base ; et le renforcement de la politique de microcrédit en vue de permettre l’accès des pauvres surtout des femmes aux crédits.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU



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