Dr Marietta GONROUDOBOU à propos de l’autosuffisance alimentaire : Il faut un travail méthodique et minutieux sur des années

27 mars 2023

C’est une agronome pas comme les autres. Menue, fragile en apparence, Marietta GONROUDOBOU est l’incarnation de la volonté et de l’endurance dans l’effort. Déterminée, ambitieuse, elle maîtrise son sujet et partage son expertise avec un vaste réseau tissé sur la toile ces dernières années. Dans les lignes qui suivent, la patronne de « Agro Hikari », le label en devenir de l’agronomie, lève un coin de voile sur son parcours atypique fait de rêves, de difficultés diverses mais aussi et surtout de succès. Identifiée comme un modèle de réussite à même d’inspirer d’autres femmes à ne jamais abandonner, la ressortissante de Kouandé qui nourrit une véritable passion pour l’agronomie n’a pas manqué d’évoquer ses désillusions une fois de retour au pays après sept longues années passées au Japon. Néanmoins, elle reste déterminée à apporter son savoir à l’éclosion des projets agricoles disséminés çà et là. Son apport dans l’enseignement et la recherche ne fera pas non plus défaut.

Que retenir de votre parcours académique ?
J’ai grandi à Natitingou au Nord du Bénin où j’ai fait mon parcours primaire et secondaire. A l’époque, mon père voyageait beaucoup car il travaillait au Mali, au Burkina-Faso...Donc de temps en temps, on allait faire un an à tel endroit, deux ans à tel autre. Mais la base, c’était Natitingou. J’ai eu le Bac en 2009. En ce temps-là, mon rêve était de faire la médecine. Je me suis donc inscrite à la Faculté des sciences de la santé à l’Université de Parakou. Deux ans après, j’ai été recalée pour cause de déficience dans une matière. Cela m’avait d’ailleurs surprise. J’ai voulu faire des réclamations, mais mon père m’en a dissuadé. Du coup, je me suis inscrite directement en deuxième année en Chimie et contrôle de qualité parce que ça se rapprochait de ce que j’avais fait en médecine. Je ne voulais plus tout reprendre à zéro. Dans la foulée, j’ai passé le diplôme de Brevet de Technicien Supérieur (BTS) puis j’ai fait la Licence en contrôle de qualité et génie agroalimentaire. Quelques temps après, j’ai eu une opportunité pour le Japon. Au départ, ce n’était pas vraiment pour aller étudier. C’est un ancien étudiant béninois au Japon qui a facilité un partenariat entre l’Université où il était et celle d’Abomey-Calavi. C’est un programme de six mois ou un an et qui permet aux étudiants béninois de faire une immersion académique au Japon et vice-versa. C’était la première expérience de cette coopération. J’ai postulé et j’ai été retenue pour un séjour d’un an. L’objectif, c’était d’apprendre le Japonais, de m’imprégner de la culture de ce pays et rentrer au pays. Après réflexion, j’ai compris que cela ne me serait pas bénéfique une fois de retour au Bénin. Une fois sur place, Je me suis personnellement battue pour décrocher une inscription en Master. J’en ai discuté avec mon superviseur qui m’a donné un coup de pouce. Ce qui se rapprochait le plus de l’agroalimentaire que j’ai étudiée, c’était l’agronomie et la production végétale. Je me suis dit, puisqu’on y est, autant y aller. Cela a été un véritable coup de foudre, car je me suis sentie à mon aise avec cette spécialité. Chaque jour, j’apprenais quelque chose de nouveau, j’étais curieuse. C’est ainsi que mon aventure académique a commencé et j’ai fait le Master, puis j’ai continué avec la thèse que j’ai finie en 2022.

Pourquoi avoir opté pour la thèse au lieu de s’arrêter au Master ?
J’ai toujours voulu faire la thèse. J’aime enseigner et j’ai toujours voulu le faire à l’université. Pour le faire, il fallait avoir un doctorat. Je n’aime pas non plus la perception qui considère que les femmes doivent avoir une limite dans leurs études. J’ai toujours pensé que les femmes doivent travailler plus que les hommes. Soit, il faut être très riche pour faire entendre sa voix, soit, il faut être excellement compétent dans son domaine pour figurer parmi ceux qui comptent. Ce qui est le plus abordable pour moi, c’est l’excellence dans ma spécialité. Quand on se contente du peu, on se retrouve dans la masse. Lors de l’interview pour le test du Master, j’avais déjà annoncé au jury que mon objectif était d’aller jusqu’à la thèse. Je me rappelle que lorsque j’étais en Licence, un de nos enseignants nous avait demandé les carrières que nous comptions embrasser. A l’époque, j’étais toute menue et je ne faisais pas mon âge. J’avais répondu que je voulais enseigner à l’université. Il a réagi avec un rire moqueur. Cela m’avait marqué. C’est devenu un challenge personnel et j’ai fini par atteindre cet objectif.

Comment avez-vous pris vos marques au Japon ?
C’est toujours difficile de quitter son pays et d’aller dans un endroit où les habitudes, la culture, l’environnement et le climat diffèrent. Le Bénin est connu pour être un pays chaud et accueillant. Là-bas, c’est tout le contraire. Et quand on y va sans bourse, le seul privilège dont je jouissais était l’exemption des frais de scolarité pour la première année, c’est compliqué. Le billet d’avion, les frais de déplacement, l’hébergement et la restauration, tout cela était à ma charge. J’ai bénéficié de l’accompagnement de mon père qui m’a acheté le billet d’avion. Sur place, je devais trouver le moyen de subsister. A mon arrivée, dès la première semaine, j’ai décroché un petit boulot de vendeuse lors d’une foire par le biais de mon superviseur. Il fallait travailler de 11h à 21h avec deux pauses de 30mn. C’était dans la période de mars-avril où il faisait encore extrêmement froid pour la petite béninoise qui se retrouve au Japon.
Après quand je décide de faire le Master, je ne bénéficiais pas d’une bourse, il fallait que je finance mes études. Au cours de ma première année, j’avais la charge mentale de suivre le programme pour lequel j’avais effectué ce déplacement, de préparer l’examen d’entrée qui se passe en Anglais et en Japonais. Avant de voyager, je n’avais pas particulièrement pris des cours d’Anglais. J’ai dû renforcer mon niveau sur le tas. La double charge d’apprendre l’Anglais et le Japonais en même temps, puis songer à passer le test en agronomie que je n’avais jamais fait, c’était un challenge monstre. Mais comme j’ai effectué ce voyage du fait de ma propre volonté, j’ai mis les bouchées doubles. Je dormais peu, je faisais deux ou trois boulots au même moment, l’école de 8h à 17h, puis de 17h à 1h ou 2h, il fallait être à un boulot, le samedi matin on est à un autre, le soir on est ailleurs. C’était sans repos. La nuit, il fallait écourter les temps de sommeil pour étudier en vue du test d’entrée. C’était franchement difficile. Mais après, quand j’ai commencé le Master, le Rotary club japonais offrait des bourses pour les étrangers. Mais pour en jouir, il fallait au préalable être accepté par l’université. Et ce test se fait en Japonais. C’est un peu comme une rédaction sur un thème. Après cela, il faut répondre aux questions variées d’un panel de six personnes toujours en Japonais. C’était un autre challenge. Comme il s‘agit d’une bourse non remboursable, c’est un sacré coup de pouce. Heureusement, j’ai pu l’obtenir pour les deux années en Master. Quand j’ai fini, je devais postuler pour la thèse. Quand j’ai commencé, la première année je n’avais pas de bourse. Mais chemin faisant, j’ai pu décrocher une demi-bourse du gouvernement japonais pour couvrir deux ans de ma thèse. Ce n’était pas grand-chose, mais cela m’a soulagé et m’a permis de me concentrer sur mes études. Quand on est en thèse, l’université vous propose un contrat d’assistant de recherche et on est payé pour ça. On fait des heures de travail avec le superviseur et on régule les travaux dirigés et les travaux pratiques avec les étudiants des 2ème et 3ème années, conduire des sujets de recherche...

Venons-en à présent à votre présence remarquable sur les réseaux sociaux. La création de votre page « Agro Hikari » a été motivée par quoi ?
Au départ, il s’agissait d’un blog personnel. J’ai initié la page le 1er janvier 2021. J’ai considéré ça comme le challenge de cette année-là. Avant cela, j’ai été tellement occupée sur plusieurs fronts que j’étais complétement effacée des réseaux sociaux. A l’avènement de la Covid, en 2020, l’endroit où je faisais un petit job avait fermé et je n’arrivais plus à travailler. Et pour quelqu’un qui est habitué à travailler 22h/24h, j’étais malade. Habituellement, quand je finis à 18h à l’université, j’allais travailler jusqu’à 1h ou 2h du matin avant de rentrer. Et j’étais suffisamment fatiguée pour penser à autre chose. Quand d’un seul coup, on est obligé de rentrer à 18h, on se sent oisive. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. En même temps, l’environnement du travail au Japon n’est pas facile. Le Japonais aime tellement la perfection qu’il te blâme à chaque erreur. Ce n’est pas du racisme, car ils sont pareils entre eux. Etant déjà habituée à ce niveau d’exigence, je devais trouver quelque chose à faire pour ne pas devenir littéralement folle. C’est ainsi que m’est venue l’idée de créer le blog. Au début, je partageais mes expériences pour montrer aux gens ce que je fais. Pour moi, c’était juste banal. Mais j’ai constaté que les gens en avaient vraiment besoin. J’avais des retours très positifs. Du coup, j’ai continué. Je faisais au moins une publication par jour. Après un certain temps, des jeunes filles ont commencé par m’écrire pour m’exposer leurs préoccupations. En trois mois, j’étais déjà à plus de 4000 abonnés. J’ai ensuite poursuivi avec le partage de mon expérience personnelle, un peu comme une autobiographie. Cela a vraiment emballé les internautes. J’ai atteint 10 000 abonnés au bout d’un an. J’ai donc pensé à partir de ce moment-là qu’il fallait commencer à faire du concret. Au lieu de continuer à faire du bénévolat comme je le faisais déjà, il faut mettre un prix sur chaque prestation car j’ai commencé par être acculée par les demandes. Quand on veut faire du concret, on ne peut pas le faire seul, il faut une équipe et des gens sur qui compter. Et puisque tout ne peut se faire en ligne, il faut des gens sur le terrain qui doivent être payés. J’ai donc pensé à un mécanisme qui permet d’avoir des ressources. Même si, à titre personnel, je n’ai pas de bénéfices les premières années, il faut quand même payer ceux que je sollicite. Voici comment Agro Hikari a vu le jour.

En quoi consiste le challenge agro hikari ?
Je recevais beaucoup de messages de femmes qui s’activent dans le domaine de l’agronomie. Vous savez, le monde des réseaux sociaux, c’est le glamour, ce sont les influenceurs, c’est la vente du rêve, etc. On ne s’affiche donc pas comme étant une agricultrice à l’œuvre dans son champ ou dans ses serres, car la tendance est de montrer le côté glamour de sa vie. Quand, sans complexe aucun, je me filme en train de travailler dans les serres, cela a créé une certaine révolution au niveau des femmes. Je peux m’afficher propre, jolie, bien maquillée, mais je montre également mon environnement de travail et ce que je fais. On n’a pas à en avoir honte. Comme j’avais beaucoup de retours des femmes dans le domaine, je me suis mise à réfléchir dans le but de créer quelque chose qui leur donne de la visibilité, de la confiance dans ce qu’elles font et qu’elles puissent s’inspirer mutuellement. J’ai donc lancé l’idée du challenge et curieusement, mes proches m’ont soutenu à travers des dons pour constituer les lots à remettre aux gagnantes. On a fait le suivi jusqu’à voir les impacts dans leur rendement. J’étais fière de moi et je me suis dit qu’il ne fallait pas s’arrêter en si bon chemin. C’est ainsi que la 2ème édition a été lancée.
En gros, les candidates font une vidéo de 5 à 7mn dans leur environnement de travail. Elles présentent ce qu’elles font aux internautes. Cela leur permet de se faire connaître et d’étoffer leur carnet d’adresses. L’année dernière, nous avons eu des candidates du Sénégal et du Burkina-Faso. Je ne suis donc pas suivie que par les Béninois. Tout le monde y participe quelle que soit la nationalité.

Agro Hikari s’intéresse également à la communication et au pilotage de drone. Quel est le lien avec l’agronomie ?
Il faut dire que actuellement notre page a environ 14 000 abonnés sur Facebook. Nous avons également notre forum où nous avons plus de 6000 membres, notre chaîne Agro Hikari Tv qui est à près de 2500 abonnés et près de 60 000 vues en moins de deux ans. Nous formons une communauté. Lorsque des employeurs me contactent pour des recrutements de techniciens agricoles par exemple ou pour des actions de visibilité, on a dû mettre un prix sur les prestations pour amortir les charges. Voilà comment on s’est lancé dans des services de communication. Pour faire toucher du doigt au public les challenges et les difficultés des agriculteurs, on fait ces vidéos qu’on diffuse. Cela peut susciter des réactions des autorités ou des partenaires techniques et financiers. Quant au drone, j’ai mon jeune frère avec qui j’ai fait la thèse qui a travaillé sur l’intelligence artificielle en agriculture. Il utilise les drones pour faire l’inventaire des forêts, des maladies probables que les productions agricoles pourraient développer, comment utiliser le drone et ces images et certains logiciels d’application pour contrer certaines maladies ou certains problèmes identifiés très tôt et les traiter. J’ai jugé utile d’associer sa science à ce que nous faisons à Agro Hikari afin que la communauté que nous formons bénéficie de son expertise comme nous le faisons avec les autres consultants qui travaillent avec nous. Nous avons une rubrique dénommée « Agro Hikari pépites » qui nous permet de faire la lumière sur les jeunes chercheurs africains éparpillés aux quatre coins du monde.

D’où est alors venue l’idée de former ceux qui le désirent en Anglais ?
Quand j’ai commencé les publications sur mon blog personnel, je partageais les opportunités de bourses. Ayant beaucoup trimé au cours de mon parcours, je pense que lorsqu’on bénéficie d’une bourse, ce n’est pas forcément pour aller vendre son talent ailleurs. Je crois que tout Béninois qui quitte le pays a envie d’y revenir et de mettre à disposition des siens ce qu’il a appris. Donc, quand j’ai des opportunités, je les partage avec les autres. Et j’ai remarqué que beaucoup ont un faible niveau en Anglais. J’ai donc créé l’environnement pour des formations pointues en Anglais avec des prix très compétitifs. Il y a également des cours particuliers avec les coachs selon les objectifs recherchés par les uns et les autres.

Abordons maintenant le cas du Bénin. Malgré toutes les potentialités dont jouit le pays, pourquoi ne parvient-il pas à atteindre l’autosuffisance alimentaire ?
Quand je rentrais, après sept années passées au Japon, j’avais pour objectif de mettre au service de mon pays ce que j’ai appris. Je voulais installer un centre d’expérimentation où les personnes intéressées pourront venir toucher du doigt ce qu’on propose. Dans le même temps, quand j’étais au Japon, je suivais certaines personnes sur leur ferme et j’envoyais au besoin des collaborateurs sur le terrain. Je voyais les difficultés qu’ils rencontraient. Quand je suis rentrée, j’ai effectué le déplacement sur quelques fermes et j’ai mieux vu la réalité. Du coup, j’ai pris du recul par rapport à la mise en place d’un centre d’expérimentation. Le problème se situe à divers niveaux. Des citoyens ont envie d’investir dans le domaine agricole, de développer les cultures vivrières et autres. De son côté, le gouvernement dit mettre en œuvre tout ce qu’il faut pour que les producteurs n’aient pas de problèmes. Mais quand on est sur le terrain, on sait ce qui se fait en réalité. A titre d’illustration, si j’ai un champ de 1 ou 2 hectares, j’ai besoin d’un certain nombre de sacs d’engrais. Lorsque je vais en acheter et qu’on me limite à 1 ou 2 sacs, on ne peut plus avoir les résultats escomptés. C’est cela la réalité. En plus, c’est un service dédié qui vend le produit et aucune autre structure ne peut le faire. C’est compliqué quand ça se passe ainsi. L’agriculture, c’est beaucoup d’investissements. Les réalités n’encouragent pas à investir car le retour sur investissement est déjà hypothéqué. L’accès aux intrants n’est pas chose facile pour les producteurs. Il y a aussi la mauvaise foi de ceux qui travaillent pour eux sur le terrain. A titre d’illustration, sur la ferme d’un client, j’ai lancé les pépinières avec lui, tout allait bien et ça a donné un rendement de près de 90%. A la date du repiquage où ils ont prévu faire 200m2, l’équipe chargée de travailler avec lui a fait à peine 50m2 et tout le monde a disparu. C’est quelques jours plus tard qu’il a réussi à croiser à nouveau quelques-uns. Pis, même ce qui a été transplanté, au lieu de le faire dans un timing où il n’y a pas trop de soleil, ils l’ont fait à leur guise et quand ils ont arrosé, 50% étaient déjà secs. C’est décourageant pour les promoteurs de fermes qui y mettent leurs sous. Je vais également ajouter comme handicap la mauvaise formation ou la non formation de ceux qui se lancent en agriculture. On se dit que la terre ne ment pas, mais en même temps il y a des choses basiques qu’il faut connaître avant de se lancer. C’est comme un médecin qui ne connaît pas les soins infirmiers. Comment va-t-il alors les prescrire et les confier aux infirmiers ? L’autre chose, contrairement à ce que les gens pensent, l’agriculture ne peut pas être une activité secondaire. Quand on veut le faire et qu’on veut les résultats, il faut être présent.
Si on veut entrer en profondeur dans les problèmes, si on prend les zones au Nord où on a des sols avec beaucoup de cailloux, il faut déjà revoir la manière de travailler et de nourrir nos sols. Cela est lié à la recherche et aux politiques publiques ainsi qu’à la place qu’on accorde aux cultures vivrières.

A vous écouter, ce n’est pas demain la veille...
Ce n’est pas demain et nos décideurs en sont conscients. Il faut vraiment un travail méthodique et minutieux qui va prendre des années pour arranger ce qui est défectueux avant d’espérer faire un bout. Le Japon l’a fait. Il y a un département là-bas où leur sol était mort, c’était un sol très salé qui ne pouvait rien produire. Mais aujourd’hui, c’est le département qui produit le plus. Ils ont retravaillé et restructuré les sols. Cela leur a pris des années. Mais il faut savoir ce qu’on veut, avoir la bonne volonté politique et y mettre les moyens. La recherche, c’est beaucoup de moyens et on ne peut pas toujours espérer que les autres trouvent des solutions à nos problèmes chez eux.

Quid des universitaires locaux qui trouvent des solutions en laboratoire et qui rechignent à les appliquer ?
Je vais vous raconter une anecdote. Quand je suis rentrée au pays, j’ai été à l’université de Parakou pour faire des prospections. J’ai discuté de la possibilité de collaboration avec un enseignant qui a une doctorante qui a besoin de mon expertise pour ses recherches actuelles. Quand j’y suis allée, il y avait trois différentes méthodes que je lui ai proposées pour faire son expérimentation et obtenir des résultats très pointus et fiables qu’elle pourrait brandir n’importe où dans le monde. Quand j’ai évoqué la méthode la plus pointue, elle m’a répliqué en même temps qu’il lui était impossible de l’utiliser pour la simple raison qu’il lui faut d’abord un financement. En effet, il fallait acheter une pompe et faire les installations, tout ceci fait un budget d’environ trois cent mille (300 000fcfa). Pour le citoyen lambda qui n’a pas un financement pour sa recherche, où va-t-il trouver les ressources ? Des fois, certains enseignants assurent le financement de leurs propres poches. Mais quand on finit de faire ça, pour vulgariser les résultats des recherches, c’est encore tout un problème. C’est là que Agro Hikari se positionne pour mettre la lumière sur ce qui se fait dans les laboratoires. Pour en revenir à la doctorante qui fait l’aquaculture, un système qui produit en même temps du poisson et des légumes, elle voulait procéder à l’expérimentation pour mieux apprécier les résultats et l’améliorer. Déjà s’il faut avoir le prototype qu’elle a, à petites échelles, il faut débourser environ trois cent cinquante mille (350 000 fcfa). Les laboratoires auront beau accoucher de recherches, il faut de l’argent par la suite pour la diffusion. C’est pour cela que la question des moyens est cruciale. Ailleurs, chaque laboratoire a un financement annuel de l’Etat et de l’université. Donc quand ils acceptent un étudiant boursier, celui-ci est payé chaque fin du mois pour ses dépenses, mais on verse également de l’argent au laboratoire pour soutenir les recherches. Ou encore, lorsqu’une entreprise de production de tomates par exemple a un problème, elle se met en partenariat avec un laboratoire, assure le financement pour la recherche et le brevet est en son nom. Hélas, je ne vois pas ce mécanisme au Bénin. La plupart des financements viennent d’autres laboratoires et d’autres institutions internationales. Il faut comprendre que ceux-là ne financeront pas quelque chose qui ne les arrange pas. Donc ils viennent avec leurs exigences qui ne cadrent pas forcément avec nos réalités et nos difficultés. Etant à mi-chemin entre les producteurs et les chercheurs, c’est difficile de prendre position.

Quels conseils avez-vous à donner aux jeunes filles qui souhaitent réussir leur vie sans forcément dépendre d’un homme ?
C’est une question de volonté et d’objectif personnel. Il n’y a rien qu’on veuille faire qui soit facile. Quand c’est facile, c’est que ce n’est pas bon. Plus c’est difficile, plus le résultat sera bon. Quand j’étais au Japon, plusieurs fois, j’étais à bout, j’ai eu envie d’abandonner. Mais, à chaque fois, quand je regarde ce que j’ai déjà traversé, je me dis que ce serait un gâchis de s’arrêter en si bon chemin. Je me donne du courage et je continue de faire des efforts. Tenez ! Jusqu’à une semaine de la date limite de dépôt des dossiers pour ma soutenance de thèse, je ne savais pas si j’allais soutenir. C’était difficile à ce point parce qu’il y avait tout un embrouillamini avec mes professeurs, mes superviseurs. Il fallait publier un article à l’international avant d’être acceptée. L’article en question avait été envoyé, la réponse des revues n’était pas vite parvenue. C’était déstabilisant, fatigant et énervant. Mais il ne faut jamais abandonner et c’est ce que j’ai appris de plus important au Japon. En réalité, ce que nous voyons comme une difficulté est une porte sur notre futur succès. Si on rencontre une difficulté aujourd’hui qu’on met sur une échelle de 7/10, demain si on rencontre la même difficulté, on la mettra sur une échelle de 1/10. Plus on relève les défis, plus on devient fort mentalement, physiquement et plus rien ne vous arrête. On gagne en expérience et en argent, car quand on devient crédible, les gens croient en vous et l’argent rentre de partout.
Un autre conseil fondamental, il ne faut pas écouter la société, mais se fier plutôt à ses propres ambitions et se battre pour les réaliser. On peut mentir à tout le monde, sauf à soi-même. Il faut savoir ce que l’on veut et se donner les moyens d’atteindre ses objectifs. On ne peut pas vouloir aller à Natitingou et prendre la voie de Lomé.

Vous semblez banaliser l’importance de l’argent dans l’accomplissement des rêves. Sans argent, même pétri de volonté, que peut-on faire ?
La volonté appelle l’argent. Je suppose que l’ambition est d’avoir une serre agricole pour produire des légumes, il faut déjà commencer par deux petits pots à la maison. C’est au fur et à mesure que cela se développe et s’étend. L’argent viendra d’ailleurs, mais le projet vient d’abord de soi. Ce qui vient de l’extérieur n’est qu’un bonus. Quand j’allais au Japon, quand j’y pense, c’était une angoisse indescriptible. J’avais un visa d’un an et il fallait rentrer au pays après. Je suis allée en avril, le test d’entrée pour le Master était en septembre. Je n’avais que six mois pour préparer ce test et le passer avec succès, si non, c’était la fin de mes rêves. En plus, je n’avais aucun soutien sur place et je devais survivre. Quand on veut vraiment quelque chose au fond de soi, c’est que la Providence a déjà mis les moyens. Il ne faut donc pas négliger le côté spirituel et donner 1000% de ses capacités pour surmonter tous les obstacles. Il faut donc se donner les moyens de réussir ses challenges.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU



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