Cyra Seke sur une nouvelle approche d’éducation sexuelle des jeunes : « L’éducation sexuelle des jeunes exige un langage de vérité. »

22 juillet 2022

A l’ère du numérique où la diffusion de l’information n’est plus la chasse gardée des professionnels des médias, le tabou qui pèse sur le sujet de la sexualité expose les jeunes à des informations fausses ou malsaines, causes lointaines des déviances sexuelles tant décriées. Le besoin est alors pressant de changer de paradigmes en ce qui concerne l’éducation sexuelle des jeunes. Dans cet entretien, Cyra Séké, directrice exécutive de Love power, organisation de l’éthique de l’amour et animatrice de l’émission télévisée Unis pour toujours sur la télévision nationale du Bénin, met l’accent sur une démarche inclusive d’éducation à la sexualité.

Que doit-on comprendre par éducation sexuelle des jeunes ou éducation des jeunes à la sexualité ?
Il faut d’abord comprendre la notion de la sexualité, qui selon le livre S’engager et jouir pleinement de son couple de Dr Cyriaque HOUNTONDJI. p84, est l’ensemble des caractères, comportements, attitudes et habitudes qui font de l’être humain une femme ou un homme. Elle prend donc en compte l’être entier et ne se résume pas seulement à la génitalité : c’est vivre sa féminité et sa masculinité. Ainsi donc, l’éducation des jeunes à la sexualité consiste à leur apprendre avant la puberté, les connaissances fiables, les valeurs et les comportements physiques et moraux à adopter en matière de vie sexuelle en privée comme en milieu social. Comme le dit si bien mon professeur Père Théophile Akoha : « les parents doivent coopérer à l’éducation sexuelle ». La chasteté est la vertu qui développe la maturité authentique de la personne, en la rendant capable de respecter et de promouvoir la « signification nuptiale » du corps. Bien plus, les parents chrétiens réserveront une attention et un soin particuliers à discerner les signes de l’appel de Dieu pour l’éducation de la virginité comme forme suprême du don de soi qui constitue le sens même de la sexualité humaine. Dans le domaine de l’éducation sexuelle, les mensonges déroutent plus qu’ils ne construisent. Elle exige un langage de vérité. Sur le moment, l’enfant ne comprend pas tout mais il a au moins obtenu une réponse vraisemblable. Le reste de l’information viendra avec le temps à commencer par la période de l’adolescence.

Qui sont les différents acteurs impliqués ?
Les premiers acteurs sont les parents, géniteurs des enfants et responsables du devenir social des enfants. Malheureusement, l’éducation sexuelle demeure un sujet tabou dans les familles africaines à cause de la tradition, les préjugés et la peur de ne pas réussir ou de livrer les enfants à la liberté sexuelle. En dehors des parents, l’Etat est le deuxième garant de l’éducation sexuelle à travers les politiques d’éducation et d’information sur la sexualité ainsi que les programmes scolaires visant l’information et la santé sexuelle des jeunes. Il y a enfin les églises, les mosquées et les religions endogènes, qui à travers la promotion des valeurs morales et spirituelles, assurent l’encadrement et l’éducation sexuelle des jeunes.

Le sujet est-il plus urgent à aborder aujourd’hui que par le passé ? Pourquoi ?
Oui, le sujet est plus urgent aujourd’hui que par le passé. Parce que nous sommes à une époque de libéralisation sexuelle où l’amour est réduit au matériel et à l’envie sexuelle avec une sexualité très précoce chez nos jeunes. Le phénomène s’est amplifié avec l’avènement de l’internet, des androïds et les réseaux sociaux de sorte que les jeunes, acteurs des futurs foyers se livrent à des actes ignobles tels que : les sextapes, le sex-friendship, les partouses, l’activité de bizzis (prostitution), les tontines sexuelles et dernièrement le cas de Dubaï porta potty. Face à tous ces fléaux qui dénaturent l’être humain et détruisent jour après jour la famille, cellule de base de la société, il y a urgence de s’attarder sur l’éducation sexuelle des jeunes en vue de sauver la famille.
Les jeunes sont l’espoir de notre humanité et nous devons tout mettre en œuvre pour les accompagner. Malheureusement certains sont comme pris en otage par les réseaux sociaux, les télénovelas et surtout le nouvel ordre mondial qui avance à pas de géant. Les conséquences sont là et légion. La permissivité sexuelle, les peines d’hommes et de femmes meurtris par les crises conjugales, les déceptions amoureuses et toutes monstruosités actuelles en la matière, la dégradation quotidienne de la valeur du mariage, les maisons/foyers encombrés qui n’abritent plus rien (fort taux de mortalité de la flamme de l’amour conjugal et hivernage chronique de la chaleur familiale), l’individualisme qui se développe au sein des couples qui devient alors (moins que des binômes) des paires de personnes, les enfants déboussolés pour cause de divorce ou désunion, la perte de repère amoureux ; l’option du célibat, les incestes, le suicide etc…
L’éducation reste et demeure notre seule arme ; l’éducation par excellence et surtout bienveillante, se fait dans la famille. Alors si les valeurs sont restaurées au sein des familles, le monde se portera bien mieux.

La radio est-elle le moyen privilégié pour en parler ? Pourquoi ?
Aujourd’hui, la radio a son importance dans l’éducation sexuelle des jeunes, mais elle n’est pas le moyen privilégié. Simplement parce que si nous voulons réussir l’éducation sexuelle des jeunes, il faut d’abord les comprendre, chercher à connaitre leur passion et aller vers eux pour encourager à un changement de vie et de comportement sexuel. Le champ des fantasmes sexuels aujourd’hui reste l’internet, les réseaux sociaux, les écrans de télévision, les écoles, et la radio est presque absente à ces endroits, elle ne saurait donc être un moyen privilégié d’éducation sexuelle pour les jeunes.

Par quelle approche la radio participait elle à l’éducation sexuelle des jeunes, par le passé ?
La radio avant l’avènement de l’internet et dans un passé récent, a participé à l’éducation sexuelle des jeunes de plusieurs manières. D’abord à travers la sensibilisation et l’information aux parents car réussir l’éducation sexuelle des jeunes, c’est d’abord réussir à briser le tabou au sein des familles sur le sujet. Et la radio continue cette approche même aujourd’hui pour non seulement sensibiliser mais éduquer les parents qui en réalité trainent des tares qui sont transmises aux enfants. La radio à travers des émissions de sensibilisation des jeunes sur la chasteté, la virginité, l’abstinence et la fidélité jusqu’au mariage, les conséquences liées à une sexualité précoce et enfin les contes, les proverbes et les jeux radiophoniques consacrés à la sexualité. Malheureusement, l’éducation sexuelle des jeunes sur les médias aujourd’hui semble être réduite à la sensibilisation sur les MST, les IST et la promotion des contraceptifs.

Cette approche est-elle adaptée aux réalités d’aujourd’hui ? Pourquoi ?
Cette approche était très bien pensée, mais elle n’est pas nécessairement adaptée aux réalités d’aujourd’hui parce que la génération de ce siècle a perdu l’habitude de la radio et de la lecture. Ils sont sur l’internet, les réseaux sociaux et beaucoup dans les activités récréatives. On ne peut leur en vouloir parce qu’ils vivent tant bien que mal les réalités de leur époque. Bien plus, les contes, les proverbes, les devinettes et certains jeux radiophoniques qui permettaient d’aborder indirectement les sujets d’ordre sexuel ont été tous abandonnés.

Quels sont les besoins et les attentes des jeunes en matière d’éducation sexuelle, aujourd’hui ?
Alors, le premier besoin des jeunes aujourd’hui c’est qu’on les comprenne pour les accompagner et non pas les juger ou les critiquer en prétextant les aider. C’est d’autant plus vrai parce que les jeunes ne sont pas totalement responsables de tout ce qui se passe aujourd’hui. Ils vivent tant bien que mal avec les réalités de leur époque comme nos parents ont vécu la leur. Dans cette logique, les jeunes vous feront comprendre que ce qu’ils font est normal et que les valeurs et comportements que les parents réclament, datent de leur époque. Pour eux, tout va bien. C’est à nous, éducateurs, d’aller vers eux pour les éclairer, leur ouvrir les yeux, les sensibiliser, les former pour une sexualité pleinement vécue dans la perspective de futurs parents accomplis et responsables.

Qu’est ce qui doit être changé dans l’approche actuelle en termes de contenus radiophoniques ?
C’est une question très importante en matière d’éducation sexuelle des jeunes aujourd’hui. Nous ne pourrons pas donner ici tous les détails liés à cette question parce que c’est tout un programme qui mérite réflexion et beaucoup d’attention. Mais il est important de savoir que la première approche aujourd’hui est d’abord de comprendre les jeunes et d’arrêter de les juger, ensuite il faut aller vers eux dans leur passion et centre d’intérêt pour captiver leur attention afin de leur proposer ce que nous attendons d’eux en matière de sexualité.

Que diriez-vous aux jeunes qui pensent que la radio est réservée pour les vieux ?
Les personnes âgées ont gardé l’habitude des moyens d’informations efficaces de leur époque et beaucoup y sont restés fidèles malgré l’avènement de l’internet. De ce fait, c’est facile pour certains jeunes de l’ère du numérique de tenir de tels propos. Cependant les jeunes doivent comprendre que l’internet ne peut tout apporter et ne véhicule pas nécessairement la vraie information. Il y a non seulement des émissions et de leçons de vie mais surtout des informations et des offres qui restent spécifiques à la radio, d’où sa plus grande importance à côté du numérique. Et les vieux (comme ils le disent) ont vite compris cela.

En tant qu’animatrice de l’émission télévisée Unis pour toujours, quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la réalisation des numéros dédiées à l’éducation sexuelle des jeunes ?
Le développement, qu’il soit économique, social ou tout simplement humain, est d’abord un comportement et même un état d’esprit. Aussi, la culture de l’éthique de l’amour est-elle un tremplin durable et efficace pour l’épanouissement des composantes de la cellule familiale. La paix et la sécurité sociales se construisent d’abord à l’intérieur de la famille et aucune action ne serait de trop pour ce faire. C’est la motivation de cette émission qui est dans sa 14eme année. Les difficultés rencontrées sont nombreuses.
Entre autres, des jeunes sont réticents au message véhiculé ; des partenaires nous font des propositions qui vont à l’encontre de la vision-valeur. Certains invités éprouvent de la peur à venir parler d’amour et de sexualité sur un plateau télévisuel.

Quel est le rôle particulier que pourrait jouer la radio universitaire en matière d’éducation sexuelle ? Pourquoi ?
La radio en milieu universitaire aujourd’hui doit trouver les moyens de s’imposer à la jeunesse estudiantine à travers les jeux d’éducation sexuelle, les sensibilisations et les informations relatives à la santé sexuelle. Il y a également les questions de planification familiale que la radio doit savoir aborder dans ses émissions pour mieux orienter les jeunes. Combien de jeunes en milieu universitaire savent aujourd’hui que les méthodes naturelles de régulation des naissances sont scientifiquement documentées par l’OMS et autant efficaces que les contraceptifs et sans aucun impact sur leur corps ? Très peu, je pense.

L’essor du numérique est-il une menace pour la radio ?
Bien sûr que Oui ! C’est une grande menace et la conséquence c’est déjà dans les propos de la jeunesse quand ils pensent que la radio est faite seulement pour les vieux, simplement parce qu’ils ne voient pas autant l’impact de la radio à leur époque à cause de l’allure du numérique. Néanmoins, il est urgent que la radio également s’adapte à l’essor du numérique pour se faire présente dans l’univers de la jeunesse. Sinon ce serait un peu comme l’histoire des photographes et du KODAK qui ont presque disparu avec l’avènement de l’internet et des portables androïds car ils n’ont pas su vite s’adapter.
Propos recueillis par Fredhy-Armel BOCOVO (Coll)



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