Dans cet entretien, Ekwe Jean DOSSA, expert en gestion des sols et directeur à International Fertilizer Development Center (IFDC), répond à la problématique de l’impact des engrais chimiques sur les sols. Face à la dégradation des terres agricoles sur le continent, il appelle à une approche intégrée qui combine les bonnes pratiques agricoles, l’utilisation raisonnée des engrais et la préservation des écosystèmes pour garantir une sécurité alimentaire durable.
Qu’est-ce qu’un sol en bonne santé ?
Un sol en bonne santé est un sol qui peut soutenir de manière durable la production agricole sans polluer l’environnement, tout en préservant la santé des humains, des animaux et des écosystèmes qui dépendent de ce sol. Il doit être capable de fournir des aliments de qualité, de manière stable, tout en préservant les ressources naturelles et sans affecter négativement les écosystèmes locaux. Pour maintenir des sols en bonne santé, il est essentiel d’adopter de bonnes pratiques agricoles. Cela signifie notamment identifier et lever les contraintes de productivité du sol, comme l’acidité, la compaction ou le manque de nutriments. Une fois ces problèmes identifiés et corrigés par des pratiques adaptées, on peut restaurer la santé du sol et garantir qu’il reste productif à long terme.
Quelle est la différence entre la fertilité des sols et la bonne santé des sols ?
La fertilité des sols et la santé des sols sont deux concepts différents, mais interconnectés. La fertilité fait référence à la capacité d’un sol à fournir les nutriments nécessaires à la croissance des plantes, tandis que la santé des sols englobe un éventail plus large de facteurs. La fertilité des sols est une composante de la santé des sols, mais elle ne se limite pas à la simple fourniture de nutriments. Un sol fertile peut donner de bons rendements à court terme, mais s’il n’est pas en bonne santé, il peut devenir dégradé à long terme, affectant ainsi la durabilité de la production. International Fertilizer Development Center (IFDC) a toujours prôné une approche intégrée de la gestion de la fertilité des sols, en soulignant que les engrais minéraux, bien qu’importants pour la fertilité, ne suffisent pas à garantir la durabilité des sols. Sur le long terme, il est essentiel d’adopter une gestion intégrée qui combine l’utilisation d’engrais, l’amélioration des pratiques agricoles, la conservation de l’eau, et la gestion des écosystèmes. En revanche, la santé des sols va bien au-delà de la fertilité. Elle inclut non seulement la capacité du sol à fournir des nutriments pour les cultures, mais aussi son aptitude à produire d’autres services écosystémiques, tels que la régulation du climat, la filtration de l’eau, et la biodiversité. Un sol en bonne santé garantit une production agricole stable et durable, tout en préservant l’environnement et en minimisant les pollutions. La santé des sols repose sur trois composantes essentielles : biologique, physique et chimique. Une gestion intégrée de ces trois aspects permet de maintenir la durabilité de la production agricole tout en préservant les services écologiques offerts par les sols. En résumé, un sol en bonne santé est un sol qui peut soutenir une production agricole à long terme tout en assurant la préservation de l’environnement et la santé des populations qui en dépendent.
Pourquoi est-il important de promouvoir l’agriculture biologique et de préserver la qualité des sols en Afrique ?
L’agriculture biologique permet de produire des aliments sans contaminants chimiques, offrant ainsi des produits plus sains pour les consommateurs. Ce mode de production est d’autant plus crucial dans le contexte actuel où la population africaine, estimée à 1,5 milliard de personnes, pourrait atteindre 2 milliards d’ici 2040. Pour nourrir cette population croissante, une production agricole suffisante et durable est essentielle. Le principal défi réside dans la gestion des sols, qui sont la base de notre production agricole. En effet, chaque fois que nous cultivons et récoltons, nous extrayons des nutriments du sol. Cependant, dans beaucoup de pratiques agricoles en Afrique, les éléments exportés par les cultures ne sont pas suffisamment restitués au sol, ce qui mène à son appauvrissement. En conséquence, les sols deviennent progressivement dégradés, et la fertilité diminue. Il est estimé qu’en Afrique, environ 70 % des terres agricoles sont soit en voie de dégradation, soit déjà dégradées. Cette situation est particulièrement préoccupante, car elle menace la capacité de l’agriculture à nourrir une population en constante augmentation. Si cette dégradation des sols continue, il deviendra de plus en plus difficile, voire impossible, de produire suffisamment de nourriture à l’avenir. Promouvoir l’agriculture biologique et préserver la qualité des sols est donc crucial non seulement pour garantir une production alimentaire saine, mais aussi pour assurer la durabilité de l’agriculture en Afrique à long terme. Des mesures concrètes doivent être prises pour restaurer et maintenir la fertilité des sols, afin de garantir la sécurité alimentaire pour les générations futures.
Pourquoi la culture biologique seule ne suffit-elle pas à nourrir la population future de l’Afrique ?
La culture biologique repose sur l’absence d’engrais chimiques. Lorsque le sol est intact, il possède une fertilité naturelle. Dans ce cas, sans ajout d’engrais, les rendements peuvent être bons, car les sols sont riches en nutriments. Cependant, cette situation de fertilité initiale ne dure pas indéfiniment. Les sols, une fois exploités, perdent leur fertilité au fil du temps et nécessitent des interventions pour être maintenus en bonne santé. Dans le passé, nos ancêtres pouvaient se permettre de quitter un terrain épuisé pour en cultiver un autre, car il y avait plus de terres disponibles. Aujourd’hui, cette option n’est plus viable, car les terres cultivables se font rares. Il devient donc crucial de gérer les sols de manière durable pour en préserver la fertilité à long terme. C’est ce que l’on appelle l’intensification durable : une approche qui consiste à maintenir et à améliorer la santé des sols pour assurer une production alimentaire stable et suffisante pour nourrir la population croissante.
La culture biologique peut certes être une option, mais elle ne suffira pas à elle seule pour nourrir les 2 milliards d’Africains attendus dans les décennies à venir. Cela est principalement dû au fait que nos sols n’ont plus cette fertilité initiale élevée. Pour atteindre des rendements suffisants et nourrir une population croissante, il est essentiel de garantir un stock de nutriments adéquat dans le sol. En l’absence de cette fertilité, la production en grande quantité devient difficile, même avec des méthodes biologiques.
Que répondre aux accusations de toxicité qu’on trouve aux engrais chimiques ? Quelles sont les différences entre les engrais chimiques et organiques ?
Les engrais chimiques et organiques apportent effectivement des nutriments essentiels aux cultures, mais leurs modes de fonctionnement diffèrent. Par exemple, le phosphate contenu dans les engrais organiques est le même que celui retrouvé dans les engrais chimiques. La différence réside dans la manière dont ces éléments sont libérés et assimilés par les plantes. Les engrais chimiques sont produits à partir de procédés industriels. Le phosphate qu’ils contiennent provient du phosphate naturel, mais ce dernier est souvent peu disponible pour les plantes. Dans le cas des engrais chimiques, le phosphate est « acidifié » pour faciliter sa libération et son assimilation par les cultures. Ce processus rend l’élément plus accessible, mais il peut aussi engendrer des risques si l’engrais est mal dosé ou utilisé de manière excessive.
Les engrais organiques, comme le compost, apportent également des nutriments aux plantes, mais d’une manière différente. En plus des éléments nutritifs comme le phosphate et le potassium, ils contiennent des substances bénéfiques pour la croissance des cultures. Ces substances incluent des micro-organismes vivants, des phytohormones, et d’autres activateurs de croissance qui favorisent un développement plus équilibré des plantes. Sur des sols amendés avec des engrais organiques, les cultures peuvent se comporter différemment et souvent mieux, car la matière organique améliore la structure du sol, favorise la biodiversité microbienne et aide à la rétention de l’eau. Toutefois, la toxicité des engrais minéraux provient principalement de leur mauvaise utilisation. Lorsqu’ils sont appliqués de manière abusive, sans tenir compte des besoins réels du sol et des cultures, les engrais chimiques peuvent avoir des effets négatifs sur l’environnement et la santé. Le problème n’est pas inhérent aux engrais chimiques eux-mêmes, mais à une fertilisation mal gérée, non raisonnée, et non adaptée à la situation spécifique des sols. Certes, il est souhaitable de promouvoir l’agriculture biologique, notamment pour ses bienfaits environnementaux. Cependant, dans le contexte actuel des sols dégradés, l’agriculture biologique, qui repose en grande partie sur l’utilisation de compost et de matière organique, peut ne pas suffire à restaurer pleinement la fertilité des sols. Bien que la matière organique soit essentielle pour la régénération du sol, elle ne restitue pas toujours en quantité suffisante les nutriments nécessaires pour soutenir une production agricole à grande échelle. De plus, ces nutriments sont souvent moins accessibles pour les plantes, car la dégradation de la matière organique est plus lente que la libération rapide des nutriments par les engrais chimiques. Tant les engrais chimiques que les engrais organiques ont leurs avantages et leurs limites. Le défi est de les utiliser de manière raisonnée et complémentaire, selon les besoins spécifiques du sol et des cultures. Une gestion intégrée et équilibrée des fertilisants, qu’ils soient chimiques ou organiques, est essentielle pour garantir la durabilité de la production agricole tout en préservant l’environnement.
Quelles sont les bonnes pratiques pour utiliser les engrais minéraux de manière responsable et réduire leur impact environnemental ?
Les engrais minéraux sont essentiels à la fertilité des sols, mais leur utilisation doit être raisonnée et précise afin de limiter leurs effets négatifs, principalement la pollution environnementale. Pour cela, il existe quatre règles fondamentales à respecter lors de leur application.
Première règle : choisir le bon engrais. Il est crucial de sélectionner un engrais adapté au type de sol et à la culture en place. Chaque culture et chaque sol ont des besoins spécifiques, et l’engrais utilisé doit répondre à ces besoins pour être efficace.
Deuxième règle : appliquer la bonne dose. Il est important de ne pas surdoser ni sous-doser l’engrais. Un excès d’engrais peut entraîner une pollution, car une partie de celui-ci sera transportée par le ruissellement vers les eaux de surface et les nappes phréatiques, ce qui peut avoir des conséquences néfastes pour la santé humaine et l’environnement. À l’inverse, une quantité insuffisante peut nuire à la croissance des plantes.
Troisième règle : appliquer l’engrais au bon endroit. L’efficacité de l’engrais dépend aussi de son emplacement. Pour optimiser l’absorption par les racines, il faut déposer l’engrais près de celles-ci, là où la plante pourra l’absorber directement. Cela maximise l’utilisation de l’engrais par la culture.
Quatrième règle : appliquer l’engrais au moment opportun. Il est essentiel de distribuer l’engrais au moment où la culture en a le plus besoin, pour garantir une absorption optimale. Appliquer l’engrais à la mauvaise période peut entraîner une perte d’efficacité et des risques de pollution. En résumé, pour utiliser les engrais minéraux de manière responsable, il faut choisir le bon produit, l’appliquer en bonne quantité, au bon endroit et au moment propice. Ces bonnes pratiques contribuent à réduire l’impact environnemental et à améliorer la durabilité de l’agriculture.
Propos recueillis : Ange M’poli M’TOAMA
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