Entretien avec Majoie Houndji, victime de cyberharcèlement : « … A cause de cela j'ai pensé au suicide. Je me suis automutilée. J'ai déprimé… »

Patrice SOKEGBE 16 mars 2023

Jeune femme béninoise, journaliste, biographe Wikipédia, entrepreneure, militante, Majoie Houndji est l’une des victimes de cyberharcèlement en 2017. Dès lors, elle a fait de la lutte contre le cyberharcèlement, un combat quotidien. Elle raconte son engagement dans cet entretien.

Vous avez été victime de cyberharcèlement. Pouvez-vous nous en dire plus ?

En effet oui. Je fais partie des premières personnes à avoir été victime de cyberharcèlement au Bénin et ceci en 2017. Déjà victime au quotidien de harcèlement scolaire à cause de mes seins jugés trop plats et ayant développé un complexe pour ma petite poitrine à cause de cela, je suis passée d’une fille extravertie avec beaucoup d’amis à une fille introvertie sans personne autour. Me sentant seule à l’époque à cause de la dépression et du regard des autres, la seule façon que j’avais trouvée pour me faire à nouveau des amis qui n’auront pas du mal à m’accepter tel que j’étais, était de m’inscrire sur le réseau social Facebook qui avait le vent en poupe en ce moment (je pensais que personne ne pouvait se moquer de moi parce qu’on ne voyait pas mes seins). Ce que je fis à mon grand désarroi. En effet, du jour au lendemain, suite à un malentendu avec un ami à qui j’ai confié le complexe que j’avais pour mes seins et ma manière de les cacher une fois dehors avec une de mes mains, cet ami pour se venger a commencé par se moquer de ma poitrine sur le réseau social laissant qui veut se joindre à ce lynchage public. Des ardoises Gucci par ci, femme plate par là, zéro sein, femme vilaine par autre chemin en commentaire, en messagerie ou même en passant par des publications du genre photographique, caricatural ou écrit, je me retrouve en une semaine sur les réseaux sociaux à plus de 60.000 abonnés juste pour se moquer de moi. C’est comme ça que mon cyberharcèlement a commencé sur les réseaux sociaux. Et les hommes ainsi que les femmes avaient joué un rôle clé dans ce lynchage public venu de partout et causé en majorité par des personnes que je ne connaissais pas. A cause de cela, j’ai pensé au suicide. Je me suis automutilée. J’ai déprimé. Le cyberharcèlement m’a vraiment fait perdre le goût de la vie à un moment mais je me suis relevée quand même.

Quel était votre état d’esprit après avoir vécu cette aventure ?

Après avoir vécu cette aventure, j’avais juste envie de disparaitre de la surface de la terre parce que je croyais en ces gens. Je croyais en tout ce que les gens disaient sur moi. Je me trouvais vilaine, monstrueuse, une personne qui ne méritait pas d’exister. J’ai déprimé et je suis passé à l’acte d’essai du suicide mais je me suis arrêtée quand j’ai pensé au jour après la mort. J’ai compris que je devrais essayer de me battre pour moi. Mais ce n’était pas facile de voir des caricatures sur moi, des insultes de moi partout quand je me connecte sur les réseaux sociaux. Je me suis demandé pour quelle raison des personnes qui ne me connaissent pas, s’abonnent à mon profil personnel pour juste m’insulter et partir. J’étais dans le temps, dans un état végétatif (au sens figuré) qui pourtant avait un sens pour moi. Je n’avais plus de vie tout juste.

Pourquoi avez-vous décidé d’en parler ?

J’ai décidé d’en parler parce que j’ai finalement compris que je n’étais pas la seule personne à avoir une différence ni à souffrir du regard des autres encore moins à me retrouver complexée par quelque chose qui fait de moi qui je suis. Tout a commencé lorsqu’après une énième tentative de suicide qui n’a pas abouti parce que j’ai préféré vivre et faire face à mes bourreaux que de mourir et faire face à Dieu. J’ai pris la décision de porter plainte. Je suis partie voir mon père mais lorsque je suis revenue du commissariat, il m’a demandé de le suivre pour visiter ma Tante. Une fois là-bas, mon père me dit ceci : Si tu n’es pas fière de toi, personne ne va l’être à ta place. Regarde, ta tante à la même poitrine que toi et ce n’est jamais tombé. C’est ta façon de t’accepter qui fera que d’autres vont t’accepter.

Lorsque je suis rentrée chez moi une fois après cela, je me suis tenue nue devant un miroir et je me suis déclaré : Majoie tu es une belle femme et que personne ne te fasse penser le contraire.
Une fois que je me suis connectée sur les réseaux sociaux, mes premiers mots étaient : j’accepte être une femme plate. J’accepte être une femme qui a zéro sein et je suis fière.
Au fur et à mesure que je poste et que les gens commencent par prendre mon estime de soi soudaine comme réalité, plusieurs personnes ont commencé à être influencées par ma façon de faire et j’ai commencé par les inspirer. C’est ainsi qu’une femme à la poitrine énorme (la première personne), une très mince, une autre très timide, se sont ouvertes à moi et m’ont posé des questions sur comment je fais pour ne pas être touchée par tout ce que les gens racontent sur moi ; qu’elles ont envie de me ressembler. Ces Personnes qui faisaient partie des 60.000 personnes qui se sont abonnées à moi et qui ont vu comment de personne faible cyberharcelée, je suis devenue une personne forte sans complexe, ont commencé par me prendre pour un exemple, une personne à qui, ils ont envie de ressembler. C’est de cette manière que j’ai compris que le regard des autres agit sur chaque être et chaque être possède sa différence dont il peut se complexer en fonction des humains qui l’entourent. C’est pour cela que j’ai décidé de ne pas fermer la bouche, de raconter mon histoire, de militer contre le cyberharcèlement afin que plus personne ne soit complexée par sa différence qu’elle soit mentale ou non. C’est mon combat.
Aujourd’hui, vous combattez la sextorsion au Bénin. Quelles sont vos actions ?
Oh non, je ne combats pas la sextorsion. Je combats plutôt le cyberharcèlement et la sextorsion est un genre de cyberharcèlement. Car, plusieurs types de cyberharcèlements existent.
Le cyberharcèlement est un acte agressif et intentionnel perpétré par un ou plusieurs personnes au moyen d’internet et d’outils numériques dans le but de nuire à une personne qui ne peut malheureusement pas se défendre seule. La sextorsion étant une forme de chantage numérique où un internaute se lève et menace d’envoyer une photo ou une vidéo intime de sa victime à d’autres personnes si elle refuse de lui envoyer de l’argent ou d’autres images intimes ou d’avoir tout simplement des relations intimes avec elle, répond aux règles de cyberharcèlement. Et ce combat de cyberharcèlement, je le mène depuis 2017 après avoir moi même été victime de la chose. Lorsque j’ai commencé le combat, il n’y avait personne qui pensait que cela pouvait être possible en Afrique et la plupart prenaient le cyberharcèlement pour un mythe. Ce qui a fait qu’en luttant, j’étais toute seule à prouver l’existence de la chose. Le cyberharcèlement n’existant dans aucun registre, avec très peu d’informations sur lui sur le web africain et quasi-inexistant dans nos bibliothèques, avec une loi globale sur le code du numérique, pour mener ma lutte, j’étais obligée de passer par les recherches sur le sujet à l’extérieur, de prendre mon exemple afin de mener ma lutte. Je passais aussi et je continue de passer par des campagnes de sensibilisation numérique sur plusieurs thématiques qui concernent le cyberharcèlement. Aujourd’hui je passe par la sensibilisation sur internet et en dehors d’internet (conférence, webinaire, campagne, collaboration avec des ONG...) pour en parler.

Les actions :
Aujourd’hui je suis fière de dire que les actions menées depuis 2017 à aujourd’hui portent leurs fruits parce que les gens ont pris conscience de l’existence du cyberharcèlement. Les recherches menées par rapport à ce sujet en Afrique, mon propre exemple, les témoignages reçus de plusieurs que j’utilise pour preuve bien-sûr, ont fait comprendre aux gens que les Africains aussi sont cyberharcelés.
Pensez-vous que la sextorsion est une branche de la cybercriminalité ?
Déjà que le cyberharcèlement est une branche de la cybercriminalité, oui la sextorsion est une branche de la cybercriminalité. Et la cybercriminalité, c’est de la criminalité pure et simple mais sur internet. La cybercriminalité a vu le jour avec la venue d’internet et depuis son avènement, plusieurs types de cybercriminalité ont vu le jour et le cyberharcèlement compte parmi ces types. Tous ceux qui pratiquent la sextorsion c’est-à-dire du chantage sexuel numérique, sont des cybercriminels. Alors oui, la sextorsion est une branche de cybercriminalité.

Avez-vous rencontré des victimes de sextorsion lors de vos campagnes ?

Oui à plusieurs reprises

Comment arrivez-vous à assister ces victimes ?

Lorsque des personnes, pour la plupart des femmes m’écrivent où désirent entrer en contact avec moi parce qu’elles sont victimes de sextorsion. Je les écoute d’abord et je leur donne plusieurs conseils selon le danger, le type de sextorsion et la personne. Je leur demande de porter plainte et leur donne des astuces afin de pouvoir essayer de conscientiser leurs bourreaux ou de rassembler assez de preuves contre ces derniers. La dernière fois, une femme m’a envoyé un message parce que son ex avec qui elle a eu à rompre parce qu’ils ont commencé à vivre une relation à distance et ce n’était plus chaud entre eux, a commencé par la menacer de publier ses nudes sur les réseaux sociaux si elle n’envoie pas d’autres ou si elle n’accepte pas de continuer la relation. Elle était donc obligée de continuer et c’est une amie de cette dernière qui m’avait d’abord contacté et m’a mis en contact avec elle. Lorsqu’elle l’a contactée, elle avait suffisamment de preuves contre la personne. Nous avons demandé à ce qu’elle commence une procédure pour porter plainte à L’OCRC mais aussi pour se protéger vis à vis de cette personne.
Je lui ai donné des conseils sur ses droits afin qu’elle puisse savoir comment discuter et j’ai demandé à un de mes amis juriste qui me donne souvent beaucoup de conseils, de l’accompagner comme il peut afin que justice soit faite.
D’un autre côté, j’essaye d’être là psychologiquement pour la personne afin qu’elle ne se blâme pas. Une fois, une fille qui est tombée dans le piège des malfaiteurs qui se prennent pour des employeurs de mannequins et qui n’a jamais envoyé de nudes à personne, a envoyé une photo d’elle en sous-vêtement à ces malfaiteurs parce que ses soi-disant malfaiteurs voulaient remplir son dossier. Finalement, ils ont utilisé la photo contre elle afin de lui soutirer de l’argent. N’ayant plus la force d’envoyer, elle m’a écrit alors qu’elle pensait déjà au suicide à cause de la honte (une fille de 18 ou 19 ans). J’ai discuté beaucoup avec elle pendant des heures et j’ai profité pour parler des dangers, des pièges et de comment les belles personnes peuvent tomber dessus. Je prends ces deux exemples pour vous dire juste que pour assister les victimes de sextorsion, il faut en primo, leur montrer qu’ils peuvent porter plainte. Car, nous sommes dans un Etat de droit et le cyberharcèlement est un cybercrime puni. Nous leur donnons des conseils sur comment le faire. Ensuite, nous en profitons pour sensibiliser sur les dangers du net et sur comment on peut se faire avoir. Nous les accompagnons aussi pour que la dépression et le stress causés par ses criminels, s’arrêtent.

Votre mot de la fin

Nous avons lancé des appels d’alerte à plusieurs reprises afin que le gouvernement, les ministères et l’assemblée nationale s’intéressent à notre combat sans suite. Cette année, nous irons encore vers eux et nous espérons qu’ils nous recevront les bras ouverts. Je dis, nous, parce que de 2017 à aujourd’hui, ma communauté est passée de 60.000 à plus de 300.000 abonnés sur mes réseaux. Parmi ces abonnés, plusieurs sont intéressés à accompagner mon combat. Je veux venir à un nombre donné de personnes afin de montrer que le cyberharcèlement existe réellement et que je ne suis pas seule à le penser. J’aimerais demander aussi aux parents de faire beaucoup plus attention à la vie virtuelle de leurs enfants. Aux autorités, je demanderais d’insérer le civisme dans nos cours primaires afin d’apprendre d’une part aux enfants, à mieux utiliser les réseaux sociaux et d’autres part à leur apprendre les règles de la vie pour qu’ils n’utilisent pas les mots pour blesser d’autres personnes et causer leur perte.
J’aimerais aussi demander aux médias de faire plus attention à notre combat. Car, les parents passent beaucoup plus de temps dans les médias que sur les réseaux sociaux. C’est lorsque le pouvoir, la presse, et les citoyens, main dans la main, décident de militer contre ce fléau, qu’on aura le résultat.

Propos recueillis par Patrice SOKEGBE



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