Au Bénin, le grade de docteur des universités n’est plus un mythe. Mieux que par le passé, les soutenances de thèse se multiplient dans les universités béninoises, et les titulaires ne manquent aucune occasion pour faire remarquer leur titre. A quelles fins ? Enquête au Campus universitaire d’Abomey-Calavi.
M.Y. a toujours imaginé sa vie postdoctorale, épanouie et prospère. « Les choses ne sont pas aujourd’hui comme je l’ai pensé », se désole-t-il. Aujourd’hui enseignant vacataire dans des établissements de l’enseignement supérieur, il aurait voulu mieux mais, avec la réalité sur le terrain, il a fini par se raviser : « Croire qu’il faut avoir le doctorat pour mieux vivre et s’enrichir, c’est du leurre. Quand on a le doctorat c’est pour faire de la recherche, apporter quelque chose de nouveau au monde universitaire, à son pays et à l’humanité. En visant un tout autre objectif, vous pouvez être désillusionné à la fin ».
Tout comme lui, beaucoup de jeunes se retrouvent découragés, du fait d’un manque d’opportunités pour améliorer leur niveau de vie. Des consultations sur des projets, une expertise à vendre à des institutions publiques et internationales, ou à défaut, un recrutement dans une université nationale du Bénin, de jeunes docteurs restent sur leur soif. Cependant, d’autres ne désespèrent pas. « Chacun se débrouille pour résoudre les problèmes qui se posent à lui. Pendant que certains font des cours de vacation, d’autres se mettent à l’entreprenariat ou se trouvent des activités parallèles », a-t-il poursuivi.
Dans l’attente d’un « gros salaire »
Ce diplôme du 3e cycle fait courir encore beaucoup d’autres jeunes. D’aucuns y voient ainsi l’engouement des Béninois pour les études, avec l’épopée du quartier Latin d’Afrique depuis 1947. « L’amour du Béninois pour les études a entrainé son amour pour les diplômes, donc le doctorat. Il faut aussi noter que pour le commun des béninois, c’est lorsqu’on a obtenu les meilleurs diplômes qu’on a réussi sa vie », explique Laurent De-Laure Faton, Docteur en Communication. D’autres s’accrochent aussi à ce grade pour se démarquer de la grande masse de spécialistes qui se retrouvent dans leur domaine de compétence et qui sont en attente d’un emploi prometteur. La course s’est surtout accentuée après l’amélioration des statuts des enseignants du supérieur, après de longs bras de fer. « Après l’arrivée du président Boni Yayi au pouvoir, le niveau de vie et de travail des enseignants du supérieur a beaucoup évolué notamment à partir de 2007. Leur salaire a été augmenté et ils avaient quelques privilèges », se souvient docteur Faton. Pour lui, cet état de chose a fait croire aux gens qu’il fallait coûte que coûte avoir le doctorat et enseigner au supérieurs afin d’avoir une meilleure vie et un gros salaire.
Il faut des docteurs créateurs, selon Brice Sinsin
Aujourd’hui, le besoin de personnels enseignants dans les universités nationales se fait de plus en plus remarquer, surtout avec l’admission des Professeurs à la retraite. Le Gouvernement travaille à recruter de jeunes docteurs. Mais certains attendent toujours d’avoir leur chance, après les investissements colossaux réalisés. Invité sur l’émission Zone Franche du 7 juin 2020, l’ancien Recteur de l’Université d’Abomey-Calavi s’offusque de ceux qui se plaignent de moyens pour mettre en pratique les fruits des recherches faites à la thèse. « Quelqu’un qui sort avec un doctorat et qui dit, sans moyen qu’il ne pourra pas avancer d’un pas, il vaut mieux l’enterrer en même temps. Il risque de devenir un danger pour la société. Le doctorat, c’est le premier diplôme qui ouvre les horizons pour aller chercher de l’argent. Il y a toujours de l’argent qui circule quelque part. Il faut courir pour gagner des projets ». Le Professeur Brice Sinsin invite ses pairs à motiver les jeunes et demande une meilleure politique d’orientation depuis la base. En attendant, les aspirants au grade de docteur espèrent, tout comme ceux qui l’ont déjà et qui cherchent les pistes du bonheur.
Jérémie ASSOHOUNME & Freddy AKPO (Stags)
- 2 octobre 2024