Evaluation diagnostique : le gouvernement persiste, enseignants et parents d’élèves divisés

Patrice SOKEGBE 9 août 2019

Les enseignants reversés en 2008 seront soumis le 24 août prochain à une évaluation diagnostique. Un processus désormais irréversible, même si les concernés craignent encore pour leur emploi. Mais au sein de la corporation, la posture n’est pas unidirectionnelle. Et les parents d’élèves s’invitent dans le débat.

Elle est désormais incontournable et non négociable. Les enseignants du primaire et du secondaire soucieux de leur carrière professionnelle doivent se soumettre à une évaluation diagnostique le samedi 24 août prochain. Et le conseil des ministres du mercredi 7 août 2019 est on ne peut plus claire. « L’évaluation est obligatoire et les enseignants qui ne s’y soumettraient pas seraient responsables des conséquences qui découleraient de leur attitude… ».
Cette décision crée une vague de mécontentements sur fond de boycott dans le rang des enseignants. Certains y voient un acte d’humiliation, et d’autres, la fin de leur carrière professionnelle. « Il n’est pas question qu’on aille à cette évaluation. Car, après toutes ces années d’expériences, le gouvernement a envie de nous humilier. Comment puis-je m’asseoir à côté de mes anciens élèves et composer au même titre qu’eux ? C’est inadmissible ! », confie André.
Pourtant, ceux nommés dans les administrations des établissements scolaires approuvent la décision du gouvernement et sont prêts à aller composer. « Nous devons faire confiance à notre gouvernement. S’il a pris la décision de nous évaluer, c’est sûrement pour améliorer la qualité de l’enseignement », déclare Firmin, surveillant général dans l’un des établissements secondaires.
A en croire le secrétaire général de la Confédération des organisations syndicales indépendantes du Bénin (Cosi), Noël Chadaré : « le vrai problème des collègues reversés, ce n’est pas qu’ils n’ont pas envie d’aller composer. Ils ne sont pas contre l’évaluation. Mais à les écouter, ils ont peur de l’exploitation qui sera faite des résultats de cette évaluation ».

Les enseignants méfiants, le gouvernement rassure !
Ce projet d’évaluation diagnostique des enseignants laisse planer une crise de confiance. Les enseignants veulent être rassurés qu’ils ne seront pas renvoyés de la fonction publique en cas de contre-performance. Mais lors de la rencontre du 23 juillet 2019, entre le Président Patrice Talon et les représentants des secrétaires généraux des 7 centrales et confédérations syndicales du Bénin, il a été retenu que les meilleurs enseignants issus de cette évaluation deviendront Agents Permanents de l’Etat (Ape) avec leur ancienneté conservée. Une décision confirmée ce jeudi 8 août 2019, par le ministre de l’enseignement secondaire, Mahugnon Kakpo.
C’est dire que les enseignants qui ne franchiront pas le cap des 10 sur 20 de moyenne, ne seront pas radiés de la fonction publique. Ils seront soumis à une formation de mise à niveau de 9 mois tout en conservant leurs salaires et fonctions. Après cette phase, une nouvelle évaluation aura lieu. Et si la contre-performance persiste, les concernés seront envoyés vers d’autres fonctions.
Selon le Secrétaire général de la Cosi-Bénin, le Chef de l’Etat doit joindre l’acte à la parole. « Quand bien même le chef de l’Etat a donné oralement l’assurance aux secrétaires généraux, qu’il n’y aura pas de victime à l’issue de cette évaluation, il faut des actes qui aillent au-delà des paroles. Un directeur est mort la dernière fois suite à une crise cardiaque à cause de l’évaluation dont on parle. Il y a des gens qui sont prêts à mourir, s’il y a évaluation. Il y a une psychose généralisée. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement doit beaucoup communiquer, doit rassurer, donner des gages. Les gens n’ont pas peur d’aller composer. Mais ils n’ont pas confiance. Il faut donc une communication pour que l’opération soit réussie. Mais si le gouvernement ne communique pas, l’opération va échouer », indique-t-il.

Les parents d’élèves d’accord !
« Je pense que les parents sont d’accord que l’évaluation se tienne. L’employeur, qui paye à bonne date le salaire les employés, a l’obligation de savoir d’où vient le mal pour que les résultats soient si bas. Donc, moi je pense que l’évaluation a sa raison d’être ». Ces propos du Président de la Fédération nationale de l’Association des parents d’élèves du Bénin (Fenapeb) Epiphane Azon montrent que l’initiative du Gouvernement est fort bien appréciée. Les parents d’élèves ne veulent plus laisser aucune place à la médiocrité. « C’est nous qui dépensons…, nous savons combien c’est si difficile de perdre une année. C’est beaucoup d’investissements partis en fumée. Il ne faut pas que les enseignants s’amusent encore avec l’avenir de nos enfants. Pour cela, je félicite le gouvernement pour cette initiative. Nous ne voulons plus que cela reprenne au Bénin… ». L’autre paire de manche, c’est que les enseignants reversés en Agents contractuels de l’Etat sont pour la plupart des parents d’élèves. Ils sont plus préoccupés de leur situation actuelle que de l’avenir de leurs enfants.

Ces acteurs craignent une éventuelle radiation
Se soumettre à l’évaluation diagnostique devrait être une simple formalité pour les enseignants. Malheureusement, cela donne l’air d’un vrai cauchemar. Ces acteurs craignent une éventuelle radiation de la fonction publique en cas d’échec, donc un avenir hypothéqué. Le gouvernement y voit plutôt l’assainissement d’un secteur qui bat de l’aile depuis quelques années. Mais à y voir de près, la situation laisse plus que jamais perplexe. Les audits révèlent environ 828 cas de faux diplômes dans le rang des enseignants reversés en 2008. Ces actes de mauvaise foi et de grand banditisme ne sauraient rester impunis, car il s’agit d’individus qui ont perçu illégalement sur le dos de l’Etat pendant plus d’une décennie. Dans l’illégalité, ils ont formé des abrutis sur des générations. Conséquence, la machine du système éducatif peine à retrouver son rythme de départ. Et puisque la vérité ne saurait être cachée aussi longtemps, ils ont été démasqués.
Retrouver le nom ‘’Quartier Latin d’Afrique’’ est bien possible. Cela exige de profondes réformes au plan humain, matériel et financier. L’évaluation diagnostique est donc l’acte qui permettra de séparer le bon grain de l’ivraie. Car, pour nourrir un peuple pour un an, il faut semer des graines. Pour nourrir un peuple pour 10 ans, il faut planter des arbres. Et pour nourrir un peuple pour une éternité, il faut former un homme. Lorsque ce dernier est bien formé, il représente un capital et donc une richesse. La responsabilité des enseignants est ainsi entièrement engagée, en ce qui concerne le transfert de connaissance et de compétence. Il n’y a donc pas lieu de craindre, si tous les enseignants considèrent cette évaluation comme un projet de relance de l’éducation nationale.

Epiphane Azon, Pdt Fenapab

« Je pense que les parents sont d’accord avec l’évaluation que le Gouvernement vient d’initier. L’employeur qui paye à bonne date le salaire des employés a quand-même l’obligation de savoir d’où vient le mal pour que les résultats soient si bas. Il est vrai que cette année, il y a eu quelques améliorations et c’est à l’actif du monde scolaire. Mais l’employeur a le devoir d’évaluer ses employés. Ils n’ont pas des raisons d’objecter. Donc, moi je pense que l’évaluation a sa raison d’être. En tant que président national, j’ai échangé avec le ministre des enseignements maternel et primaire, et le ministre de l’enseignement secondaire. Il ressort que les enseignants ne seront pas renvoyés, contrairement à ce qui est répandu dans l’opinion. Il est plutôt question de renforcer leurs capacités ou de les réorienter dans d’autres secteurs d’activités. Le ministre de l’enseignement secondaire, comme je viens de le dire, m’a appelé, et on a échangé pendant près de 30 minutes. Aucun d’eux ne m’a certifié que les enseignants qui n’auraient pas réussi seraient renvoyés. Donc, il faut nécessairement que l’évaluation ait lieu. Maintenant, il n’est pas question, surtout qu’il y a un manque criant d’enseignants, moi je crois que c’est le renforcement de capacités qui est nécessaire surtout qu’ils ont été à cette épreuve, ceux qui sont enseignants aujourd’hui ont été à cette épreuve là pendant un bon bout de temps. Donc, il est question de renforcer plutôt leurs capacités pour qu’ils soient beaucoup plus aptes pour le devenir de nos enfants, parce que tout ça, c’est à l’actif des parents si l’évaluation est bien menée. Les parents n’auront plus sous leur drap des enfants diplômés qui ne seront pas compétitifs, parce que c’est de ça qu’il s’agit. Moi je crois qu’il faut, et je plaide pour que les enseignants aillent se faire évaluer. Il paraît qu’ils sont en train de vouloir boycottez, ce n’est pas la peine de boycotter parce que si vous boycotter et que l’employeur réfléchit autrement, il pourra vous sanctionner autrement également. Donc, il faut aller se faire évaluer, ça là, je le martèle.



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