Entretien avec Daniel Mwana Wa Nzambi Makiesse, Professeur ordinaire à l’université de Kinshasa et à l’école de guerre de Kinshasa : « La sécurité d’un Etat dépend de la sécurité dans la région »

Moïse DOSSOUMOU 6 octobre 2022

Invité par la Fondation Konrad Adenauer pour présenter une communication sur les problèmes posés par l’application des mécanismes européens de coopération sécuritaire en Afrique, Daniel Mwana Wa Nzambi Makiesse, Professeur ordinaire à l’université de Kinshasa et à l’école de guerre de Kinshasa fait un état des lieux de la sécurité et évoque le défi pour le continent de construire une sécurité commune dans un espace commun. Il a profité de l’occasion pour s’entretenir avec les députés membres du Réseau des parlementaires africains membres des commissions défense et sécurité (REPAM-CDS) qui tient sa 6ème Conférence annuelle à kinshasa du 05 au 07 octobre.

Que peut-on retenir de votre communication ?

Il était question dans le cadre de cette Conférence de voir dans quelles mesures l’Afrique a pu développer ses propres mécanismes de coopération sécuritaire, en tirant un peu profit de l’expérience européenne et nous avons constaté que l’Afrique a pu asseoir des cadres, des mécanismes pour essayer de construire progressivement une sécurité commune, mais avec quelques difficultés liées principalement à une nécessité de développer une certaine intelligence commune pour plus de résultats. Mais le processus évolue et les 50 prochaines années auront beaucoup plus des perspectives meilleures que les 50 précédentes.

L’agenda 2063, qu’en dites-vous ?

Cet agenda est une prise de conscience par l’Afrique d’un impératif de projection de manière à ce que les prochaines étapes ne soient pas improvisées. En ce moment, nous avons déjà accompli la première étape qui est l’opérationnalisation d’une zone africaine de libre échange et on ose croire que nous aurons les premières marchandises sans douanes à partir du 30 septembre 2022. C’est une avancée considérable. Les Africains doivent savoir qu’il y a d’autres étapes en veilleuse à savoir l’Union douanière, un marché commun, une union monétaire économique. Malgré quelques difficultés que nous avons en Afrique, le processus est en marche.

En quoi le libre échange contribue à la construction de la sécurité ?

La sécurité a longtemps été analysée et exploitée sous l’angle militaire. Et pourtant, la meilleure sécurité est de veiller à ce que le voisin soit dans la stabilité, car mes intérêts deviennent communs aux siens. C’est en ce moment qu’on atteint un niveau maximal et optimal de la sécurité et on en prend soin. Le voisin est désormais perçu comme un co-citoyen. C’est ainsi qu’on forme une nouvelle cité panafricaine et ça nous permet de regarder plus loin surtout en tenant compte de notre histoire. Nous avons longtemps été les victimes et il est très important pour nous de pouvoir développer une capacité d’échanges et d’intelligence avec les autres continents qui sont aussi en intelligence. Il y a 50 ans, l’Union européenne entamait ses premiers pas. Le siècle passé, c’était des conflits entre européens. Mais aujourd’hui, ils ont une monnaie unique et elle a besoin de stabilité. Donc ils construisent la sécurité progressivement y compris dans les domaines non militaires. Nous avons vu aussi comment un Etat peut s’effondrer par la Covid19. Un Etat n’est pas toujours attaqué par une armée classique. Il peut s’effondrer par une crise financière, monétaire, sanitaire. Cela se construit par une intelligence de gouvernance et par la prospective. Vous imaginez l’avenir, vous invitez l’avenir et vous programmez l’avenir. Si on le fait ensemble, on dort avec quiétude par rapport à nos voisins. Et cela, c’est une culture africaine.

En Afrique, il y a quand même des conflits terribles. Ici même dans votre pays, l’Est de la RDC est attaqué par le Rwanda qui est un pays africain. Par quels mécanismes peut-on en finir avec ces types de conflits ?

Les scientifiques apportent leur expertise pour aider la prise de décision. Un des éléments très importants de la consolidation des Etats africains est de structurer les aides à la décision. Cela doit être mûri par les expertises, par les approches et par l’anticipation. Ici les parlements nous ont invité pour que nous donnions notre conception de l’actualité. Sur cette question, chaque pays pense agir dans l’espace de l’autre. C’est de la géopolitique. Souvent cela abouti à deux faits : soit à la rivalité, aux conflits, soit à l’alliance. La géopolitique n’aboutit pas toujours à la guerre. Nous devons faire l’effort d’imaginer la responsabilité de la RDC comme un Etat pivot en Afrique centrale. C’est un grand espace. C’est le pivot énergétique et forestier. Il est important pour l’Afrique que la RDC soit dans la sécurité en commençant par les pays voisins. Il faut que les Etats consolident un dialogue sur les intérêts stratégiques. Il est très important d’explorer toutes les pistes pour que la sécurité commune soit vraiment un intérêt commun pour les Etats africains y compris ceux qui ne le réalisent pas encore aujourd’hui. La sécurité d’Un Etat dépend de la sécurité dans la région. Vous ne pouvez pas être seul sécurisé dans un environnement d’instabilité. L’Union africaine construit cela et c’est un effort qui doit continuer.

Vous sembliez dire que les pays européens ont cherché à se ressembler avant de se rassembler mais que l’Afrique a procédé inversement. Notre continent peut-il se rattraper ?

L’Afrique se rattrape car elle a réalisé beaucoup de choses en peu de temps. Il faut conjuguer ensemble une stratégie pour pouvoir avancer et l’Union européenne ne s’est pas faite du jour au lendemain avec 27 Etats membres. Elle est partie de 6 Etats et les autres venaient s’ajouter en respectant les critères. Ils ont essayé de maintenir une certaine cohésion. Lorsqu’un Etat n’est pas d’accord, il a la souveraineté de se retirer. C’est le cas du Brexit. Mais les autres construisent une monnaie unique, un espace d’intérêt commun...
L’Afrique a sa réalité. Elle a connu la colonisation, donc elle n’avait pas le temps de partir d’une zone de libre échange à l’Union douanière. L’Afrique avait un problème sécuritaire à l’époque qui était l’autodétermination. Après 50 ans, on se décide à formaliser le processus d’intégration économique. C’est ainsi qu’il y a eu l’agenda 2063, mais avant, il y avait l’acte constitutif de l’Union africaine. Aujourd’hui, nous allons vers la zone de libre échange continentale pour l’Afrique. Ce chantier avance et il y a d’autres étapes en perspective qui sont déjà programmées.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU



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