Entretien avec le Professeur Nicaise Mede : « Le plagiat tue la recherche »

Moïse DOSSOUMOU 10 mai 2021

Il ne démord pas. Après avoir tiré la sonnette d’alarme au lendemain du renouvellement des organes du conseil scientifique sectoriel « droit-science politique-administration », le Professeur Nicaise Mede revient à la charge en fournissant de plus amples explications sur les tenants et aboutissants de sa dénonciation. A travers cet entretien, il donne sa version sur la procuration qu’il a délivrée à un de ses collègues dans le cadre de ce scrutin.

Bonjour Professeur. Vous avez adressé ces derniers jours deux correspondances, l’une au ministre de l’enseignement supérieur et l’autre au recteur de l’Uac pour dénoncer l’élection du Professeur Ibrahim Salami à la tête de la Fadesp. Qu’est-ce que vous dénoncez concrètement ?
Je ne voudrais pas revenir sur ces correspondances. Je voudrais seulement apporter des éléments de compréhension pour que chacun sache de quoi retourne le dossier. Je voudrais dire et expliquer le contenu de la décision qui a été rendue par notre instance communautaire qu’est le Cames. Le dossier Ibrahim Salami au Cames en termes d’explication des faits, c’est quand même assez simple. Notre collègue, le Professeur Philippe Noudjènoumè avait des responsabilités au niveau de la faculté de droit et de science politique. Dans son bureau, il y avait un ordinateur de table. Lorsqu’il cessait ses fonctions à la faculté de droit, il a été remplacé par Ibrahim Salami qui a pris en héritage pour le service l’ordinateur utilisé par son prédécesseur. En partant, le Professeur Noudjènoumè n’a pas effacé les fichiers qui étaient sur son disque dur. Au nombre de ces fichiers, selon le dossier produit au niveau du Cames, il y avait un cours de droit administratif. En prenant la succession du collègue, c’est ce fichier que Ibrahim Salami a copié, porté chez un imprimeur et en a fait un livre qu’il s’est mis à commercialiser en son nom personnel. Le Cames a estimé qu’il s’agit du plagiat de l’œuvre d’un collègue, mais c’est un plagiat aggravé au sens où ce n’est pas seulement le recopiage qui est en cause, mais la commercialisation d’une œuvre d’autrui pour en tirer profit et engranger des bénéfices. C’est suite à cela que le Cames a décidé des sanctions à l’encontre de Ibrahim Salami et là il s’agit de sanctions académiques prononcées par une instance communautaire.
Le sens de ma démarche, c’était non seulement de faire ce rappel, mais de dire aussi, en l’occurrence, qu’en dehors de cette sanction académique, notre université ne s’est pas penchée sur la question, ne s’est pas saisie du dossier et n’a donc pas prononcé de sanctions disciplinaires à l’encontre de Ibrahim Salami. La seconde chose, c’est que Philippe Noudjènoumè a déposé une plainte au niveau du tribunal parce qu’il s’agit d’une infraction pénale. Dans l’instance qui l’oppose à Ibrahim Salami au niveau du tribunal, logiquement l’université est aussi concernée car ce n’est pas seulement une affaire entre deux personnes, il y a également l’ordre public universitaire à faire respecter. Logiquement, l’université devait se porter partie civile dans cette instance au niveau des tribunaux. Noudjènoumè continue de suivre l’évolution du procès un peu comme un individu abandonné de tous alors qu’il est un collègue et la situation qu’il vit interpelle l’ensemble de la communauté universitaire d’Abomey-Calavi. Je rappelle à titre de comparaison qu’une instance communautaire à savoir la Confédération africaine de football (Caf) a sanctionné les jeunes béninois qui ont bidouillé leur âge réel en 2018-2019 si mes souvenirs sont bons pour pouvoir participer à la Coupe d’Afrique des nations junior. Mais au retour des joueurs au pays, le gouvernement a estimé que c’est l’honorabilité du Bénin qui est en cause et pour cette irrégularité crapuleuse commise, à leur descente d’avion, sur plainte du ministre des sports, ils ont été accueillis par le Procureur de la République et cela s’est soldé par des sanctions pénales. Cela sert d’exemple à toute la jeunesse qui serait tentée de faire ce genre de trafic à l’avenir. On a vu, dans le cas d’espèce, la sanction de la Caf qui suspend l’équipe béninoise junior et puis maintenant le gouvernement qui vient donner une suite judiciaire à l’affaire. Ce qui s’est passé ne pouvait pas laisser de conséquence parce qu’on sait, d’une manière générale, quand il y a une infraction commise, pour l’avenir, la communauté doit prendre des dispositions, des mesures préventives. C’est en cela que, en matière pénale par exemple, lorsqu’un pédophile purge sa peine et revient dans la communauté, on fait bien attention à ne pas le nommer à des emplois sensibles. On ne nomme pas un individu convaincu de pédophilie à la tête d’un établissement scolaire. Pas plus qu’on ne nomme sélectionneur national de l’équipe d’athlétisme quelqu’un qui est connu pour son addiction au dopage. Le dopage est pour le sport, ce qu’est le plagiat pour l’université. Le premier tue le sport et le second tue la recherche. Tout simplement. C’est un peu dans ce sens que j’ai attiré l’attention du recteur de l’université sur la procédure en cours qui a vu Ibrahim Salami porté à la tête du Comité scientifique sectoriel de droit et de science politique. Je crois que pour quelqu’un qui a connu un passé récent problématique sur les questions de plagiat, de discipline et de déontologie en matière académique, il convient de l’éloigner des dossiers de nature purement académique où la déontologie est constamment sollicitée, où le respect des procédures, l’honnêteté et la transparence sont fortement mis en valeur. C’est la raison pour laquelle j’ai personnellement demandé à l’équipe rectorale de prendre le dossier en main et de faire en sorte que pour l’avenir, certains organes de l’université soient préservés de la fréquentation des gens qui ont un passif suffisamment lourd vis-à-vis des instances communautaires de régulation académique comme le Cames. Sait-on jamais ? Je ne sais pas ce que la justice aura à dire sur ce dossier, mais il est indispensable de préserver toute la communauté universitaire des situations qui pourraient conduire à dégrader l’image, la respectabilité et l’honorabilité de toute la communauté universitaire.

Qu’est-ce qui pourrait expliquer à votre avis l’inertie de l’université sur ce dossier ?
On peut dire que c’est quand même la première fois dans l’histoire cinquantenaire de notre université qu’un problème de plagiat se pose avec une telle ampleur. J’ai l’impression qu’ils ont été déroutés, déboussolés un peu même tétanisés par la situation et ils n’ont pas su quelle réaction appropriée il fallait avoir. Victor Prudent Topanou remuait le baobab depuis plusieurs années mais personne ne prête vraiment attention à ce qu’il dit. Or, il s’agit d’un dossier grave, gravissime même pour lequel il n’y a pas lieu de tergiverser. On connaissait jusque-là de petits plagiats dans un article, dans une revue, mais un plagiat d’une telle dimension, c’est-à-dire un livre entier recopié et reproduit, c’est la première fois que nous vivons cela et d’ailleurs, c’est même la première fois que nous subissons en tant que pays une sanction d’un compatriote par le Cames. A partir de l’orientation générale de la politique du gouvernement, orientation qui est celle de la tolérance zéro sur les questions d’honnêteté, de probité et de professionnalisme et de lutte contre les trafics en tous genres, cette politique va finir par imprégner les autorités universitaires pour qu’une autre manière de voir les choses et de réagir puisse s’installer pour nous éviter de vivre des situations du genre.

Puisque le dossier est pendant devant la justice, le Professeur Ibrahim Salami ne jouit-il pas de la présomption d’innocence ?
La présomption d’innocence joue au niveau de la justice. Nous raisonnons à l’université sur le fait d’une autonomie dans la régulation de nos affaires académiques. Quand un étudiant triche, on ne va pas voir le juge pour savoir s’il faut le sanctionner. Du point de vue universitaire, notre autonomie de régulation nous permet de prendre des décisions en dehors même de ce que le juge peut dire après. Cette autonomie nous permet même d’être à contre-courant de ce que pourrait dire le juge. Les réalités et affaires académiques, c’est nous qui les apprécions. Je donne un exemple. Les taux à partir desquels le plagiat est punissable, c’est l’université qui le détermine, ce n’est pas le juge.

Quel est ce taux ?
Pour le Cames, c’est 20%. Si on retrouve plus de 20% de copier-coller dans votre travail, c’est du plagiat. Nous avons donc une autonomie de régulation qui nous permet à l’université quand il y a des situations comme le plagiat ou la tricherie en classe, d’apprécier les faits et de prononcer des sanctions par nous-mêmes sans avoir besoin de recourir à un juge pour nous dire s’il y a faute ou pas, si elle est punissable ou non. C’est un peu ça notre spécificité.

Pour en revenir à l’élection du président du Comité scientifique sectoriel de droit et de science politique, visiblement le Professeur Ibrahim Salami était le seul candidat en lice…
J’ai compris en écoutant le vice-recteur Avlessi qu’il avait un objectif à atteindre. Et je crois que c’est à son niveau qu’il y a eu dysfonctionnement. Personnellement, j’ai été informé de l’élection le dernier jour du dépôt des candidatures. Comme je n’étais pas candidat, ça ne m’a pas intéressé. Mais je ne connaissais même pas les candidats. Donc il n’y a pas eu une campagne électorale véritable qui puisse nous obliger nous enseignants à demander au rectorat de rectifier la liste des candidats. Je voudrais mentionner que l’élection ne valide pas tous les vices qu’il a pu y avoir dans le processus. Je voudrais vous rappeler que Pablo Escobar était député au parlement de Bogota. Cela ne le rendait pas plus fréquentable. Donc l’élection n’est pas une manière de laver ou de purger des faits. Les faits répréhensibles restent même s’il y a eu élection et ces faits, il faut les soulever pour dire que même si l’élection a eu lieu, elle peut être et doit être remise en cause pour permettre aux questions fondamentales de déontologie de prévaloir.

Vous avez quand même participé à cette élection en signant une procuration à un de vos collègues…
C’est ce que j’explique en vous disant que j’ai été informé incidemment de l’élection lorsqu’un collègue m’a dit qu’il était candidat pour me remplacer à mon poste de secrétaire permanent du comité scientifique sectoriel. Il y avait en réalité deux postes à pourvoir : celui du président et celui du secrétaire permanent. Mon collègue qui nourrissait l’ambition de me remplacer à mon poste me disait qu’il fallait déposer les dossiers le jour même où il m’informait. Je lui ai donc délivré une procuration que je lui ai envoyé par whatsapp pour lui accorder ma voix. Et c’est à la fin que je reçois un message de Ibrahim Salami qui m’informait que c’est lui qui a été élu président. J’étais étonné.

Votre procuration ne devrait-elle pas servir pour élire aussi le président du comité scientifique ?
Non, c’était pour accorder ma voix à un collègue qui voulait être secrétaire permanent du comité scientifique. En réalité, on fait une balance. Quand le président vient de la faculté, le secrétaire permanent vient de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam). Jusque-là, je n’ai pas encore les résultats de l’issue du vote du secrétaire permanent. D’ailleurs, je n’aurais pas eu les résultats de l’élection du président si Ibrahim Salami en personne ne m’avait envoyé un message à ce sujet.

Avez-vous des relations cordiales avec votre collègue Ibrahim Salami ? Ne serait-ce pas plutôt une cabale dirigée contre lui ?
Lui-même sait qu’il n’est pas suffisamment propre pour ce poste. Je vais employer une métaphore tirée de nos dictons. « Quand vous avez des fesses sales, ne vous mettez pas devant une foule, ça va se voir ». C’est parce qu’il s’est exposé en voulant être président que tous les dossiers contre lui sont sortis. C’est un poste très délicat. Je l’ai suffisamment expliqué. Le comité scientifique sectoriel c’est le démembrement du conseil scientifique de l’université. Ce conseil a des compétences très fortes en matière de recrutement des jeunes docteurs. Il s’agit aussi de collecter, suivre et étudier les dossiers des jeunes collègues qui cherchent une promotion au Cames. Ce sont des choses très importantes qu’on ne peut pas confier à quelqu’un sur qui une instance communautaire a dit, du point de vue de la déontologie, qu’il est un tricheur. Il ne peut donc pas avoir l’aura et la respectabilité nécessaires pour conduire des opérations de cette nature-là.

Une certaine opinion estime qu’il s’agit d’ingratitude de votre part puisque c’est le Professeur Salami qui aurait présenté votre dossier de titularisation au Cames…
J’ajouterai qu’il a apporté une contribution décisive à l’élection de Joe Biden aux Etats-Unis et qu’il contribue efficacement aux performances footballistiques de Kylian Mbappé au sein du PSG. C’est l’histoire de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Au moment où je présentais mes dossiers au Cames, il n’était plus en droit de participer aux travaux au niveau du Cames. Il était en pleine suspension. On ne peut pas à la fois être suspendu du Cames et suivre le dossier de quelqu’un au Cames. C’est du nonsense. Il ne pouvait donc pas en connaître encore moins l’apprécier. Soyons sérieux !

Qu’est-ce que vous espérez des autorités après le dépôt de vos correspondances ?
Je souhaite que le vice-recteur Avlessi qui a conduit les opérations ait une rencontre avec le recteur et que celui-ci prenne des décisions qui confortent l’honorabilité et la respectabilité de l’université.
Je souhaite aussi du gouvernement, dans la dynamique actuelle qui est celle de la nomination des chefs des universités, que le choix puisse être porté sur un Béninois de l’étranger, quelqu’un qui a pratiqué les grandes universités du monde et qui pourra nous insuffler la culture élémentaire de professionnalisme qu’on attend d’un universitaire.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU

Encadré
Le renouvellement des organes du conseil scientifique sectoriel « droit-science politique-administration » de l’Université d’Abomey-Calavi continue de faire des vagues. Nicaise Mede, Professeur des universités dénonce le processus électoral ayant conduit à l’élection du Professeur Ibrahim Salami à la tête dudit conseil. Contacté pour donner sa version des faits, ce dernier n’a pas encore accédé à la requête de votre rédaction. Nos colonnes restent ouvertes pour recueillir son droit de réponse.
La rédaction



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