Entretien avec Damien Odountan, sur la prostitution : « Si rien n'est fait, nos us, coutumes et valeurs n'auront plus de sens… »

23 septembre 2024

La Police Républicaine a enclenché une lutte contre les travailleuses de sexe à Cotonou et à Parakou. Damien Odountan, socio-anthropologue, partage son analyse sur les enjeux socioculturels de cette opération. Il salue l’initiative tout en appelant à une approche plus respectueuse des droits humains, avec un accent sur la sensibilisation et la réinsertion sociale de ces travailleuses de sexe. Lisez plutôt !

La Police Républicaine mène actuellement une lutte contre les travailleuses de sexe à Cotonou. Quel est l’objet de cette lutte ?
Je crois que cette lutte vise à préserver les valeurs morales et familiales. Mais cette manière de voir les choses peut être perçue différemment. D’abord, à Cotonou comme dans tout milieu, la génération des aînés et des adultes verra que c’est bien de préserver les valeurs morales et familiales, en refusant l’atteinte à la pudeur. Par contre, la jeune génération peut voir cela comme une gêne venant de la Police Républicaine. Pour ma part, en tant que socio-anthropologue, je pense que cette lutte menée par la Police Républicaine n’est pas mauvaise. Au contraire, elle permet de corriger beaucoup de choses. Si rien n’est fait, nos us, nos coutumes et nos valeurs qui fondent la réalité de notre morale et de notre famille n’auront plus de sens. Donc, pour moi, c’est une bonne chose de s’engager à préserver ces valeurs.

Existe-t-il des divergences notables dans la manière dont les différentes couches sociales interprètent ces valeurs ?
Forcément, il y aura des divergences dans la manière de voir les choses. Les jeunes générations vont raisonner autrement que nos aînés. Quand on parle aujourd’hui de pudeur, parfois, les jeunes générations, influencées par des mœurs occidentales, trouvent cela normal. Alors que l’ancienne génération, qui tient à la préservation des valeurs morales, n’appréciera pas cela.

Quelle est la relation entre les travailleuses de sexe dans les espaces publics et l’activité des leaders des produits psychotropes ?
Je crois que la présence des travailleuses de sexe et la vente des produits psychotropes peuvent être liées. Dans ces milieux, chacun vient vanter les mérites de ses produits aphrodisiaques. On sait bien que leur publicité et marketing ne sont pas toujours en adéquation avec la réalité. Cela peut avoir des impacts négatifs sur la santé, car leur présence dans les espaces publics, associée à la promotion de certains produits, peut entraîner des répercussions néfastes sur la population. On pourrait dire qu’on tolère ces activités, car la prostitution est un vieux métier qui existe depuis longtemps. Mais il faut aussi veiller à préserver la pudeur et la santé publique.

Et en quoi la régulation des activités des travailleuses de sexe influencera-t-elle la dynamique du genre et les normes sociales au Bénin ?
La régulation des activités des travailleuses de sexe influencera forcément et les normes sociales peuvent davantage être préservées. Dans des villes comme Cotonou, il y a des écoles et des centres d’apprentissage situés dans les mêmes environnements où ces travailleuses s’exhibent. Réguler cela permettra de renforcer les normes sociales, l’éthique et la protection des jeunes. Cela aura un impact positif sur l’éducation des enfants et des élèves.

Quels sont les impacts réels d’une telle opération sur la réduction des ISTs dans la communauté concernée ?
Cette opération aura des impacts. En recadrant leur profession, en leur assignant des lieux spécifiques et en empêchant qu’elles déambulent dans les rues, cela pourrait réduire les comportements sexuels à risque et, par conséquent, les IST dans les communautés ciblées.

Dans votre posture de socio-anthropologue, pensez-vous que les programmes de sensibilisation sur les risques sanitaires liés au racolage sont suffisants et adaptés aux réalités des travailleuses de sexe ?
En tant que socio-anthropologue, j’ai participé à plusieurs programmes de sensibilisation sur les risques liés aux infections, au VIH et aux IST. Ces sensibilisations visent à expliquer comment se protéger. Je pense qu’on sensibilise aussi les travailleuses de sexe, qui, parfois, prennent des précautions. Cependant, le phénomène persiste et se multiplie. Nous devons orienter les sensibilisations autrement, en montrant à nos jeunes élèves et apprentis que ce phénomène n’est pas une bonne voie. Il ne s’agit pas seulement d’une question de santé, mais aussi de morale.

Pensez-vous que l’opération d’interpellation contribuera réellement aux résultats escomptés ?
Je pense que l’interpellation peut réduire le phénomène, mais à elle seule, elle ne suffira pas à éradiquer complètement le problème. Elle doit se faire dans le respect des droits humains. Les travailleuses de sexe sont des êtres humains, et il est crucial de tenir compte de cela pour agir avec dignité.

Quel aspect de cette opération pourrait être amélioré pour mieux équilibrer la préservation des valeurs morales, la santé publique et les droits des travailleuses de sexe ?
Je crois que l’aspect de l’interpellation peut être amélioré. Elle doit se faire dans le respect des droits humains. Il ne faut pas les brutaliser ni les malmener, mais plutôt les sensibiliser et réfléchir avec elles sur des moyens d’améliorer leur situation.

Est-ce que d’autres personnes pourraient être touchées par cette opération ?
Oui, je pense que l’activité de la Police Républicaine a un effet dissuasif. Cela pourrait dissuader les jeunes filles qui abandonnent l’école ou qui se lancent dans cette activité.

Peut-on s’arrêter à l’interpellation uniquement ?
La prostitution est une activité millénaire. Il est difficile de la faire disparaître, mais il est possible de la réguler pour qu’elle ne corrompe pas les bonnes mœurs.

Vous le disiez tantôt, la prostitution est le plus vieux métier au monde. Est-ce qu’on peut en finir ?
Je crois qu’il serait difficile de dire qu’on va finir avec la prostitution. La prostitution existe déjà depuis le temps de Jésus et peut-être même bien avant.

Quelle serait votre approche pour traiter les problématiques soulevées par le racolage et le travail de sexe au Bénin ?
Il est important de réguler et de cadrer cette activité pour éviter qu’elle n’affecte les mœurs et l’éducation de nos jeunes. Il faut aussi penser à la réinsertion sociale de ces personnes.

Votre mot de la fin
Je crois que la Police Républicaine mène un travail noble. Cependant, elle doit veiller à respecter les droits humains et à éviter toute forme de violence dans ses actions.
Réalisation : Mahussé Barnabé AÏSSI (Coll.)



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