Cyriaque Hounnou, administrateur du travail à la retraite au sujet de la loi sur l’embauche : « Les dispositions qui y figurent favorisent les bonnes conditions des affaires »

15 mai 2023

Administrateur du travail à la retraite, Cyriaque Hounnou a donné sa position sur la loi N°2017-05 du 29 août 2017 fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main-d’œuvre et de résiliation du contrat de travail en République du Bénin. Celui qui est chargé de cours à l’école nationale d’administration (ENA) à l’université d’Abomey-Calavi a analysé les contours et éclairé les zones d’ombre des contrats à durée déterminée et indéterminée. Lisez ses réponses à travers cet entretien.

Comment se porte le monde du travail aujourd’hui au Bénin ?

Merci beaucoup. Il faut reconnaître que le monde du travail dans notre pays est très dynamique. Comme partout dans le monde, il évolue tous les jours et en fonction des conjonctures nationale et internationale. Le Bénin suit le mouvement du monde.

Au Bénin, la situation du travail défraie la chronique surtout au sujet du contrat à durée déterminée (CDD) et du contrat à durée indéterminée (CDI). Quel est votre point de vue ?

Le contrat à durée déterminée et le contrat à durée indéterminée sont deux grandes familles du contrat reconnues par les textes qui régissent le travail dans notre pays. Lorsque nous prenons le contrat a durée déterminée, il faut distinguer deux volets. D’un côté, il y a le contrat à durée déterminée dont le terme est fixé à l’avance entre le salarié et le patron d’entreprise. De l’autre côté, nous avons le contrat à durée déterminée dont le terme est certain mais n’est pas fixé au préalable entre les deux parties.
Par exemple, lorsque vous faites un contrat pour une année scolaire, il y a souvent des perturbations qui font qu’on peut finir le 15 ou 30 juin de l’année. On connaît a priori le terme de l’année scolaire mais il peut fluctuer.
Un autre exemple, pour la durée d’un chantier, l’intérêt peut faire que les choses changent. Si c’est prévu pour durer 6 mois, le délai peut être prolongé et aller au-delà de 6 mois à cause des modifications opérées lors de l’évolution des travaux. Tout cela rentre dans le cadre du contrat à durée déterminée. Prenez l’article 13 du code du travail qui dispose que la durée du contrat du travail ne doit pas excéder 2 ans et est renouvelable une seule fois. Cela suppose que vous pouvez faire des contrats de 3 mois, 6 mois, 9 mois ou de 10 mois et vous ne le renouvelez qu’une seule fois. Aujourd’hui, le verrou d’une seule fois est sauté au niveau de l’article 13 de la loi sur l’embauche qui exige plusieurs fois et même indéfiniment. Mais cette disposition fait polémique au sein de l’opinion.
Avant la mise en application de la loi sur l’embauche, le législateur estime que lorsque vous faites le contrat à durée déterminée pour deux ans et même pour un an au maximum et lorsque vous le renouvelez une fois sans aller au terme du contrat, vous pouvez laisser partir le salarié. En conséquence, vous cherchez quelqu’un d’autre pour le remplacer.
En quoi cela profite à un travailleur si on doit le faire partir et chercher quelqu’un d’autre ? La loi dit que vous ne pouvez plus faire un contrat à durée déterminé à l’employé remplacé. Cela oblige le patron à le laisser partir et à chercher quelqu’un d’autre pour faire le travail. Cette situation amène certains employés à tricher et opérer une stratégie pour un semblant de remerciement au travailleur. Il part pour quelques temps, disons pour deux semaines et on le rappelle.
Si le travailleur va se plaindre à l’Etat qu’il devrait bénéficier d’un contrat de travail à durée indéterminée, l’inspecteur du travail était obligé de considérer que le travail était permanent. Il peut estimer que l’employeur avait triché en utilisant cette stratégie. Et que c’est une tricherie de donner quelques jours au travailleur pour après le rappeler pour reprendre. Dans tout cela, l’employé est pénalisé. Si le travailleur a un bon conseiller derrière lui, il va se plaindre à l’inspection du travail. Parce que l’inspecteur du travail était obligé de considérer que le travail est permanent et qu’on devrait recruter le travailleur.
Pour mettre fin à ces insuffisances, l’article 13 de la loi sur l’embauche stipule qu’il vaut mieux renouveler indéfiniment. Et le bénéfice de la loi sur l’embauche est le renouvellement à plusieurs reprises. Le travailleur fonctionne comme s’il était titulaire d’un contrat à durée indéterminée. Dans ce cas, en cas de licenciement, il bénéficie d’un préavis et reçoit toutes les indemnités.
C’est vrai, le contrat à durée déterminée à toujours un effet psychologique sur le salarié. Les travailleurs s’inquiètent tant par rapport à cet aspect de la loi sur l’embauche. On se demande à l’approche si le contrat sera renouvelé par le chef ou pas. C’est vraiment stressant pour le travailleur qui a des charges dans sa famille. Mais fondamentalement aujourd’hui avec cette loi sur l’embauche, on a donné la liberté au travailleur et à l’employeur de poursuivre à volonté leur contrat.
Si le travailleur devrait perdre après les deux contrats, l’employeur aussi perd tout ce qu’il a investi dans la formation du travailleur pendant cette période. Ce n’est pas aisé pour un entrepreneur de recruter quelqu’un et de reprendre une autre personne et commencer par le former, le préparer au rythme de travail au sein de l’entreprise. C’est dommage. Cette mesure n’arrange pas l’employeur s’il faut chercher quelqu’un d’autre. Un employeur ne peut jamais se débarrasser de son meilleur agent.

Cela peut être possible pour des raisons économiques.

Non c’est impossible ! Même dans le cas de licenciement économique que nous appelons le licenciement sans faute.

Comment peut-on expliquer le licenciement économique ?

Cela peut s’expliquer par des problèmes économiques auxquels est confrontée l’entreprise. Il faut aussi ajouter les crises sanitaires comme le cas de la Covid-19, la guerre en Ukraine qui entraîne le rétrécissement du marché mondial. L’entreprise peut être confrontée à l’insuffisance des matières premières pour faire tourner les usines afin de produire. Il faut ajouter l’évolution technologique qui impose aux entreprises un rythme qui peut vous amener à opérer des licenciements économiques au sein du personnel. Le patron a acquis des matériels informatiques de dernière génération pour réorganiser le fonctionnement de sa structure. Il y a certains employés qui sont réfractaires aux nouvelles technologies et ne veulent pas se faire former pour s’adapter aux nouvelles réalités du travail. Finalement, ils deviennent obsolètes. L’entrepreneur ne peut continuer l’aventure avec ces collaborateurs. Voilà autant de motifs qui amènent l’employeur à opérer une compression du personnel de son entreprise.

Quel est le rapport entre la loi sur l’embauche et le code du travail ?

Le code du travail reste toujours d’actualité. Les dispositions contenues dans les textes se complètent. L’article 13 du code du travail a dit que le contrat à durée déterminée est de 2 ans renouvelable une seule fois. Maintenant la loi sur l’embauche aussi prévoit que ce contrat peut être renouvelé indéfiniment. Une entreprise ne peut pas faire un contrat à durée déterminée au-delà de deux ans.

Cela ne pose t-il pas un problème de précarisation de l’emploi ?

Au cours des années 1980 le travailleur n’avait même pas le droit de recruter des employés sans prévenir l’inspecteur du travail. Il n’est pas anormal au plan économique et au plan des affaires de soumettre l’employeur à cette procédure administrative.
Dès que le patron aura un malentendu avec son employé, avant de le renvoyer, il doit aller alerter d’abord l’inspecteur du travail à chaque fois. A partir des années 1990, les textes ont subi une évolution. On a décidé qu’il faut laisser les gens s’entendre pour commencer le contrat et le reste après. Cela permet de donner une célérité dans la gestion et le recrutement au sein des entreprises. Les patrons ont alors fini avec les tracasseries administratives.
Le CDD ne précarise pas l’emploi. Il est prévu dans le texte d’aller jusqu’à terme. Le patron peut mettre fin au CDD en s’entendant avec l’employé. Aujourd’hui, c’est flexible. L’employeur et l’employé peuvent échanger autour de la même table. Pour démissionner, tu peux échanger avec ton chef et donner les motifs si tu as trouvé mieux ailleurs. Le patron peut te comprendre, s’il a un esprit ouvert.

Parlons des licenciements abusifs

La loi 2017 a clarifié un peu le concept de licenciement abusif. Avant, le patron ne donnait pas l’occasion au travailleur de s’expliquer avant de le licencier. Dès qu’il y a des vices de forme, on parle de licenciement abusif. Aujourd’hui, la loi dit non le caractère abusif ne doit plus être lié à des vices de forme. Maintenant à quel moment on considère qu’il est abusif ? Lorsque le travailleur n’a commis aucune faute. Avant d’opérer un licenciement, l’employeur doit donner des explications par écrit. Un employeur a vu son salarié chez sa maîtresse et le lendemain au service il l’a licencié par jalousie. Pour ce cas précis au tribunal, on parlera de licenciement abusif parce que juridiquement il ne lui reproche rien. Dans ce cas, il faut identifier deux choses au profit du travailleur. C’est le dommage et l’intérêt. Pour non respect de la procédure, les textes n’exigent pas deux mois de salaire brut au patron. Le juge peut aller de trois mois à 9 mois de salaire comme dédommagement à payer au travailleur.

Votre mot de conclusion !

Il faut comprendre aujourd’hui qu’à l’origine le droit du travail était considéré comme un droit protecteur du travailleur. La loi sur l’embauche protège l’employeur et l’employé. Les dispositions qui y figurent favorisent les bonnes conditions des affaires au profit du salarié et du patron. Que chacun s’occupe de son emploi. Aucun employeur ne veut se débarrasser de celui qui travaille bien pour le développement de son entreprise. Je crois que nous devons toujours appliquer cette loi en l’expérimentant. On aura le temps de faire le bilan pour une relecture éventuelle par le parlement.

Propos recueillis par Joël SEKOU (Coll.)



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